Les femmes aux contrôles

Publié le 01/10/2013 à 11:43, mis à jour le 16/11/2016 à 10:40

Les femmes aux contrôles

Publié le 01/10/2013 à 11:43, mis à jour le 16/11/2016 à 10:40

Sherron Watkins, ancienne vice-présidente chez Enron

BLOGUE - La société canadienne, comme beaucoup d’autres dans le monde, cherche les moyens de relever la proportion de femmes dans des postes de responsabilité aux conseils d’administration, à la haute direction des entreprises et des organismes publics ainsi qu’au sein des gouvernements.

Une fois avérée l’hypothèse selon laquelle l’intelligence, la compétence, l’intégrité et l’indépendance d’esprit sont également réparties entre hommes et femmes, cet objectif devient un enjeu d’équité. Cet objectif n’a pas à être validé par des études empiriques, toujours sujettes à de sérieuses réserves méthodologiques, qui tenteraient de démontrer, au mieux, une corrélation entre le taux de participation des femmes et une performance supérieure.

Si les études bêtement statistiques me semblent oiseuses, par contre l’observation empirique révèle un nombre significatif de situations pour lesquelles des femmes ont joué, ou tenté de jouer, un rôle crucial pour empêcher des catastrophes financières de se produire ou pour contribuer à s’en sortir. Voici un palmarès d’honneur, parmi d’autres :

Sherron Watkins, celle qui a alerté Ken Lay, alors le PDG d’Enron, à propos de traitements comptables frauduleux et tenté de le convaincre de prendre des mesures immédiates pour corriger la situation; Lay l’écouta mais ne l’entendit point. Grand mal lui en pris.

Brooksley E. Born, présidente du Commodity Futures Trading Commission (CFTC) de 1996 à 1999, l’agence fédérale américaine responsable de la supervision des produits dérivés transigé sur des bourses. Mme. Born, inquiète du volume croissant exponentiellement de produits dérivés et du peu de transparence entourant ces transactions de gré à gré (par exemple les dérivés de crédit), proposa en 1999 de permettre au CFTC d’instaurer un encadrement règlementaire pour tous les produits dérivés transigés de gré à gré. Si son projet eut été accepté, cette initiative aurait pu nous éviter la crise financière de 2008; mais un trio infernal et influent se mit en branle pour tuer dans l’œuf cette initiative. Robert Rubin, Secrétaire au trésor (avec son adjoint principal à l’époque Larry Summers), Alan Greenspan, le président de la Fed (banque centrale américaine) et Arthur Levitt, le président de la Securities and Exchange Commission firent en sorte que le mandat de Mme. Born ne soit pas renouvelé par le Président Clinton et amenèrent le Congrès à voter une loi interdisant au CFTC de règlementer les produits dérivés de gré à gré!

Julie Dickson, la surintendante des institutions financières canadiennes depuis juin 2007. Si la crise financière mondiale a épargné le Canada, on le doit en bonne partie au Bureau du surintendant des institutions financières canadiennes. Pendant que Mark Carney, alors Gouverneur de la Banque du Canada, recevait les applaudissements, paradait avec fierté à Davos, laissant croire que la Banque du Canada était la grande responsable de cette performance canadienne, Mme. Dickson continuait à faire son job discrètement. Son bureau exerce le véritable contrôle sur les banques et sociétés d’assurance. C’est Mme. Dickson qui a l’autorité d’imposer aux banques des mesures préventives et prudentielles. Ainsi, elle a formellement identifié les six grandes banques canadiennes comme représentant un risque systémique et leur imposera donc les mesures prévues dans les accords de Bâle pour de telles institutions.

Sheila Colleen Bair, la présidente de la U.S. Federal Deposit Insurance Corporation de 2006 à 2011. Mme. Bair, grande responsable de la supervision des banques commerciales, joua un rôle de premier plan au cours de la crise financière. C’est elle qui était responsable de déclarer une banque insolvable et de prendre les mesures pour protéger les épargnants et minimiser les couts de la garantie des dépôts dont la FDIC est responsable.

Madelyn Antoncic, la responsable des risques (« Chief Risk Officer ») chez Lehman Brothers de 2004 à 2007. Lorsque Mme. Antoncik s’opposa au relèvement des limites de risques ainsi qu’à la façon de calculer le niveau de risques, elle fut déplacée vers un poste symbolique éloigné des enjeux de risque. Eut-elle été écoutée en 2007, Lehman, qui fit faillite le 15 septembre 2008, aurait pu connaitre un autre sort.

Elizabeth Warren, professeure de droit au Harvard Law School, présidente du Congressional Oversight Panel en 2009 et maintenant sénatrice du Massachussetts. Mme. Warren avait mis en garde contre l’endettement des ménages et les pratiques frauduleuses des pourvoyeurs de prêts hypothécaires, lesquels deviendraient les déclencheurs de la crise financière de 2008. Comme présidente du Congressional Oversight Panel, elle avait comme responsabilité de surveiller comment étaient utilisés les argents appropriés par le Congrès pour sauver les banques et composer avec la crise financière. Elle mena un interrogatoire public de Timothy Timothy Geithner, alors Secrétaire au trésor, qui fera annale par sa précision et sa persistance. Elle cherchait à comprendre les raisons pour lesquelles il avait été aussi « généreux » avec les contreparties d’AIG (Goldman Sachs, JP Morgan, Merrill Lynch, etc.).

Mary Jo White, l’actuelle présidente de la Securities and Exchange Commission (SEC). Mme. White, une féroce procureure fédérale pour le district de New York, assume ses fonctions à la SEC avec la même vigueur et détermination. Ainsi, elle vient d’obtenir, ce qui est quasiment une première, un règlement avec JP Morgan Chase (pour l’affaire des produits spéculatifs qui a fait perdre $6 milliards à JP Morgan) dans lequel la société reconnait sa responsabilité. De tout temps, la norme dans ces affaires était que le coupable ne plaide pas coupable mais paie une amende sans reconnaitre sa responsabilité. Mme. White vient de mettre un terme à cette pratique.

On pourrait ajouter à cette liste plusieurs noms de femmes, comme Christine Lagarde par exemple, la présidente du Fonds Monétaire International, qui ont joué ou jouent encore un rôle de supervision et de contrôle des marchés financiers et des risques pour notre système financier.

Il me semble que cet alignement d’expérience de femmes dans des positions de contrôle financier est porteur d’un message important. Elles témoignent de leur compétence et de leur courage, deux vertus bien rarement réunies chez la même personne de nos jours.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

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Yvan Allaire est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance (IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. Il est membre de la Société royale du Canada ainsi que du Council on Global Business Issues du World Economic. Professeur de stratégie pendant plus de 25 ans, il est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées, dont les plus récents coécrit avec le professeur Mihaela Firsirotu : Capitalism of Owners (IGOPP, 2012), Plaidoyer pour un nouveau capitalisme (IGOPP, 2010), Black Markets and Business Blues (FI Press, 2009), à propos de la crise financière et de la réforme du capitalisme.

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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