Les redevances minières : statu quo enrubanné

Publié le 13/05/2013 à 12:09, mis à jour le 16/11/2016 à 11:08

Les redevances minières : statu quo enrubanné

Publié le 13/05/2013 à 12:09, mis à jour le 16/11/2016 à 11:08

BLOGUE: La mise en œuvre d’un nouveau régime fiscal s’avère toujours une opération délicate, un arbitrage entre le raisonnable et le possible.

Devant naviguer entre le Charybde de promesses électorales mal conçues et le Scylla d’une industrie minière aux abois, le ministre des finances en est arrivé, après des mois de tergiversation et de consultation, à proposer une version plus opaque et plus complexe du régime actuel, agrémenté de quelques guirlandes.

Au premier abord, le «nouveau» régime semble adopter le principe d’un régime hybride à deux composantes:

  1. Une redevance sur la valeur du minerai extrait;
  2. Un impôt minier progressif selon la marge bénéficiaire de la société minière.

Mais voyons de plus près ce qui est vraiment proposé.

1. Redevances ad valorem

Pour établir cette redevance, le gouvernement propose un concept importé du secteur du pétrole et du gaz : la valeur à la tête du puits. Une redevance ad valorem, un concept fréquemment utilisé ailleurs, est habituellement imposée sur les revenus nets sur la fonderie (RNF), un concept d’application simple :

II s’agit de la valeur figurant sur les factures, qui représente souvent les revenus nets sur la fonderie (RNF). L’avantage est qu’elle est définie de manière non équivoque et donne lieu à des vérifications plus simples, à des coûts administratifs réduits et à moins de litiges. (P. Guj, 2012)

En utilisant un concept inusité dans le secteur minier, on peut lui donner le sens que l’on veut. Ainsi, le document du gouvernement nous informe (plus ou moins) sur la façon de calculer cette valeur à la tête du puits :

Valeur brute de la production annuelle relative à la mine

Moins :

- Dépenses engagées pour la réalisation de la valeur brute de la production annuelle à l’égard de la mine qui se rapportent :

  • aux activités de concassage, de broyage, de tamisage, de traitement, de manutention, de transport et d’entreposage de la substance     minérale provenant de la mine, à partir de son premier site d’accumulation après sa sortie de la mine;
  • aux activités de commercialisation de la substance minérale.

- Dépenses générales et administratives qui se rapportent aux activités ci-dessus;

- Allocation pour amortissement des biens utilisés dans les activités d’exploitation minière à partir du premier site d’accumulation de la substance minérale après sa sortie de la mine;

- Allocation pour traitement.

= Valeur de la production à la tête du puits à l’égard de la mine

(Source : UN NOUVEAU RÉGIME D’IMPÔT MINIER ÉQUITABLE POUR TOUS, page 10)

Ce document nous assure que si toutes ces déductions devaient faire en sorte que la valeur à la tête du puits soit moins de 10% de la valeur brute, un seuil de 10% sera utilisé pour les fins du calcul de la redevance!

Sur cette valeur à la tête du puits, jusqu’à concurrence de $80 millions, on prélèvera 1%; puis 4% sur les montants supérieurs à $80 millions.

Mais attention : si l’impôt minier est supérieur à cette redevance, on ne paie pas de redevances mais seulement l’impôt minier; puis, la redevance payée une année peut servir en grande partie à réduire l’impôt minier des années subséquentes. (Pour l’exemple fourni dans le document du gouvernement, la minière peut utiliser 80% de la redevance pour diminuer les impôts miniers à payer au cours des années subséquentes.)

2. Impôt minier

Cette partie de la proposition du gouvernement est alambiquée et porte à confusion. En effet, un principe crucial de la réforme du régime minier mis en place par le gouvernement libéral en 2010 portait sur le calcul de l’impôt minier « mine par mine » et non pas sur les résultats consolidés d’une société exploitant plusieurs mines.

[Notons que la définition du profit minier, un exercice d’ésotérisme comptable, est assortie d’exemptions et de crédits de nature diverse; il en résulte un profit imposable sans commune mesure avec la réalité économique de la mine.]

Ainsi, le budget du gouvernement libéral pour 2012-2013 comporte derechef l’affirmation suivante :

Le nouveau régime de droits miniers s’applique maintenant sur une base « mine par mine ».

