La grande difficulté d'analyser la société la plus suivie du monde

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Août 2016

La grande difficulté d'analyser la société la plus suivie du monde

Offert par Les Affaires


Édition du 13 Août 2016

[Photo : Bloomberg]

Elle est suivie par plus d'une cinquantaine d'analystes, ses produits et sa stratégie commerciale font l'objet de sites dédiés, et ses faits et gestes sont scrutés à la loupe par une horde de journalistes d'affaires et de technologies partout dans le monde. Malgré l'extraordinaire couverture accordée à Apple (Nasdaq, AAPL, 105,87 $ US), il m'apparaît d'une grande complexité pour l'investisseur individuel d'analyser de façon objective et rationnelle le potentiel de son titre.

Trop, c'est comme pas assez. Pour le commun des investisseurs, comprendre et analyser une entreprise tel le producteur des jus Oasis, Industries Lassonde (Tor., LAS.A, 200,88 $) est exigeant, car à peu près personne ne suit cette entreprise. Leon Aghazarian, de la Financière Banque Nationale, vient d'amorcer le suivi du titre, mais il était jusqu'à tout récemment impossible d'avoir la perspective d'un analyste sur cette société de nature discrète.

C'est tout le contraire en ce qui concerne Apple. Sa performance exceptionnelle au cours de la dernière décennie, tant sur le plan des affaires qu'en Bourse, a agi comme un puissant aimant auprès des investisseurs et des analystes. C'est sans compter les aficionados de la marque à la pomme qui entretiennent une relation fusionnelle avec leur iPhone ou leur iPad.

Apple émerveille, déçoit, intrigue... Si vous consultez les nouvelles d'affaires au quotidien, vous avez de grandes chances de tomber sur du contenu concernant la société dirigée par Tim Cook. Mea culpa. Je gave aussi la bête en traitant d'Apple au moins une fois par semaine dans le cadre de ma rubrique «10 choses à savoir», publiée sur LesAffaires.com.

Chez les investisseurs, le «buzz Apple» a atteint son paroxysme en mai dernier lorsque la plupart des médias financiers du monde ont rapporté que Warren Buffett avait pris une participation d'un milliard de dollars américains dans l'entreprise. En fait, ce n'est pas l'oracle d'Omaha lui-même qui a acheté des actions de la société californienne, mais bien un de ses lieutenants qui gèrent les portefeuilles de Berkshire Hathaway (NY, BRK.B, 143,12 $ US).

Cette seule information a néanmoins sûrement incité de nombreux investisseurs qui suivent aveuglément M. Buffett à se procurer des actions d'Apple. Cela, sans même consacrer quelques minutes à l'analyse du potentiel du titre.

Ces rumeurs qui détournent votre attention

Seulement au cours des trois derniers mois, plus de 50 000 articles contenant les mots «Apple» et «iPhone» ont été publiés parmi les 12 000 sources de la planète recensées par le service eureka.cc. Le pire est à venir. La médiatisation d'Apple grimpera en flèche, au fur et à mesure que nous approcherons du dévoilement prévu de l'iPhone 7, en septembre.

Les rumeurs fusent déjà à propos des caractéristiques du prochain appareil phare d'Apple. Nombreux sont ceux qui prévoient qu'il présentera des changements mineurs par rapport à son prédécesseur. Cet iPhone devrait être le plus mince de l'histoire, grâce au retrait du connecteur femelle pour les écouteurs. De plus, il devrait être doté d'une caméra plus puissante et muni d'une batterie plus efficace.

Apple va probablement rompre cette année pour la première fois de la décennie avec sa coutume de lancer un modèle totalement redessiné. Le cycle de renouvellement complet de l'iPhone passera de deux à trois ans, soutient le quotidien japonais Nikkei.

Toute cette spéculation risque de brouiller votre analyse du potentiel boursier d'Apple. En jugeant faible la probabilité qu'il y ait un «effet wow» lors de la présentation de l'iPhone 7, vous pouvez conclure que la «magie Apple» est éteinte. Et que son titre recèle par conséquent un faible potentiel d'appréciation.

Ce bruit ambiant a pour effet de détourner votre attention de ce qui compte davantage que l'allure de l'appareil. Shad Rowe, gestionnaire de portefeuille pour Greenbrier Partners, expliquait en juin dans la lettre financière Value Investor Insight que bien des investisseurs ont une opinion négative à l'égard d'Apple parce qu'ils voient désormais la société comme un simple fabricant de matériel informatique de base.

D'autres facteurs revêtent une plus grande valeur aux yeux du gestionnaire. Comme le fait que les utilisateurs du système Android migrent vers Apple à un rythme croissant. Ou que les activités liées aux services progressent à un rythme de 20 % annuellement. Ou que l'écosystème Apple (qui comprend les appareils, le service d'abonnement à la musique et Apple Pay, par exemple), est en pleine forme et en croissance. J'utilise un Mac pour écrire cet article et possède un iPad et un iPhone. Je m'estime attaché à l'écosystème d'Apple. Il faudrait de puissants arguments pour me faire migrer vers une autre marque. Le coût de renonciation constitue un avantage concurrentiel considérable pour Apple, estime Brian Colello, analyste de Morningstar.

Sous l'angle financier, le titre comporte des attraits difficiles à ignorer. En excluant l'encaisse, il se négocie à 7-8 fois les bénéfices prévus, souligne M. Rowe. C'est nettement moins que la Bourse américaine dans son ensemble, qui se négocie à 20 fois le bénéfice prévu. Le dividende versé par Apple procure un rendement annuel de 2 %. La société devrait aussi maintenir une politique de retour de capital favorable aux actionnaires, en bonifiant son dividende au fil du temps et en rachetant de ses actions.

Tout cela est bien beau, mais il est fort probable que vous ayez encore l'impression d'être noyé dans l'océan d'informations portant sur Apple après avoir lu cette chronique. Quels facteurs auront le plus d'influence sur le potentiel d'Apple sur cinq à dix ans ? Si vous êtes incapable de répondre à cette question, passez à un autre appel.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin