Et si le Fonds des générations finançait une relance verte?

Publié le 26/06/2020 à 21:15

Et si le Fonds des générations finançait une relance verte?

Publié le 26/06/2020 à 21:15

Le premier ministre du Québec François Legault (photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE – Le gouvernement de François Legault devra sans doute investir des milliards de dollars (G$) pour stimuler la création d’emplois en raison de la crise économique, et dans le meilleur des mondes en misant sur une relance verte afin de la lutter contre les changements climatiques. Mais plutôt qu’emprunter ces milliards sur les marchés des capitaux, deux universitaires proposent que le gouvernement se serve d’une partie du Fonds des générations dont la mission est de réduire la dette brute.

Dans une récente tribune publiée sur le site d’Options politiques, François Delorme, enseignant en économie à l’Université de Sherbrooke, et Sarah-Maude Belleville-Chenard, avocate et doctorante en droit à l’Université McGill, affirment qu’il faut aussi tenir compte de la «dette écologique» que nous céderons aux prochaines générations, même si cela ralentit la réduction de la dette publique par rapport au produit intérieur brut (PIB).

«En définitive, cette stratégie contribuerait à corriger l’iniquité intergénérationnelle que notre dette écologique impose aux jeunes et aux générations futures. Nous assurerions ainsi une cohérence avec les objectifs premiers du Fonds en les inscrivant dans une perspective résolument ancrée dans les défis du 21e siècle», écrivent les deux universitaires.

En entrevue à Les Affaires, François Delorme explique qu’il serait plus logique financer un programme d’infrastructures à partir du Fonds pour relancer l’économie et réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) que de financer ce programme en émettant des obligations, même si les taux d’intérêt sont faibles.

«C’est comme si on avait 50 000$, mais qu’on décidait quand même d’emprunter cette somme à la banque pour acheter une voiture», dit-il pour illustrer son propos.

Le gouvernement du Québec a créé le Fonds des générations en 2006 avec la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations.

Le capital est alimenté par huit catégories de revenus dédiés, incluant des redevances hydrauliques d’Hydro-Québec, des revenus miniers ainsi que des revenus de placements du Fonds en tant que tel, selon une étude publiée en janvier 2020 par la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Le capital du Fonds progresse vite

Actuellement, l’argent disponible dans le Fonds totalise 8,3 G$, selon les données du ministère des Finances. À l’horizon 2025-2026, les sommes accumulées dans le Fonds devraient atteindre 30,3 G$, pour ensuite grimper à 100 G$ à la fin de l’exercice 2035-2036, selon les projections de la Chaire de l’Université de Sherbrooke.

Par contre, ces estimations ne tiennent pas compte de l’impact économique de la pandémie de la Covid-19, qui a été majeur sur les finances publiques du Québec, comme l’a montré la mise à jour économique présentée le 19 juin par le ministre des Finances, Eric Girard.

Depuis 2016-2017, le Québec avait enregistré des surplus budgétaires supérieurs à 1 % du PIB, atteignant même 1,9 % du PIB en 2018-2019, rappellent François Delorme et Sarah-Maude Belleville-Chenard. «La crise pandémique a passablement modifié cette vision favorable: au lieu d’un surplus de 0,6 % du PIB attendu pour l’année financière 2020-2021, le solde budgétaire se transformera plutôt en déficit de 3,4 % du PIB», précisent-ils.

Le ratio de la dette par rapport au PIB a aussi été impacté par la crise économique.

Avant la pandémie, Québec estimait que le ratio s’établirait à 43,4% en 2020-2021. Or, il atteindra plutôt 50,4% en 2020-2021, montent les données publiés dans le Portrait de la situation économique et financière de juin 2020.

«Il demeurera toutefois en deçà des niveaux atteints à la suite de la récession de 2008-2009 et de celui qui prévalait encore en 2017», soulignent les deux universitaires.

 

Source: ministère des Finances du Québec

La bonne et la mauvaise dette

Si François Legault adoptait cette stratégie de financement pour relancer l'économie, son gouvernement devrait nécessairement faire des changements législatifs, car la loi qui a mené à la création du Fonds prévoit que celui-ci doit se consacrer uniquement au remboursement de la dette brute.

Il va sans dire qu’en choisissant de consacrer une partie de l’argent du Fonds à une relance verte, Québec n’aurait plus ces sommes à sa disposition pour rembourser une partie de notre dette collective.

«À première vue, cette approche semble donc aller à l’encontre de l’objectif même du Fonds. Pour en juger convenablement, il faut toutefois prendre en considération deux aspects essentiels dans l’évaluation de la dette que nous laisserons aux jeunes et aux générations qui nous suivent», insistent l'économiste et l'avocate.

Premièrement, dans l’évaluation de la dette publique, ils affirment qu’il est primordial de faire la différence entre un emprunt qui permet de faire un investissement durable et rentable (comme la construction d’infrastructures vertes qui assureraient un certain rendement de l’investissement) et un emprunt pour faire des dépenses courantes qui ne rapporteront aucun rendement (par exemple le paiement d’un salaire à une agence de placement d’infirmières).

«Comme pour les ménages, certaines formes d’endettement public sont donc meilleures que d’autres. Utiliser une partie du Fonds pour financer une relance verte et juste pourrait donc constituer un investissement profitable aux générations futures», font remarquer François Delorme et Sarah-Maude Belleville-Chenard.

Deuxièmement, il est évident que le gouvernement du Québec (comme du reste, tous les gouvernements responsables dans le monde) devront investir des sommes importantes pour espérer limiter le réchauffement de la Terre à moins de 2 degrés Celcius. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’humanité doit réduire ses émissions de GES d’au moins 45% d’ici 2030 et atteindre la carboneutralité avant 2050.

«Nous le savons, la réponse qui sera nécessaire pour faire face aux changements climatiques demandera des investissements publics majeurs et générera un fardeau financier considérable», soulignent François Delorme et Sarah-Maude Belleville-Chenard.

Or, selon les deux universitaires, le Québec peut relever ces deux défis en même temps: investir pour relancer l’économie de manière durable et juste, tout en gardant une «situation financière saine» et un «niveau d’endettement soutenable».

Bref, les Québécois y gagneraient sur toute la ligne.

P.S. Cette analyse bimensuelle fait relâche jusqu'au samedi 1er août.

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.