- Chaque mine réalisant des profits doit désormais payer des redevances.

- Les pertes d’une mine ne peuvent plus réduire les profits d’une autre, peu importe la structure corporative de l’exploitant.

(LE QUÉBEC ET SES RESSOURCES NATURELLES : Pour en tirer le plein potentiel, Annexe au budget 2012-2013, p.30)

Curieusement, le document expliquant le nouveau régime proposé ne fait aucune référence au principe de « mine par mine »; au contraire, il est écrit que le nouveau régime introduit une structure de taux progressifs, fondée sur la rentabilité de la production annuelle de l’ensemble des mines d’un exploitant. Plus la rentabilité d’un exploitant sera élevée, plus le taux d’impôt marginal applicable sur le profit minier sera élevé.

Le document fournit, à la page 12, le mode de calcul de la marge bénéficiaire :

Calcul de la marge bénéficiaire:

La marge bénéficiaire d’un exploitant, pour un exercice financier, se calculera en appliquant la formule suivante :

Profit minier de l’exploitant/Total de la valeur brute de la production annuelle pour l’ensemble des mines qu’il exploite.

On prétend que ce qui est proposé équivaut exactement au mode de calcul mis en place par la réforme du gouvernement libéral, que les pertes d’une mine ne peuvent diminuer les profits réalisés dans d’autres mines du même exploitant.

Il semble que, dans un cas comme l’autre, on additionne les profits sans soustraire les pertes des mines déficitaires. La lecture du document décrivant le nouveau régime proposé est loin d’être limpide sur ce point.

Le fait qu’il en soit ainsi pour le régime actuel ne contrevient pas au principe « mine par mine » puisque un seul taux d’impôt minier (16%) s’applique aux profits réalisés

Il en va autrement avec le nouveau régime proposé puisque celui-ci prévoit un taux d’impôt minier qui varie de 16% lorsque la marge bénéficiaire est de 35% ou moins à 17,8% pour une marge de 50% et de 21,2% pour une marge de profit de 75%. (Notons au passage que le programme du PQ définissait un superprofit comme une marge de profit supérieure à 8%!).

Le fait de ne pas calculer cette marge de profit « mine par mine » fait une différence qui pourrait devenir significative avec le nouveau régime; en effet, une société exploitant trois mines dont une très rentable (disons avec une marge de 50%) et deux mines en début d’exploitation comportant des revenus bruts mais pas de profits serait imposée selon la marge bénéficiaire globale (probablement inférieure à 35%) et non pas au taux applicable à la mine dégageant une marge de 50%.

En bout de piste, cela n’a guère d’importance puisque le taux d’imposition progresse lentement et ne devient significatif que lorsque les marges de profit atteignent des niveaux rarement vus en pratique (marge de profits de 75%, de 100% !!)

Conclusion

- Les changements proposés n’apporteront que peu de revenus additionnels au trésor québécois;

- Le régime proposé est plus complexe et opaque que le régime actuel;

- Le régime actuel ainsi que le régime proposé souffrent d’une faille identique : ils confondent profits et marges de profits avec le rendement raisonnable sur les investissements; une marge de profits de 40% ne signifie rien tant qu’on ne connait pas la somme des investissements qui furent nécessaires pour réaliser cette marge; une marge de 20% peut produire des rendements supérieurs sur l’investissement par comparaison à une marge de 40%;

- Le régime actuel comme celui proposé demande trop des minières lorsque les conditions de marché sont mauvaises et pas assez lorsque les conditions sont très favorables.

Le Québec avait une occasion de proposer un régime innovateur, sensible aux enjeux de l’exploitation minière tant pour la société que pour les entreprises minières. Ainsi que note un expert australien à propos d’un régime de redevances arrimé à la rente économique excédentaire :

Bien que le concept général soit relativement simple, sa mise en œuvre pratique peut être complexe et est souvent mal comprise …mais plusieurs juridictions prévoient l’introduction (d’un tel régime de redevances) dans un avenir proche. (P. Guj, Les redevances minières et autres impôts spécifiques à l’industrie minière, 2012)

(Pour ceux que le sujet intéresse, voir le site www.igopp.org

Le gouvernement du Québec a plutôt choisi de tripoter le régime actuel, de le complexifier, de l’enrubanner pour sembler répondre aux attentes qu’il a suscitées. C’est dommage.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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