SNC-Lavalin, Gouvernance et Éthique

Publié le 20/12/2012 à 08:47, mis à jour le 16/11/2016 à 11:41

SNC-Lavalin, Gouvernance et Éthique

Publié le 20/12/2012 à 08:47, mis à jour le 16/11/2016 à 11:41

Blogue - Les conseils d’administration ont tendance à pratiquer une sage obédience à la pléthore de règles de bonne gouvernance afin de ne pas contrarier les conseillers en gestion de procuration, les investisseurs institutionnels et autres gendarmes de la gouvernance et afin d’obtenir de bonnes notes de gouvernance des organismes qui distribuent de telles notes, dont, au Canada, le Globe and Mail.

SNC-Lavalin : champion de la «bonne» gouvernance

Selon tous les indicateurs de «bonne» gouvernance, SNC-Lavalin se qualifie haut la main comme société exemplaire. En effet, depuis que le Globe and Mail publie un ordonnancement annuel de quelque 250 sociétés canadiennes selon la qualité de leur gouvernance, SNC-Lavalin arrive dans les tout premiers rangs : 1er en 2005 et 2009, 2ième en 2006, 3ième en 2008, 7ième en 2003, 2011, 2012.

La société fournit une abondante information sur ses pratiques de gouvernance (une dimension du score du Globe and Mail porte justement sur la qualité de la divulgation).

- La circulaire de sollicitation de procurations pour l’année 2011 nous informe sur des points précis souvent absents des rapports des sociétés: par exemple, les membres du conseil ont participé à des sessions de formation comportant 50 présentations sur divers projets de par le monde ou encore les membres du conseil furent informés sur les enjeux mondiaux et stratégies d’acquisition dans des pays spécifiques : Inde, Australie, Brésil, Libye, Asie du Sud-Est; (Circulaire de sollicitation, Supplément D, 2 avril 2012).

 - La circulaire de 2010 présente une grille des compétences des membres du conseil (grille qui n’apparait pas pour 2011), laquelle nous informe que 7 membres du conseil sur 12 déclarent «bien connaitre les régions géographiques où la Société exerce ses activités» et que 9 membres sur 12 déclarent «posséder une expérience commerciale internationale».

 - Le mandat du comité de gouvernance (appelé dans ce cas Comité de régie), présenté sur le site de la Société, stipule que le comité doit revoir chaque année un rapport que produit la direction de la Société sur les pratiques de celle-ci au chapitre des initiatives anticorruption, des ententes avec des agents de vente et d’autres questions connexes.

- Le rapport annuel de la Société pour 2010 décrit les risques auxquels la Société est soumise; parmi ceux-ci, on trouve : LOIS ANTI-CORRUPTION-Compte tenu du contexte réglementaire et juridique dans lequel la Société exerce ses activités, la Société est assujettie à des lois anticorruption qui interdisent les paiements illégaux faits directement ou indirectement à des représentants d’un gouvernement, d’organismes, ou à toutes personnes telles que définies dans ces lois anti-corruption dans le but d’obtenir ou de conserver un avantage dans le cours de ses affaires. L’inobservance de telles lois par la Société pourrait avoir une incidence sur la Société de diverses manières, notamment par l’imposition de sanctions juridiques, de nature pénale, civile ou administrative. Les contrôles, politiques et pratiques de la Société sont conçus pour assurer l’observance de ces lois. (Emphase ajoutée)

Le rapport de gestion pour 2011 reprend une bonne partie de ce texte mais, au lieu de la phrase finale portant sur les contrôles conçus pour assurer l’observance de ces lois, se limite à affirmer que «Nos politiques exigent le respect des lois anti-corruption».

- Le comité de gouvernance, présidé par le président du conseil, fait état dans son rapport d’activités des principales questions abordées au cours de l’année; le calendrier de suivi pour les années 2010 et 2011 comporte une longue liste d’éléments avec à la toute fin parmi les «autres tâches» la mention : examen des initiatives anticorruption (Circulaire de sollicitation, pages 131-132, 2 avril 2012).

