La société Osisko en jeu: que faire?

Publié le 14/01/2014 à 10:50

La société Osisko en jeu: que faire?

Publié le 14/01/2014 à 10:50

Goldcorp annonce son intention d’acheter Osisko, la minière québécoise, sans obtenir l’accord du conseil d’administration d’Osisko. Depuis un bon moment (au moins depuis l’affaire Rona), on a constaté à quel point notre système juridique était inadéquat pour traiter des tentatives de prise de contrôle d’entreprises canadiennes non souhaitées par leur conseil d’administration.

En vertu des règlements des commissions des valeurs mobilières canadiennes, dès qu’un acheteur plausible manifeste son intention d’acquérir une entreprise, les administrateurs de la société ciblée sont convertis en simples agents de vente aux enchères.

En effet, les pouvoirs du conseil d’administration se limitent, dans le contexte canadien, à la recherche d’un acheteur plus généreux, à la négociation d’un meilleur prix en échange pour son support à la transaction et, en bout de piste, à une recommandation aux actionnaires de ne pas accepter l’offre qui leur est faite.

Il convient de le répéter, la situation canadienne est unique et anormale. Aux États-Unis (où ce sont les états qui règlementent les sociétés par actions), il est possible pour un conseil d’administration de « simplement dire non » à un acquéreur hostile.

Mais, entend-t-on parfois, les actionnaires ne sont-ils pas les « propriétaires » de l’entreprise et ne leur revient-il pas de décider du sort de celle-ci? C’est mal comprendre le rôle et la responsabilité du conseil. Celui-ci assume l’obligation juridique d’agir dans l’intérêt de la société, prenant en compte l’ensemble des parties prenantes.

C’est aussi mal comprendre la nature de l’actionnariat de nos jours. Compte tenu de l’importance des actionnaires de courte durée, de l’arrivée massive de fonds d’arbitrage dès qu’une offre d’achat est rendue publique, il est curieux et incongru de considérer ces actionnaires de fraiche date, ces « actionnaires touristes » comme les propriétaires légitimes de la société.

L’Autorité des marchés financiers, consciente des lacunes du système actuel, a formulé de vigoureuses propositions de changement au régime actuel mais l’aval des autres commissions des valeurs mobilières tarde à venir, si jamais elles en viennent à appuyer l’initiative de l’AMF.

De même, le gouvernement du Québec a constitué un groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises dont le rapport est imminent et dont les recommandations viseront certainement à corriger cet état de fait.

Ces deux initiatives arriveront trop tard pour influencer le sort d’Osisko, une société qui ne comporte pas d’actionnaire de contrôle ni aucun actionnaire substantiel. Rappelons qu’Osisko dont les activités sont menées essentiellement au Québec exploite une ressource naturelle, l’or, qui appartient à tous les québécois. Cette société est incorporée en vertu de la loi fédérale et maintient son siège social à Montréal.

Que faire?

Dans le contexte juridique actuel au Canada, les voies pour bloquer cette opération hostile sont étroites et soulèvent d’épineux problèmes.

1. Les grands fonds institutionnels d’investissement pourraient se persuader ou être persuadés que le prix offert par Goldcorp est dérisoire, que le titre d’Osisko recèle un important potentiel d’appréciation future et qu’il convient donc d’accumuler une position importante dans ce titre. Si plusieurs fonds agissaient ainsi, leur position cumulative pourrait servir de rempart contre une prise contrôle hostile.

2. Les ressources naturelles étant de juridiction provinciale, le gouvernement du Québec ne devrait-il pas revendiquer un droit de regard sur toute transaction de fusion/acquisition de sociétés québécoises dans ce secteur? Les permis, autorisation environnementale, niveau des redevances exigées constituent des domaines de responsabilité exclusive des provinces. Celles-ci accordent aux sociétés minières une licence d’exploitation assortie de conditions précises. Dans une situation de tentative de prise de contrôle qui n’est pas souhaitée par le conseil d’administration ni par le gouvernement du Québec, celui-ci devrait-il informer l’acquéreur potentiel de ses objections et de son intention de revoir certains des termes et conditions de l’exploitation minière.

3. Le gouvernement du Québec pourrait ordonner à l’AMF de faire cavalier seul et d’adopter ses propositions de changement au régime actuel en matière de fusion/acquisition. Ainsi, toute entreprise avec siège social au Québec, donc soumise aux dispositions de l’AMF, pourrait avoir recours à de nouveaux moyens de défense contre des prises de contrôle non souhaitées, lesquels ne lui sont pas accessibles présentement. Cependant l’Autorité des marchés financiers du Québec fait partie d’un organisme, les Autorités canadiennes des valeurs mobilières, lequel a pour mission de coordonner et uniformiser la réglementation à l’échelle canadienne. L’éventualité où l’AMF ferait cavalier seul mettrait en appétit ceux qui souhaitent ardemment la création d’une commission nationale des valeurs mobilières.

Enfin, toute tentative du Québec de soumettre des sociétés à charte fédérale aux dispositions de l’Autorité des marchés financiers, lesquelles seraient distinctes de celles de l’Ontario où réside la Bourse de Toronto ouvrirait une boîte de Pandore juridique.

Conclusion

Il est urgent et impérieux que les commissions canadiennes des valeurs mobilières s’entendent pour adopter un cadre règlementaire moderne en ce domaine des fusions/acquisitions. Sinon, les gouvernements, persuadés qu’ils doivent agir, seront amenés à considérer des solutions qui ne sont pas optimales.

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

 

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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