Ce jeune pdg qui assure

Publié le 05/11/2011 à 00:00, mis à jour le 16/03/2015 à 16:02

Ce jeune pdg qui assure

Publié le 05/11/2011 à 00:00, mis à jour le 16/03/2015 à 16:02

Par Marie-Claude Morin

Que fait un pdg après une acquisition de 2,6 milliards de dollars (G$) ? Quand il s'appelle Charles Brindamour, il planifie le reste de la consolidation de son industrie. Les Affaires l'a rencontré au bureau régional d'Intact à Saint-Hyacinthe.

Pour Charles Brindamour, pdg d'Intact depuis bientôt quatre ans, la clé du succès dans l'assurance dommages passe par un petit mot de six lettres : taille. C'est pourquoi l'actuaire de Québec n'entend pas freiner ses visées de consolidation, même s'il vient de réaliser l'achat d'AXA Canada pour 2,6 G$, il y a quelques semaines à peine.

«6,5 G$ de primes et 10 000 employés [dont 3 800 au Québec], ça semble très gros en absolu, mais en termes relatifs, c'est seulement 16,5 % du marché canadien. Il y a donc énormément de place pour croître dans notre créneau actuel», explique M. Brindamour. Intact, connue sous le nom d'ING Canada avant sa vente par le groupe néerlandais en 2009, se spécialise dans l'assurance auto et habitation des particuliers ainsi que dans l'assurance dommages aux PME. Elle vend ses produits par l'entremise de courtiers et sur les sites belairdirect.com (Québec et Ontario) et GP Car and Home (Alberta, Ontario et Maritimes).

Dans le marché de l'assurance IARD (incendie, accidents et risques divers), la taille permet non seulement d'accroître l'offre de produits, mais également la profitabilité, assure le pdg. Plus la base de données qui compile tous les détails des réclamations est grande, mieux l'assureur peut calculer les risques et établir les primes en conséquence. L'important volume d'affaires permet également à Intact de négocier des ententes avantageuses avec divers fournisseurs, par exemple des carrossiers et des fournisseurs de parebrises.

Enfin une transaction

Charles Brindamour l'avoue sans ambages : il avait AXA Canada à l'oeil depuis plusieurs années. Tout comme plusieurs autres concurrents encore dans sa mire, d'ailleurs. Dans une organisation prônant la discipline et le conservatisme, la dernière chose que voulait faire le dirigeant de 41 ans était d'aller trop vite et de se tromper. «La patience est une vertu», dit-il d'un ton réfléchi. Après 18 ans chez l'assureur, c'est-à-dire depuis la fin de ses études en actuariat à l'Université Laval, le jeune pdg aux cheveux bien mis et aux yeux perçants bleu clair est bien placé pour connaître les valeurs de son entreprise.

Assez pour faire patienter le marché. Pointant les liquidités disponibles et la fragmentation de l'industrie, les analystes et les investisseurs parlaient depuis plus de deux ans d'une acquisition majeure de la part d'Intact. Au moins, l'attente aura valu le coup, ont-ils salué après l'annonce du 31 mai. «Nous croyons qu'AXA Canada représente un excellent choix stratégique et financier, qui permet à Intact de diversifier ses sources de revenus et de réduire la volatilité de ses profits», résume Shubha Rahman Khan, analyste à la Financière Banque Nationale. Depuis l'annonce, le titre est passé de 49,77 $ à 56,91 $, un bond de 14,35 %, alors que l'indice S&P/TSX a reculé de 9,3 %.

Numéro un partout au Canada

Sixième assureur au pays, AXA Canada oeuvre dans les mêmes créneaux qu'Intact, tout en étant plus fort que son acquéreur dans le marché des moyennes entreprises, ainsi qu'en Colombie-Britannique et dans certaines provinces Maritimes. «Grâce à cette transaction, nous devenons le numéro un dans tous les marchés où nous opérons», dit M. Brindamour, soulignant qu'avec 16,5 % du marché canadien, Intact est deux fois plus grosse que son concurrent le plus proche, Aviva.

Le pdg se dit agréablement surpris de la chimie entre les deux équipes. L'ancien pdg d'AXA Canada, Jean-François Blais, a d'ailleurs été nommé président d'Intact Assurances, la filiale opérant avec les courtiers. D'autres membres de la direction ainsi que la presque totalité des employés qui participent aux opérations d'assurance restent à l'emploi. Les principaux changements touchent la gestion des systèmes informatiques.

La seule mauvaise surprise tient à l'exposition d'AXA aux tremblements de terre en Colombie-Britannique, dit Steve Belisle, gestionnaire de portefeuille chez Investissements Stardard Life. Comme Intact souhaite ramener le niveau de risque aux normes qu'elle a établies, elle devra acheter plus de réassurance. «Mais ce n'est pas majeur», nuance M. Brindamour, qui chiffrera cette facture à l'annonce des résultats du troisième trimestre, le 2 novembre.

