Divulguer le salaire du PDG et celui de l'employé moyen, une bonne idée?

Publié le 19/10/2015 à 09:54

Divulguer le salaire du PDG et celui de l'employé moyen, une bonne idée?

Publié le 19/10/2015 à 09:54

Afin de contenir la rémunération des dirigeants d’entreprises, que d’aucuns jugent excessive, il fut maintes fois proposé de publier le rapport entre ce qui est payé au premier dirigeant et ce qui est payé à un employé-type de l’entreprise. L’efficacité de cette mesure proviendrait soit, d’un sentiment de gêne que susciterait cet étalage public, soit, de pressions sociales ou politiques que pourraient provoquer des inégalités criantes ainsi dévoilées.

Un tel ratio a d’ailleurs fait l’objet de demandes répétées du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) qui souhaiterait qu’une telle divulgation soit imposée aux entreprises canadiennes ou que celles-ci en fassent volontairement état.

Or, en août dernier, sans trop faire de bruit, la Security and Exchange Commission (SEC) a publié les derniers amendements et la version finale de sa réglementation exigeant que les entreprises cotées en bourse aux États-Unis divulguent le ratio de la rémunération du principal dirigeant comparativement à la rémunération de l’employé médian (soit la rémunération qui est telle que la moitié des employés ont une rémunération inférieure à celle-ci et la moitié une rémunération supérieure).

C’est dans la foulée de l’implantation de la Loi Dodd-Frank de 2010 que les États-Unis tenteront cette expérience, qui fera certes saliver de nombreux observateurs du milieu de la rémunération. Ainsi, tous les émetteurs cotés aux États-Unis et assujettis à cette nouvelle règle (plus de 3 500 entreprises) devront commencer à divulguer ce ratio lors de l’exercice débutant le ou après le 1er janvier 2017. Pour le moment, les sociétés canadiennes listées aux États-Unis n’auront pas à s’y conformer.

Plusieurs organismes américains, comme Bloomberg ou la centrale syndicale AFL-CIO, publient déjà des approximations de ces ratios qui ont suscité de vives critiques sans toutefois provoquer des changements importants.

La nouvelle réglementation adoptée par la SEC offrira un nouvel étalon de mesure valide et bien calibré pour apprécier la rémunération des dirigeant (notamment pour le say on pay). Selon les données recueillies par diverses sources, on constate que la rémunération médiane d’un PDG dans les années 1960 représentait environ 25 fois le salaire moyen d’un employé de production; au cours des années 80 ce ratio augmente pour s’établir à 50 fois environ et ce jusqu’au début des années 90; puis le ratio augmente exponentiellement pour atteindre près de 200 en 2010 aux États-Unis et quelque 150 fois au Canada.

Pour plusieurs observateurs, ce ratio représente la manifestation la plus éloquente des inégalités économiques et sociales au sein de nos sociétés.

Toutefois, ce qui semble à première vue une donnée limpide et d’un calcul simple s’avère à l’examen plus complexe et moins irréfutable qu’il n’y parait.

La version finale du règlement déposé par la SEC s’étend sur 294 pages pour expliciter tous les aspects de la fabrication de ce ratio! Ainsi, la SEC dût clarifier plusieurs points litigieux, par exemple:

  • Quel est le périmètre géographique pertinent?
  • Comment tenir compte des différences de coût de la vie selon les différentes juridictions?
  • Comment déterminer les employés pour lesquels le calcul de ce ratio sera effectué?
  • Comment identifier l’employé médian dont la rémunération servira de dénominateur au calcul de ce ratio?

À ces questions s’ajoutent la détermination de la méthode de calcul de la rémunération totale (laquelle doit être sur la même base au numérateur et au dénominateur), les modalités d’ajustement lorsque survient un changement de dirigeant en cours d’année, le choix de la date retenue pour établir le nombre d’employés, et ainsi de suite.

Malheureusement, ce qui semblait une idée intéressante de prime abord devient un exercice complexe en pratique dont les résultats devront être interprétés avec prudence.

De plus, un indicateur unique capte mal la réalité spécifique à chaque entreprise mais il sera bien difficile de résister à la tentation de tirer des conclusions dramatiques à la publication de ces ratios. Ainsi, le rapport entre la rémunération du premier dirigeant et la rémunération médiane dans une entreprise de services spécialisés (banques d’affaire, comme Goldman Sachs, etc.) sera assurément plus faible en raison des haut salaires généralement payés dans cette industrie que pour une entreprise de distribution ou de commerce de détail où l’employé médian est, par exemple un(e) caissier (ière) à temps partiel.

Dans cet exemple, la première firme pourrait avoir un ratio de 50 et la seconde de 300. Doit-on applaudir la première pour sa frugalité et critiquer la seconde pour un score aussi scandaleux? Pourtant, le PDG de la première firme reçoit, disons, une rémunération de 10M$ et l’employé médian de 200 000$, alors que le PDG de la seconde entreprise a obtenu une rémunération de 6M$ et l’employé médian de 20 000$. Le premier PDG dirige 300 employés répartis dans 3 bureaux aux États-Unis et le second 75 000 employés répartis dans un réseau de 1 000 établissements dans 5 pays.

Comme nous l’avons écrit dans une prise de position antérieure (IGOPP, 2012, p.57) :

«Au-delà des principes d’équité, l’enjeu [de la rémunération des dirigeants] revêt une importance pratique pour tous ceux qui sont préoccupés du bon fonctionnement et de la compétitivité des entreprises sur le long terme. Des rémunérations fastueuses au-delà du raisonnable risquent de miner la légitimité sociale et politique de l’entreprise. D’importants décalages de rémunération au sein d’une même entreprise risquent d’engendrer la perte du sentiment d’appartenance, de solidarité, de responsabilité partagée, de cette précieuse perception chez les membres de l’organisation « que nous sommes tous dans le même bateau».

L’IGOPP y formulait la recommandation suivante:

Recommandation 3
Les conseils d’administration des sociétés cotées en bourse devraient établir un rapport juste et productif entre la rémunération totale du chef de la direction et le revenu médian des salariés de l’entreprise.

Toutefois, la décision des conseils d’administration sur cette question ne devrait pas être rendue publique, puisque cette sorte d’information exige d’être interprétée en tenant compte de beaucoup de facteurs contextuels. Sans ce contexte, un tel ratio rendu public ne servira qu’à alimenter des reportages sensationnalistes. Toutefois, les sociétés ouvertes devraient déclarer dans un document d’information officiel que leur conseil d’administration a adopté des politiques de rémunération justes et équitables, comprenant la détermination d’un plafond pour ce rapport, après considération de tous les facteurs pertinents.

Les conseils d’administration portent la responsabilité d’établir des politiques de rémunération pour les dirigeants qui soient justes et équitables, comprenant la détermination d’un plafond pour un tel ratio, tout en demeurant sensibles aux particularités contextuelles propres à l’organisation.

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs. Texte Coécrit avec François Dauphin, MBA, CPA, CMA, directeur de la recherche, IGOPP

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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