Régler le passé trouble de l’industrie de la construction?

Publié le 14/01/2015 à 14:11

Régler le passé trouble de l’industrie de la construction?

Publié le 14/01/2015 à 14:11

(Photo: Bloomberg)

Allaire: Le gouvernement du Québec, par son projet de loi 26, propose une démarche pour « la récupération de sommes obtenues à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics ».

Cette proposition, inspirée en partie de la démarche adoptée par le gouvernement hollandais dans une situation semblable, offrirait deux choix aux entreprises concernées:

1. D’abord, « un programme de remboursement volontaire».

Le gouvernement, semble-t-il, offrira une carotte, de forme et de taille encore inconnues, à ceux qui voudront se prévaloir de ce programme de remboursement volontaire et en mode accéléré (« fast track »); en effet, dans le cadre de cette démarche :

- Tout ce qui est dit ou écrit n’est pas recevable en preuve devant un tribunal judiciaire;

- Aucun document produit dans le cadre de cette démarche n’est soumis à la Loi sur l’accès à l’information; toutefois, lorsqu’une transaction est conclue, le nom des parties, les sommes convenues ainsi que la période visée seront rendus publics, une disposition qui risque de causer de graves problèmes;

- Le programme sera dirigé par un « administrateur » désigné par le gouvernement qui aura « pour fonction, notamment, de tenter d’amener le ministre et une entreprise ou une personne physique à s’entendre »; on doit comprendre que la négociation sera menée au cas par cas, entreprise par entreprise; cette façon de faire ne correspond pas à l’approche adoptée par la Hollande où le règlement fut collectif;

- Dans le cadre de ce programme de remboursement, « le ministre agit pour le compte d’un organisme public. À cette fin, il peut transiger et donner valablement une quittance à l’égard des contrats visés»;

- On doit présumer que toute société se prévalant avec succès de cette démarche accélérée (et satisfaisant aux règles de bonne gouvernance) sera retirée, s’il y a lieu, du registre des entreprises non admissibles aux contrats publics.

Le projet de loi 26 est muet sur les termes et conditions de ce programme et se limite à annoncer que le ministre de la justice publiera à la Gazette officielle du Québec l’information sur comment fonctionnera ce programme de durée limitée.

2. Pour ceux qui ne se prévaudront pas de cette démarche de remboursement volontaire, le projet de loi 26 brandit le bâton du recours judiciaire.

Le projet de loi 26 pipe alors les dés en faveur de la poursuite par une série de dispositions difficiles à justifier :

- Le projet de loi impose aux dirigeants en fonction au moment de la fraude le fardeau de démontrer qu’ils ont agi avec diligence et prudence;

- Il en est de même pour les administrateurs en poste à l’époque qui savaient ou auraient dû savoir qu’une fraude a été commise; le fardeau de prouver qu’ils ont agi avec prudence, diligence, etc. est placé résolument sur leurs épaules;

- Les entreprises, les dirigeants et les administrateurs sont solidairement responsables du préjudice causé;

- Le préjudice est présumé correspondre à la somme réclamée par l’organisme public concerné pour le contrat visé lorsque cette somme ne représente pas plus de 15% du montant total payé pour le contrat visé (Article 11)

- Les actes frauduleux reprochés peuvent avoir été commis à n’importe quel moment au cours des 20 dernières années;

- Tout organisme public qui réclame une somme peut, en vertu de cette loi, inscrire une hypothèque légale sur les biens de toute entreprise, ses dirigeants et administrateurs en poste au moment de la fraude alléguée;

- Tout montant accordé par un tribunal en réparation du préjudice subi par un organisme public doit être majoré de 20% à titre de frais engagés pour l’application de la loi.

On comprend bien que le gouvernement souhaite ainsi dissuader les entreprises de se prévaloir du recours judiciaire. En effet, le recours judiciaire suppose, doit-on présumer, la démonstration d’une preuve raisonnable et comporte un droit d’appel des décisions, ce qui ferait trainer en longueur toute la démarche de récupération.

Toutefois, prises dans leur ensemble, ces clauses définissent un contexte juridique hautement discutable, voire contraire aux principes de justice les plus élémentaires. Si de telles dispositions devaient être adoptées non seulement pour le passé mais également à l’avenir, peu de gens accepteront de siéger au conseil d’une société engagée dans l’exécution de contrats publics.

Pour ce qui est du passé, voyons concrètement le fonctionnement de cette partie du projet de loi 26. Supposons qu’une personne fut administrateur d’une société de génie conseil de 1998 à 2004. Un organisme public, disons une municipalité, allègue qu’un contrat fut obtenu par cette société en 2001 conséquemment à une collusion entre des firmes et réclame 14,5% du montant total du contrat. La municipalité demande aussi et obtient l’autorisation de prendre une hypothèque légale sur tous les biens des dirigeants et administrateurs de cette société en 2001.

Notre administrateur-type doit maintenant chercher à démontrer qu’il a agi avec soin, diligence et compétence en 2001 de façon à prévenir toute action frauduleuse au sein de la société. Hormis le fait que des évènements aussi lointains dans le temps ne laissent que peu de traces dans les mémoires ou dans les procès-verbaux de l’époque, ces termes n’avaient pas la même portée dans le contexte des pratiques de gouvernance de 2001 que dans le contexte de 2014-2015.

La démarche hollandaise avait plutôt adopté des mesures incitatives pour amener les entreprises à se prévaloir de l’approche « fast track ». Ainsi, les sociétés choisissant ce mode de règlement pouvait bénéficier d’une réduction de 15% de la pénalité à payer. En raison de cette approche, 85% des entreprises se sont inscrites à la démarche volontaire et accélérée. Ces 1 244 entreprises virent leur cas régler en six mois et durent payer collectivement une amende de 232 millions d’euros.

Selon la démarche hollandaise, des règles claires permettaient à une société de calculer le montant maximal qu’elle pourrait être condamnée à payer. Toutes les entreprises étaient représentées par une seule personne; les parties ayant choisi cette voie rapide devaient accepter de ne pas contester les allégations à leur encontre.

L’approche hollandaise avait le mérite de régler rapidement le passé afin de passer à l’encadrement futur de l’industrie et permettre aux sociétés hollandaises de ce secteur vital de l’économie de jouer leur rôle pleinement et honnêtement.

Tant que l’on ne connait pas les détails de la démarche volontaire proposée, il est bien difficile d’apprécier le bien-fondé et l’efficacité du projet de loi 26. Le gouvernement serait bien avisé de rendre la démarche volontaire aussi attrayante que possible de façon à atténuer les aspects controversés et mal seyants du recours judiciaire tels que stipulés dans l’actuel projet de loi (Partie III).

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l'auteur. Yvan Allaire est président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP).

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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