Le sauvetage «acrobatique» d’Osisko

Publié le 07/04/2014 à 12:08

Le sauvetage «acrobatique» d’Osisko

Publié le 07/04/2014 à 12:08

Quelles acrobaties financières faut-il faire au Canada pour empêcher qu’une entreprise ne passe aux mains d’un acquéreur malgré l’opposition de son conseil d’administration?

Goldcorp veut acheter la société minière Osisko à un prix que le conseil d’administration juge insuffisant.

Dans un pays « normal », un conseil d’administration évalue une proposition d’achat et, soit, décide d’en recommander l’acceptation aux actionnaires, soit, la juge inacceptable parce que contraire à l’intérêt à long terme de l’entreprise. Pourquoi alors ne pas laisser les actionnaires décider par eux-mêmes si cette offre d’achat leur convient?

1. Parce que le système financier de nos jours est ainsi constitué qu’au moment de soumettre une telle offre au jugement des actionnaires, ceux-ci sont composés en bonne partie de fonds d’arbitrage et de couverture nouvellement arrivés comme actionnaires et dont l’intérêt est de faire en sorte que l’entreprise soit vendue le plus rapidement possible. On ne peut assujettir le destin des entreprises aux intérêts de tels spéculateurs et autres « actionnaires-touristes ».

2. Parce que le devoir fiduciaire du conseil comporte l’obligation de prendre des décisions dans l’intérêt à long terme de la société, tenant compte des intérêts de multiples parties prenantes et non des seuls intérêts des actionnaires.

Si un acheteur ou un actionnaire juge que le conseil n’a pas agi dans l’intérêt de la société, il peut faire appel aux tribunaux compétents pour apprécier le jugement d’affaires du conseil d’administration et sa conformité aux obligations fiduciaires qui lui sont imparties.

Au Canada, rien de cela ne tient. La règlementation concernant les prises de contrôle de sociétés adoptée par les commissions des valeurs mobilières canadiennes ne laisse aucune autorité au conseil dans de telles situations. L’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec veut changer cette situation intenable et contraire à la loi canadienne et aux jugements de la Cour suprême mais les commissions des autres provinces, de l’Ontario en particulier, résistent, trainent la patte.

Alors, que reste-t-il comme mesure pour tenter de barrer la route à l’acquéreur « hostile » et de conserver le siège social de la société au Québec? Le recours à des montages financiers compliqués comme celui annoncé la semaine dernière par Osisko.

Pour la Caisse de dépôt et placement du Québec, le montage est astucieux. Il lui permet de contribuer à ce double objectif sans créer un précédent qui ferait en sorte que la Caisse soit appelée à prendre des participations de blocage dans toute entreprise québécoise sur le point de subir une prise de contrôle non souhaitée.

En effet, l’investissement de $275 millions de la Caisse lui donne en échange droit à 37 500 onces d’or à un prix égal à 42% du prix au marché de l’or. Ce contrat est assorti d’options de vente et de rachat structurées de telle sorte que la Caisse réalisera un rendement minimal de 8% si elle exerce son droit de vente. Ce qu’elle fera assurément à moins que le prix de l’or ne bondisse et se maintienne à $1 600 l’once.

Au prix actuel de quelque $1 300 l’once et sur un horizon d’exploitation de la mine de 15 ans, le rendement pour la Caisse résultant de cet arrangement ne serait que de 5,5%; à $1 600 l’once, son rendement serait d’environ 9,4%.

L’objectif important pour la Caisse consistait à rendre réalisable une transaction de blocage sans créer le précédent d’investir dans les actions d’Osisko au prix courant, lequel est gonflé par la perspective d’une transaction.

L’opération est habile mais la partie n’est pas finie…C’est au tour de Goldcorp de jouer.

Ce serait tellement plus simple et plus normal d’accorder au conseil d’administration, en pareilles circonstances, une autorité commensurable à ses responsabilités fiduciaires. Il faut au plus vite que les propositions de l’AMF deviennent opérantes au Québec et au Canada afin d’éviter le recours à des astuces et des arrangements alambiqués pour faire le travail qu’un conseil d’administration devrait faire.

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 Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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