La saga de la commission nationale : Ottawa persiste et signe!

Publié le 10/07/2014 à 14:46

La saga de la commission nationale : Ottawa persiste et signe!

Publié le 10/07/2014 à 14:46

Voilà qu’après l’Ontario et la Colombie-Britannique, deux autres provinces, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick, se joignent au projet d’Ottawa visant à créer ce qui, à toute fin pratique, serait un organisme centralisé de réglementation des valeurs mobilières.

Même si le gouvernement fédéral a été débouté par la Cour suprême en des termes lapidaires, il revient à la charge par deux petites portes entrouvertes par le jugement de la Cour suprême du Canada en guise de prix de consolation.

Même s’il a été démontré à moult reprises que les arguments avancés pour défendre son projet d’un organisme central étaient trompeurs et non fondés, Ottawa persiste et signe.

Rappelons brièvement les principaux arguments invoqués par Ottawa (et le tout Toronto financier) pour soutenir qu’un organisme central est nécessaire :

- Le Canada est le seul(?) pays qui n’a pas mis en place un régulateur national, ce qui fait que nous avons un système complexe et coûteux fait de treize juridictions (provinces et territoires).

Or, à l’ère de l’électronique, du système en ligne SEDAR, de la mise en place du système de passeport, les     entreprises et autres intervenants placent leurs rapports en ligne et ceux-ci deviennent disponibles à toutes les commissions des valeurs mobilières au Canada; le coût de cette opération est infime.

Enfin, les Autorités canadiennes des valeurs mobilières (ACVM), organisme établi depuis plusieurs années pour coordonner et uniformiser les décisions et règlementations des 13 juridictions, s’est montré éminemment capable de jouer ce rôle, offrant une démonstration de son efficacité dans le respect de la spécificité des différentes commissions des valeurs mobilières

- Le Canada est la risée internationale pour la fragmentation de son système et ne peut parler d’une seule voix dans les forums internationaux.

Or, non seulement le Canada n’est-il pas risible mais au contraire se classe parmi les meilleurs au monde pour la protection des investisseurs et la qualité de la gouvernance, selon la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE, le Forum économique mondial, etc.

Le secteur de la règlementation des valeurs mobilières est représenté dans les organismes internationaux par le président des ACVM et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (qui refuse pour des raisons tactiques évidentes de se joindre pleinement au système de passeport).

-Sans un organisme central en matière de règlementation des valeurs mobilières, le Canada serait démuni devant des risques systémiques.

Or, la dernière crise financière, la plus mortelle que l’on ait connue depuis 1929, a fait la démonstration du contraire. Les pays dotés de commissions des valeurs mobilières centralisées, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont été les plus touchés par la crise. En aucun temps, la crise ne fut-elle menaçante pour le système financier canadien.

Le seul véritable risque systémique pour le système financier canadien provient des six grandes banques canadiennes; la taille de leurs actifs, la diversité de leurs opérations, les liens entre elles, en font des institutions financières systémiquement importantes. Or, ces banques relèvent entièrement de la juridiction fédérale. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et la Banque du Canada détiennent l’autorité nécessaire pour imposer toutes les mesures appropriées à ces institutions.

Les produits dérivés négociés de gré à gré (OTC) ont aussi joué un rôle important dans le déclenchement de la dernière crise financière (que l’on se rappelle AIG et sa quasi-déconfiture en conséquence de sa massive implication dans les dérivés de crédit)). Ces instruments sans frontières et négociés en volume astronomique pourraient derechef créer des problèmes pour le système financier international. Aussi, il convient de les encadrer de façon serrée. À la Banque du Canada incombe un rôle de premier plan cet égard mais la mise en place d’un tel encadrement exige un haut niveau de coopération et de coordination entre la Banque du Canada, les Autorités canadiennes des valeurs mobilières (ACVM) et le BSIF. Or, des règles et des démarches prudentielles pour les produits dérivés de gré à gré ont été adoptées et seront mises en place sans nul besoin d’une commission centrale des commissions des valeurs mobilières.

Le nouveau stratagème du gouvernement fédéral comporte deux volets, expressément conçus pour contourner la décision de la Cour Suprême.

«Cela étant dit, rien n’interdit la démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux…»

 (Jugement de la Cour suprême, décembre 2011)

Alors, remplaçons l’expression « commission nationale des valeurs mobilières » par « organisme coopératif de réglementation des marchés de capitaux » (OCRMC) mais assurons-nous que les provinces adopteront une seule loi « provinciale » qui sera uniforme et commune à toutes les provinces participantes, l’équivalent en pratique d’une loi fédérale!

«La nécessité de se prémunir contre des risques systémiques et d’y répondre pourrait fonder une législation fédérale visant le problème national qui résulte de ce phénomène…»

 (Jugement de la Cour suprême, décembre 2011)

Le gouvernement fédéral produira donc une « loi fédérale complémentaire » portant notamment sur les questions de droit pénal, le risque systémique et autres questions; cette loi sera imposée à toutes les provinces même celles qui auront refusé de se joindre à l’organisme «coopératif».

Par la suite, un protocole d’entente sera établi pour créer à Toronto une structure administrative centralisée dirigée par un régulateur en chef, chef de la direction. Des « bureaux régionaux », dirigés par un régulateur en chef adjoint sous l’autorité du bureau central, offriront la gamme de services offerts à l’heure actuelle par les autorités en valeurs mobilières provinciales.

Cette proposition centralisatrice n’est recevable que parce que certaines provinces sont prêtes à déléguer à cette entité centrale une compétence qui leur revient de plein droit. Le ministre des finances fédéral a mené et continue de mener une opération de séduction envers certaines provinces en leur offrant des babioles d’engagement, des assurances de coopération et en jouant de la carotte et du bâton pour obtenir ce qu’il veut.

Sauf dans le cas de l’Ontario, qui rêve depuis toujours d’un « organisme national de réglementation » situé à Toronto afin de consolider sa position à titre de place financière unique du Canada, il est difficile de comprendre pourquoi les autres provinces se rallieraient à un tel projet.

Les ministres des Finances provinciaux de l’Alberta, du Manitoba et du Québec devront faire valoir, une fois de plus, leurs arguments en faveur d’une autorité provinciale, avec fermeté et de façon persuasive. Ils devront implorer leurs homologues aux Finances d’y penser à deux fois avant d’accepter un tel projet, et leur faire comprendre qu’il s’agit là d’une question d’une grande importance, tant sur plan de la substance que de la symbolique.

Si les autres provinces devaient se joindre au projet fédéral, ce qui ne semble pas imminent en ce qui concerne l’Alberta à tout le moins, le gouvernement fédéral aurait réussi à isoler le Québec et à placer le gouvernement québécois devant un dilemme pénible : faire cavalier seul ou accepter de coopérer avec un organisme fédéral auquel il est opposé en droit et en pratique. Pour le Québec unanime dans son opposition à ce projet, ce geste du gouvernement fédéral avec la complicité de certaines provinces pourrait faire de cette histoire un mini lac Meech !

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 Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l'auteur.

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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