«Les bonnes et les mauvaises acquisitions selon les marchés boursiers»

Publié le 02/03/2012 à 14:41, mis à jour le 21/11/2016 à 09:40

«Les bonnes et les mauvaises acquisitions selon les marchés boursiers»

Publié le 02/03/2012 à 14:41, mis à jour le 21/11/2016 à 09:40

BLOGUE - Cet article a été publié en juin 2006 dans le Journal Les Affaires -
Les marchés boursiers portent un jugement rapide, favorable ou défavorable, sur toute décision d’acquisition. Ainsi, le 2 juin 2006, dès l’annonce par Cogeco d’une entente pour l’acquisition d’un câblodistributeur portugais, son titre chutait de 16 %. Par contre, à l’annonce d’une nouvelle acquisition en terre américaine le 4 avril 2006, le titre de Garda grimpe de près de 10 %. Le titre d’Alimentation Couche-Tard bondit de 5 % à l’annonce d’une autre acquisition aux États-Unis le 11 avril.

Deux questions se posent:

 • Les marchés boursiers sont-il compétents dans leur appréciation de telles décisions stratégiques?

• Quelles sont les acquisitions qui reçoivent la faveur ou la défaveur des marchés boursiers?

La première question nous mène au cœur d’un vieux débat sur les fondements, économiques ou psychologiques, des marchés boursiers. Ceux-ci sont-ils des machines efficientes à traiter instantanément toute l’information disponible pour porter un jugement éclairé et sans pitié. Sont-ils plutôt une manifestation de la « psychologie des foules » avec ses errances, son irrationalité exubérante, une sorte de chaise musicale, disait John Maynard Keynes?

Force est de constater que les marchés boursiers sont comme les démocraties. Ils s’emballent pour les mauvaises raisons, déchantent aujourd’hui de leurs héros d’hier, cherchent le mieux avec une information imparfaite et, en bout de piste, se confortent par des choix traditionnels et une sagesse conventionnelle.

Toute acquisition dont les termes ne correspondent pas à cette sagesse convenue sera mal reçue; mais quels sont les tenants et aboutissants de la «sagesse collective» des marchés boursiers en ce qui a trait aux acquisitions. C’est la deuxième question.

Pour recevoir la faveur des marchés boursiers, une acquisition doit démontrer quelques-unes des caractéristiques suivantes (toutes seraient encore mieux):

  • L’acquisition contribue à consolider une industrie dans un marché donné; c’est la pierre philosophale des acquisitions: réduction de la concurrence, plus grande latitude de prix, économie d’échelle, « synergies » de toute nature (bien que le terme «synergie» soit à éviter; on en abusé trop souvent comme leurre pour justifier un prix trop élevé);

 • Le prix payé est raisonnable; une acquisition payée trop cher sera toujours un boulet pour l’acquéreur; c’est pourquoi la bourse est sceptique lorsque le prix d’une acquisition résulte d’une enchère entre plusieurs aspirants;

 • Le financement de la transaction ; si l’acquéreur augmente son endettement de façon significative, il fait assumer un risque accru pour les actionnaires; ceux-ci-augmenteront leurs attentes de rendement, ce qui fera chuter le prix du titre;

• La proximité géographique et culturelle de l’entreprise acquise; les marchés s’inquiètent à juste titre de toute acquisition d’entreprise dans une terre éloignée aux mœurs et coutumes différentes, dotée d’un système politique et juridique distinct ; à plus forte raison lorsque le succès de l’entreprise acquise dépend de sa familiarité avec les rouages politiques ainsi que de son accès facile aux preneurs de décision du secteur public;

 • L’acquéreur a déjà mené à bien ce type d’opérations; les acquisitions, comme toute activité complexe, sont soumises aux effets d’apprentissage. Les marchés boursiers seront rassurés par le fait que l’acquéreur a démontré, dans un passé récent, sa compétence à négocier les termes d’une acquisition, à mener rondement la vérification diligente et à gérer efficacement la démarche d’intégration de nouvelles acquisitions. Tant que cette démonstration reste à faire, toute acquisition sera accueillie avec un certain scepticisme.

En somme, les marchés boursiers ne sont pas des évaluateurs parfaits des décisions stratégiques d’une entreprise, mais il faut comprendre le sens et les raisons des jugements qu’ils portent. On pourra décider qu’ils se trompent mais encore faut-il leur démontrer.

(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).

--------------------------------------------

Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

Blogues similaires

Les salutations de Jacques Ménard... ainsi que les miennes

Édition du 30 Juin 2018 | René Vézina

CHRONIQUE. C'est vraiment la fin d'une époque chez BMO Groupe financier, Québec... et le début d'une nouvelle. ...

L’exclusion des cadres des casinos du droit à la syndicalisation serait constitutionnelle

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec a déposé une requête en accréditation syndicale en 2009.

Apprendre à tourner la page

Édition du 20 Janvier 2021 | Olivier Schmouker

CHRONIQUE. J’ ai une grande nouvelle que j’ai annoncée déjà il y a quelques jours sur notre site web.