- La Société a créé un comité d’approbation des soumissions et investissements (CASI), composé seulement de membres de la direction, et un CASI élargi, composé de membres de la direction ainsi que du président du conseil et du président du comité d’audit; toutefois, malgré son nom, le CASI élargi ne revoie aucune soumission mais doit approuver les investissements/acquisitions ou désinvestissements visant des sociétés lorsque les montants en jeu se situent entre $50 millions et $200 millions.

 Les garde-fous de l’éthique

 Tous les conseils d’administration s’appuient sur l’information qui leur est transmise par la direction. Tant qu’on ne changera pas la forme de gouvernance des sociétés ouvertes (cotées an bourse), ce fait constitue le talon d’Achille de tous les conseils d’administration. Si la direction omet de l’informer ou lui fournit une information fausse ou tronquée, le conseil ne peut jouer pleinement son rôle. C’est pourquoi toutes les règles de gouvernance, aussi pointilleuses et exhaustives fussent-elles, ne pourront jamais garantir la véracité des résultats ni mettre la société à l’abri des surprises désagréables.

Mais quelles questions auraient pu inquiéter les 7 membres du conseil qui déclarent bien connaitre les pays où la Société exerce ses activités ou les 9 membres qui déclarent posséder une expérience commerciale internationale?

1. Devons-nous permettre à la Société de prospecter pour des contrats dans des pays aux mœurs politiques exotiques? Devrions-nous fixer un seuil minimum quant au score en matière de corruption que reçoivent les pays de la part de Transparency International par exemple? Tout pays ne recevant pas un score au-delà du minimum serait exclu pour les fins de prospection de contrats par la société. Si la société et son conseil décident de permettre la prospection dans des pays avec un mauvais score de corruption (une décision à haut risque «réputationnel»), quelles mesures additionnelles devrait-on prendre, quels garde-fous particuliers doivent être mis en place dans ces situations?

2. Qui a l’autorité d’approuver un contrat d’agent de vente? Jamais, auraient déclaré les membres ayant une compétence pertinente, une telle responsabilité ne doit résider chez des cadres opérationnels ou chez le responsable des activités internationales de la société. Le PDG, le chef des affaires juridiques et le chef de la direction financière devraient ensemble revoir les propositions de contrats d’agent de vente et donner leur approbation, s’il y a lieu. Le PDG devrait faire rapport trimestriellement au comité de gouvernance de tous les nouveaux contrats d’agence. Ce rapport devrait contenir l’information identifiée en réponse à la question suivante.

3. Une autre question que les membres expérimentés du conseil ont du, auraient du, soulever : quelles informations devraient accompagner toute demande d’approbation d’un agent de vente? La société ne devrait-elle pas demander à l’ambassade du Canada dans le pays concerné un rapport sur la société ou l’individu proposé comme agent de vente. S’agit-il d’une société qui a bonne réputation? L’agent de vente proposé est-il relié de quelque façon à des membres du gouvernement responsables de prendre des décisions dans des dossiers pertinents? Enfin, le taux de commission proposé est-il justifié par une analyse détaillée du coût des activités que devra entreprendre l’agent de vente?

 Ah, dira-t-on, les «autres», les concurrents, ne prennent pas de telles précautions. D’abord, «tout le monde le fait, fais le donc» n’est pas une très bonne défense devant la loi; et la loi canadienne est claire et sévère à ce sujet. Puis, les coutumes des entreprises de naguère changent au gré des lois et des sanctions.

Conclusion

Que conclure de la saga en cours de SNC-Lavalin?

1. La gouvernance fiduciaire, bien que nécessaire, n’est pas suffisante et souffre de rendements rapidement décroissants. La gouvernance, tout «exemplaire» soit-elle, ne protège pas la société contre les agissements de la direction non autorisés et non divulgués au conseil;

2. En matière d’éthique, il faut éviter les occasions qui font le larron; la décision de mener des activités commerciales dans des pays dont il est notoire que toute transaction avec les gouvernements ou leurs instances comporte souvent des arrangements illicites fait assumer un risque incommensurable; aucune politique ni aucun code de déontologie ne pourront protéger complètement la société contre ces risques.

3. Les conseils d’administration, dans la forme classique de gouvernance, sont toujours un peu comme des patineurs faisant des «huit» sur un lac gelé; le foisonnement d’activités dans le lac leur est à peine visible.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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