Selon M. Khan, AXA Canada pourrait ajouter 20 % au bénéfice net d'Intact d'ici 2013, plus que les 15 % prévus par la direction. Cette dernière a promis des synergies de 100 M$ d'ici la mi-2013, ce qui est jugé conservateur. «C'est assez facile à dépasser», estime M. Belisle. Entre autres, les synergies promises n'incluent pas le rapatriement à l'interne de la gestion des indemnisations (AXA sous-traitait 10 % de ses dossiers) ni l'apport des ententes avec les fournisseurs. «Nous ne voulions pas nous imposer des objectifs de synergies qui mettraient en péril le service et l'expérience client, parce que, sur le plan économique, c'est aussi important que les synergies», commente le pdg.

Aucune cible trop grosse au Canada

La direction d'Intact n'entend pas s'arrêter là, surtout qu'elle s'attend à voir 20 % du marché canadien changer de main d'ici cinq ans. Avec sa centaine d'acteurs, dont les cinq plus gros n'occupent que 43 % du marché, l'industrie demeure fragmentée. «C'est clair que nous voudrons jouer un rôle important dans la consolidation», dit M. Brindamour.

Pas question, toutefois, de s'aventurer à l'extérieur de l'assurance dommages, comme l'illustre la vente des activités d'assurance vie d'AXA à SSQ Groupe Financier pour 300 M$. «Nous préférons nous concentrer sur ce que nous faisons de bien plutôt que de développer un créneau où nous n'avons pas d'expertise et où nous affronterions des acteurs énormes.»

Les occasions d'achat pourraient venir de certains assureurs canadiens, mais surtout d'entreprises étrangères, qui occupent le tiers du marché canadien. Pressées d'accroître leurs réserves de capital, ces sociétés financières évaluent leurs actifs. Or, le rendement moyen en assurance dommages n'est que de 5 à 8 % au Canada. Intact place ses pions et entretient des contacts avec «plusieurs compagnies dans le monde». L'objectif : maximiser les chances de négociations exclusives plutôt que d'enchères.

Par ailleurs, des mutuelles envisagent de changer de statut, élargissant du coup le bassin de cibles potentielles. Selon Paul Holden, analyste chez Marchés mondiaux CIBC, l'ontarienne Economical, qui a déjà annoncé son intention de se démutualiser, est la candidate la plus probable à une prochaine acquisition d'Intact.

Charles Brindamour refuse de déterminer quelque cible que ce soit, mais assure avoir les capacités opérationnelles et financières pour réaliser toute acquisition que l'équipe d'Intact jugera pertinente. «Je ne vois pas de cible trop grosse pour nous au Canada», annonce-t-il.

Le dirigeant exclut toutefois des acquisitions pancanadiennes qui concerneraient moins de 500 M$ de primes souscrites. «La croissance organique peut faire plus que cela vu notre taille actuelle et qu'une acquisition dérange les troupes», explique-t-il. Pour des acquisitions régionales, la taille minimale pourrait aller jusqu'à 100 M$ de prime, précise-t-il.

Comme le marché canadien est mature, la croissance à long terme d'Intact passe par l'international, juge Marcel Côté, administrateur de longue date de l'assureur. «Ce ne sera pas de grands coups d'éclat, ce n'est pas leur style», précise le cofondateur de Secor. Il s'attend plutôt à ce que l'équipe procède par petits pas, qu'elle cherche à connaître un marché et à y prendre pied progressivement.

Une approche prudente que confirme d'ailleurs M. Brindamour. Lui et son équipe ont décelé cinq marchés où la sophistication d'Intact lui assurera un avantage concurrentiel. S'il préfère ne pas les divulguer pour le moment, le pdg ne nie pas que l'Amérique du Sud et certains pays d'Europe pourraient répondre à ce critère, alors qu'il exclut les États-Unis. «L'objectif n'est pas de planter des drapeaux partout. Nous voulons plutôt trouver un ou deux marchés où nous deviendrons des experts.»

LES MOYENS DE SES AMBITIONS

Les investisseurs ont bien accueilli l'émission d'actions de près de 1 G$ pour financer une partie de l'achat d'AXA, avec une demande quatre fois plus élevée que l'offre, selon le pdg. Le titre est jugé plus défensif que ceux des banques et des assureurs-vie, frappés de plein fouet par les marchés boursiers difficiles et les faibles taux d'intérêt, explique M. Belisle. Au cours actuel, l'évaluation est toutefois moins attrayante qu'en début d'année, précise-t-il toutefois.

L'assureur pourrait également retourner voir ses banquiers, malgré la récente décote de Moody's de A3 à Baa1 et ses effets négatifs sur les titres obligataires. Se disant surpris de la position de l'agence de notation, Charles Brindamour n'a pas l'intention de diminuer le niveau d'endettement. «Après la vente de l'assurance vie d'AXA, le ratio de dette sur capital total diminuera à 20 %, ce qui est conservateur.»

