La Banque Nationale doit confondre les sceptiques

Offert par Les Affaires


Édition du 28 Mai 2016

La Banque Nationale doit confondre les sceptiques

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Édition du 28 Mai 2016

[Photo : Bloomberg]

Le titre de la Banque Nationale (NA, 41,99 $) commande une évaluation moins généreuse que ses rivales en Bourse depuis plusieurs années. Or, compte tenu des récents événements, l'institution montréalaise devra mettre les bouchées doubles pour confondre les sceptiques et regagner une valorisation comparable aux autres banques canadiennes.

Au début de mai, la banque a ébranlé les investisseurs en annonçant l'inscription d'une provision pour pertes sur créances de 267 M$ avant impôts, principalement liée à son portefeuille de prêts aux entreprises du secteur du pétrole et du gaz. Cette mesure va gruger le bénéfice par action de 0,56 $ au deuxième trimestre. D'après Meny Grauman, analyste chez Cormark Securities, la provision pour pertes sur prêts totalisera 330 M$ pour ce trimestre, soit cinq fois plus qu'au premier trimestre.

L'exposition directe du portefeuille de prêts de la Nationale au secteur de l'énergie s'élève à 3,2 G$, soit 2,7 % des prêts totaux de l'institution, selon M. Grauman. La provision annoncée au début de mai recèle un élément important : même une participation limitée à un secteur comme celui du pétrole et du gaz peut entraîner une hausse marquée des pertes sur prêts.

Dans la foulée, l'analyste a abaissé le multiple d'évaluation qu'il attribue au titre, de 9,5 à 9,1 fois le bénéfice prévu en 2017. Ce ratio cours/bénéfice plus bas reflète les risques accrus qui pèsent sur le capital réglementaire que la banque doit maintenir et le fait que les investisseurs se montreront plus sceptiques à l'égard du titre à l'avenir.

Il faut dire que les actionnaires de la Nationale ont été éprouvés depuis l'automne 2015. En octobre, ils ont été ébranlés une première fois par l'annonce d'une émission d'actions inattendue de 300 M$, laquelle coïncidait avec une charge de restructuration de 86 M$. La direction avait alors dû convaincre les investisseurs que cette émission n'était pas le prélude à une détérioration soudaine de son portefeuille de prêts.

Autre tuile en février 2016 : la banque a annoncé la radiation totale de son investissement dans Maple Financial Group, dont la filiale en Allemagne a été fermée par les autorités locales en raison d'irrégularités fiscales. Une radiation de 164 M$ a donc été inscrite au premier trimestre et a eu pour effet de réduire le ratio des fonds propres (il s'agit du coussin qui doit permettre aux banques de couvrir les pertes inattendues en vertu des règles internationales).

Curieux timing

Comble de malchance, trois semaines après que la Nationale eut annoncé avoir conclu une entente avec Lending Club, le prêteur alternatif américain s'est trouvé au coeur d'une controverse. Le pdg de Lending Club, Renaud Laplanche, a été remercié par le conseil d'administration à la suite de la découverte par l'entreprise qu'il avait contrevenu aux règles internes en revendant à un seul investisseur 22 M$ US de prêts sans respecter certaines exigences de ce dernier en matière de solvabilité. Par l'intermédiaire de sa filiale Credigy, spécialisée dans l'achat et le recouvrement de comptes clients en souffrance, la Nationale s'était engagée à acheter pour 150 M$ US de prêts auprès de Lending Club. Un porte-parole de la Banque Nationale a insisté pour dire qu'il n'y avait pas d'enjeux particuliers à l'égard de cette transaction, étant donné les critères de sélection stricts appliqués par Credigy.

Reste que les observateurs sondés par le département du Trésor américain dans le cadre de la publication d'un livre blanc sur ces activités ont mis en relief un facteur de risque important : le marché secondaire pour ce type de prêts est quasi inexistant. En d'autres termes, il peut être difficile de revendre rapidement les prêts acquis par des firmes comme Credigy advenant un besoin urgent de liquidités.

Ces événements n'ont pas freiné les ambitions de croissance de la Nationale pour autant. L'institution dirigée par Louis Vachon a annoncé il y a quelques jours l'acquisition d'une participation majoritaire dans la banque cambodgienne ABA Bank, pour un investissement qui totalise 148 M$ US à ce jour.

Cette première acquisition d'une participation majoritaire dans une banque dont les activités sont à l'extérieur du Canada survient à un curieux moment. Certes, ABA est située dans un pays en forte croissance et où le taux de pénétration des produits bancaires est relativement faible. Cette acquisition à l'autre bout du monde survient toutefois à un moment où les activités locales de la Nationale sont sous pression. Les gestionnaires de portefeuilles que j'ai consultés auraient préféré voir la Banque rester dans sa zone de confort, en Amérique du Nord.

Et, bien qu'il juge la transaction attrayante en fonction du prix payé pour une institution en forte croissance, Sumit Malhotra, de Banque Scotia, estime que cette acquisition va garder le niveau de fonds propres de la banque au plus bas du secteur bancaire canadien dans un futur prévisible.

Vraiment nécessaire, la hausse du dividende ?

En attendant que le ciel s'éclaircisse, les actionnaires de la Nationale pourront se contenter d'une nouvelle hausse du dividende. Robert Sedran, analyste de Marchés mondiaux CIBC, prévoit que la banque annoncera lors de la publication de ses résultats du deuxième trimestre, le 1er juin, une majoration de 2 % de son dividende par rapport au trimestre précédent, à 0,55 $ par action. Son homologue de la Scotia croit pour sa part qu'il sera haussé de 4 % à 0,56 $ l'action.

Une bonification du dividende fait habituellement le bonheur des actionnaires. Cependant, compte tenu de l'incertitude entourant les conséquences de la chute des prix de l'énergie et de l'acquisition au Cambodge, la direction devrait faire preuve de prudence et remettre à plus tard une telle bonification.

Chose certaine, pour que le titre retrouve une évaluation comparable à celle des autres grandes banques, la direction de la Nationale devra assurer aux investisseurs qu'il ne sera pas nécessaire de réaliser une deuxième émission d'actions en moins d'un an.

Période mouvementée pour le titre de la Banque Nationale

Quatre dates à retenir

> 2 octobre 2015 : annonce d'une émission de 300 M$ et de licenciements

> 8 février 2016 : radiation complète dans Maple Financial Group

> 5 mai 2016 : provision de 250 M$ relativement au secteur du pétrole et du gaz

> 9 mai 2016 : controverse entourant Lending Club, partenaire de la Nationale

Source : Bloomberg

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin