Plus de femmes aux conseils! Oui, mais comment?

Publié le 14/10/2015 à 12:14

Plus de femmes aux conseils! Oui, mais comment?

Publié le 14/10/2015 à 12:14

Ce fut maintes fois documenté, le taux de présence des femmes aux conseils d’administration de sociétés cotées en Bourse est faible et augmente à un rythme de tortue (par exemple de 15 % en 2009 à 22 % en 2014 chez les 100 plus grandes entreprises canadiennes; source : Canadian Spencer Stuart Board Index, 2014). Pourtant, le pourcentage de femmes élues pour les postes à combler en 2014 atteignait 43 % (Source : Spencer Stuart, ibid).

Récemment, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un rapport sur la présence des femmes aux postes d’administrateurs et comme membres de la haute direction des émetteurs assujettis, rapport qui fait état d’une disposition généralement favorable à une plus grande diversité de genre sur les conseils des entreprises canadiennes. Cependant, les cibles, politiques et mesures tangibles demeurent très variables selon la taille et l’industrie d’appartenance des émetteurs; cette hétérogénéité se traduit par des résultats au global que l’on pourrait qualifier de corrects, sans plus, en matière de présence féminine.

Selon les constats des ACVM, la grande majorité des émetteurs échantillonnés (65%) ont choisi de ne pas adopter de politique écrite sur la représentation féminine au conseil, et 19% des émetteurs ont adopté une fixation de la durée du mandat des administrateurs comme mécanisme de renouvellement du conseil; cette durée est établie principalement en fonction d’une limite d’âge (53 % de ceux qui ont eu recours à cette forme de mécanisme) ou une limite à la durée des fonctions (24 %) ou les deux (23 %).

Taux de renouvellement des conseils

Bien que réticentes à adopter des politiques formelles, les sociétés cotées en Bourse ont néanmoins cherché à augmenter le taux de nomination de femmes lorsque des vacances au conseil doivent être comblées. Or, le facteur qui explique en grandes partie la lenteur manifeste dans l’accession des femmes aux conseils d’administration tient au faible taux de renouvellement des conseils.

En effet, le taux de renouvellement «naturel» des conseils s’établit à 7,3 % et est demeuré constant depuis plusieurs années. Même avec une politique de nommer une femme pour deux vacances au conseil, le faible taux de renouvellement des conseils ferait en sorte que la présence féminine n’atteindrait que 35 % en 2021!

Nous avons voulu établir l’impact sur la représentation féminine au conseil de différentes mesures souvent invoquées pour augmenter le taux de renouvellement des conseils. Nous avons pris comme base d’étude les entreprises du S&P/TSX 60 .

Au 7 octobre 2015, les femmes occupent 22,8 % des sièges aux conseils des entreprises composant l’indice. Cependant, il est plus intéressant d’observer la présence féminine parmi les administrateurs indépendants qui représentent quelque 80 % de tous les administrateurs. Les membres non-indépendants proviennent soit de la direction, soit sont des fondateurs et les membres de leur famille ou d’autres actionnaires de contrôle. Leur statut de membre du conseil n’est pas assujetti aux mêmes démarches que pour les membres indépendants.

Dans les faits, donc, les femmes occupent 143 des 550 postes d’administrateurs indépendants, soit 26,0 % d’entre eux.

Le tableau 1 montre l’âge moyen des administrateurs indépendants selon leur sexe, et le nombre d’années écoulées depuis qu’ils siègent sur ce même conseil. On constate que les femmes sont, en moyenne, plus jeunes, et occupent leur poste depuis moins longtemps.

TABLEAU 1

Expérience en fonction et âge des administrateurs indépendant du S&P/TSX 60Tableau 1
Qu’arriverait-il à la représentation féminine des conseils si toutes les entreprises du S&P/TSX 60 étaient assujetties à des mesures de renouvellement comme un nombre maximal d’années en poste ou un âge limite et qu’un nouvel administrateur sur deux ainsi nommé était une femme ?

Comme le montre le Graphique 1, en limitant à 10 ans le mandat d’un administrateur, la présence féminine atteint 43 % dans cinq ans; avec une limite de 15 ans, cette présence féminine plafonne à 35 %, le même niveau que selon le taux de remplacement «naturel».

GRAPHIQUE 1

Hypothèses d’évolution du pourcentage de femmes parmi les administrateurs : Indépendants des entreprises du S&P/TSX 60, après l’application d’une mesure de renouvellement des administrateurs fondée sur une limite du nombre d’années en fonction

Graphique 1

Un âge limite?

Quel serait l’effet d’établir un âge limite aux membres de conseil (disons 72 ans ou 75 ans).

Le Graphique 2 montre l’évolution du taux en fonction de l’application de mesures fondées sur l’âge de la retraite. Les résultats sont similaires en ce qu’un retrait forcé du conseil à 72 ans fait grimper le taux de présence féminine à plus de 40% en 2021 mais qu’un retrait obligatoire à 75 ans donne des résultats équivalents au taux de renouvellement «naturel» des conseils.

GRAPHIQUE 2

Hypothèses d’évolution du pourcentage de femmes parmi les administrateurs indépendants des entreprises du S&P/TSX 60, après l’application d’une mesure de renouvellement des administrateurs fondée sur un âge de retraite obligatoire

Graphique 2

Dans les deux cas, l’objectif de 40 % de mixité fixé par l’IGOPP en 2009 serait atteint d’ici cinq ans (soit onze ans après la prise de position de notre Institut), soit par la fixation d’un âge limite de 72 ans ou un terme limite de 10 ans.

Évidemment, on pourrait proposer d’adopter les deux mesures à la fois, soit une limite de dix ans comme membre du conseil ou avoir atteint l’âge de 72 ans.

Le Graphique 3 montre l’impact dramatique d’une telle combinaison, le taux de présence féminine atteignant plus de 46 % en 2021.

GRAPHIQUE 3

Hypothèses d’évolution du pourcentage de femmes parmi les administrateurs indépendants des entreprises du S&P/TSX 60, après l’application simultanée de deux mesures de renouvellement des administrateurs

Graphique 3

Toutefois, ces deux mesures suscitent, à juste titre, de vives critiques. Leur caractère arbitraire, l’absence de lien avec la performance réelle d’un administrateur choquent. Dans sa prise de position, l’IGOPP ne s’y montrait pas favorable mais insistait plutôt sur deux aspects :

  • Que les sociétés cotées en Bourse adoptent une politique de nommer une femme pour chaque deux vacances au conseil jusqu’à ce que le conseil compte au moins 40 % de femmes (une cible fixe de 50 % peut s’avérer trop précise pour être constamment maintenue; l’IGOPP propose que tout conseil comporte au moins 40 % de femmes ou d’hommes);
  • Qu’une évaluation rigoureuse de la contribution des membres du conseil soit menée de façon à remplacer ceux qui ont peu de valeur ajoutée; cette dernière mesure demande courage et engagement de la part du conseil et de son président.

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Texte coécrit par François Dauphin, directeur de projets, IGOPP.

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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