PDG D'UNE ENTREPRISE DE 7,5 G$ À 41 ANS

Intact fait partie de la vie de Charles Brindamour depuis le berceau, littéralement. Son père, employé du Groupe Commerce à Saint-Hyacinthe, a connu sa mère, une courtière, au téléphone ! Les amoureux ne se doutaient sûrement pas alors que leur fils occuperait le fauteuil du pdg quelque 40 ans plus tard. Encore moins qu'il piloterait le rachat de la filiale canadienne à la multinationale ING et en ferait une entreprise valant 7,5 G$ en Bourse.

Depuis son entrée chez ING en 1992, Charles Brindamour a gravi les échelons à la vitesse grand V. Après un passage au bureau régional à Saint-Hyacinthe puis au siège social canadien à Toronto, il travaille en Europe comme actuaire en chef et chef des finances de la filiale roumaine. De retour au pays en 1999, les postes se succèdent jusqu'à celui de chef de l'exploitation en 2007, puis de pdg en janvier 2008.

«Le conseil et moi-même l'avons reconnu comme mon successeur dès le milieu des années 2000», dit Claude Dussault, ancien pdg et actuel président du conseil d'Intact. Pour préparer le terrain à un aussi jeune pdg, ils l'ont nommé responsable des relations avec les investisseurs dès 2004. «Sa nomination a été très bien accueillie», dit M. Dussault.

Malgré son parcours, l'homme reste simple, dit Marcel Côté, qui siège sur le conseil d'Intact. «C'est un cerveau, quelqu'un de super intelligent, mais posé, ouvert et modeste. Il n'est ni compliqué ni tape-à-l'oeil.»

Installé à Toronto avec sa conjointe et ses filles de 8 et 11 ans, Charles Brindamour retourne régulièrement à Québec, d'où il vient et où il possède une maison. La famille y séjourne une partie de l'été et profite des week-ends d'hiver pour y chausser ses skis.

CHARLES BRINDAMOUR SUR...

... la concurrence

«Les grands fournisseurs de technologie comme Google et eBay, ainsi que les grands détaillants comme Walmart pourraient entrer dans notre marché d'ici cinq ans. Nous surveillons aussi les grandes banques canadiennes, particulièrement Desjardins et TD.»

... le dividende

«Nous prévoyons une hausse de 15 % du bénéfice d'exploitation par action. Ça ne veut pas dire que le dividende augmentera au même rythme, mais c'est clair qu'il n'y a rien dans les cartes qui nous empêcherait de le hausser comme nous l'avons fait par le passé.»

CINQ DÉFIS À RELEVER

Rassurer les courtiers pour qui l'achat d'AXA a fait bondir la concentration de leurs affaires auprès d'Intact. À partir de 60 %, les courtiers doivent en parler à leurs clients. Les concurrents sont déjà à pied d'oeuvre pour aider ces courtiers à se diversifier.

Modifier les produits et la tarification pour refléter les risques accrus de catastrophes naturelles.

Déployer au cours des prochains mois la nouvelle plateforme Internet. Les clients de partout au pays pourront acheter des produits sur le site Web d'Intact, tout en bénéficiant à proximité d' un courtier assigné à leur dossier.

Accroître la notoriété de la marque Intact, qui n'a que deux ans. Attendez-vous à voir plus de publicités télévisées, entre autres.

Ajuster les primes pour compenser les faibles taux d'intérêt, qui pèsent sur la marge bénéficiaire en diminuant les revenus d'investissement. «Nous gagnerons quand nos concurrents s'ajusteront, puisque nous avons haussé nos primes plus tôt», commente Charles Brindamour.

RÉPARTITION DES REVENUS APRÈS L'ACHAT D'AXA CANADA

46 % Auto aux particuliers

7 % Auto aux entreprises

22 % Assurance habitation

25 % Assurance des entreprises

Source : Financière Banque Nationale

7,5 G$ Valeur boursière d'Intact, qui s'apparente à celles de Bombardier (7,2 G$), de SNC-Lavalin (7,5 G$) et de Tim Hortons (8,1 G$).

13 Nombre de Québécois sur les 22 membres que comprend l'équipe de direction. Parmi eux, Louis Gagnon, président et chef de l'exploitation, et Jean-François Blais, président d'Intact Assurance.

À SUIVRE SUR LESAFFAIRES.COM

Intact a dévoilé les résultats de son troisième trimestre le 2 novembre. Consultez notre site Web pour connaître les faits saillants. Avant l'annonce, les analystes tablaient en moyenne sur un bénéfice par action de 1,02 $.

Visionnez également notre entrevue avec Charles Brindamour.

Sur lesaffaires.com/video

marie-claude.morin@transcontinental.ca

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