L'infortune des entreprises qui croulent sous les liquidités


Édition du 09 Décembre 2017

L'infortune des entreprises qui croulent sous les liquidités


Édition du 09 Décembre 2017

[credit photo: 123RF]

Personne ne se plaindra d'être trop riche, sauf les entreprises pénalisées par les investisseurs qui surfent sur la vague haussière à court terme en Bourse. Si elles obtiennent une valorisation moins généreuse en ce moment, ces sociétés fortunées pourraient regagner en faveur lorsque le ciel deviendra plus gris sur les marchés.

Pourquoi attendre patiemment les occasions quand on peut s'enrichir rapidement en profitant de la hausse généralisée des titres ? Voilà l'esprit général court-termiste qui règne en Bourse, particulièrement ces jours-ci. De nombreux investisseurs délaissent les entreprises au bilan béton qui attendent de déployer leurs munitions au moment opportun, gavés par les gains rapides découlant entre autres des bons résultats. Voilà un terreau fertile aux occasions pour les investisseurs prêts à faire confiance aux dirigeants disciplinés.

Un des meilleurs exemples québécois illustrant le contexte actuel est la pharmaceutique spécialisée Thérapeutique Knight (GUD, 7,63 $). Le titre a perdu plus de 27 % de sa valeur cette année et a glissé de creux en creux ces dernières semaines, pendant que les indices boursiers américains multipliaient les sommets.

La société dirigée par l'ancienne équipe d'un des plus grands succès pharmaceutiques québécois de l'histoire, Laboratoires Paladin, a un atout d'une grande valeur : libre de dettes, elle possède 692 M$ d'encaisse, soit l'équivalent de 62 % de sa capitalisation boursière. C'est néanmoins une carte trop faible aux yeux des actionnaires qui ont parié sur une acquisition majeure en 2017.

Son PDG, Jonathan Goodman, a démontré par le passé sa grande rigueur. Il n'est pas du genre à payer cher uniquement pour combler exaucer les voeux à court terme des investisseurs. Il attend de trouver la bonne cible au prix raisonnable avant de déployer ses munitions.

Historiquement, M. Goodman a déboursé en moyenne six fois ou moins le bénéfice d'exploitation pour les entreprises ou les traitements acquis, souligne dans une récente note Rahul Sarugaser, analyste de Paradigm Capital. Or, les actifs pharmaceutiques se vendent actuellement entre 10 et 12 fois le bénéfice d'exploitation. Le créneau ciblé par Knight se trouve dans un marché favorable aux vendeurs, la concurrence entre les nombreuses entreprises en mode acquisition étant féroce.

Dans ce contexte, souligne M. Sarugaser, le titre fera sûrement du surplace pendant un certain temps. Il présente selon lui un bon potentiel d'appréciation à long terme, mais les investisseurs doivent attendre que les conditions du marché tournent à l'avantage de Knight. Or, il peut s'écouler bien du temps avant que la prochaine perle ne se présente.

Passer à l'attaque quand la majorité se replie

Détenir un Everest de liquidités, un beau problème direz-vous. Cela peut cependant devenir un véritable casse-tête pour les entreprises prudentes. Le rendement du capital en souffre, ce qui fait fuir nombre d'investisseurs. Berkshire Hathaway (BRK.B, 198,71 $ US) se trouve dans cette «fâcheuse» situation. Le conglomérat de Warren Buffett accumule l'argent à vitesse grand V. Au rythme actuel, la société devrait dégager 25 milliards de dollars américains de liquidités libres en 2017, selon Greggory Warren, analyste de Morningstar. Son trésor de guerre atteindra vite les 120 G$ US dans les prochains mois.

M. Buffett n'a racheté aucune action de Berkshire cette année et n'a toujours pas cédé à la pression de verser des dividendes. Dans un marché où les cibles potentielles sont chères, l'homme de 87 ans attend son heure pour réaliser une transaction d'envergure.

Il rêve certainement d'une correction majeure pour passer à l'attaque, comme il l'a si bien fait dans les années qui ont suivi la crise de 2009. Étant donné que le titre semble déjà bien évalué, il sera pénalisé dans la prochaine année en l'absence d'un gros achat. Les investisseurs patients devraient toutefois profiter de la grande faculté de M. Buffett d'attendre la balle idéale pour frapper un coup de circuit.

Les sociétés qui engraissent leur compte en banque en attendant de trouver les bonnes cibles peuvent offrir des occasions aux investisseurs à long terme, à condition que leurs dirigeants aient fait leurs preuves sur le plan de l'allocation du capital.

On trouve des entreprises fortunées dans de nombreux secteurs, mais c'est celui de la technologie qui domine, avec Apple, Microsoft et Google en tête. Il est plus compliqué pour ces dernières d'utiliser leurs montagnes de liquidités, celles-ci étant majoritairement placées dans des filiales étrangères où la fiscalité est réduite.

Le fournisseur de services de formation, de communication et de consultation aux gouvernements, Groupe Calian (CGY, 33,25 $), dispose d'une somme nette de 29 M$ ou 3,81 $ par action pour des emplettes. La PME d'Ottawa souhaite mettre la main sur des entreprises complémentaires qui lui permettront de diversifier son offre et sa clientèle (65 % de ses revenus proviennent du gouvernement fédéral).

Au Canada, le fournisseur de logiciels de communications et de réseaux Enghouse Systems (ENGH, 55,72 $) a un coffre bien garni pour des acquisitions, soit 100 M$ ou 3,72 $ par action. L'entreprise torontoise a à son actif une longue liste d'acquisitions porteuses. Ses dirigeants ont mentionné lors de la publication des plus récents résultats trimestriels, en septembre, avoir trouvé de nombreuses proies potentielles malgré la gourmandise des vendeurs.

Le spécialiste des emballages Winpak (WPK, 48 $) dispose de 338,4 M$ pour croître par acquisitions. C'est plus de 10 % de sa valeur boursière. Comme elle fait face à une concurrence accrue dans certains marchés, la société de Winnipeg pourrait chercher à gagner du poids pour mieux contrer l'offensive d'acteurs de plus grande taille et fouetter sa croissance.

L'abondance de liquidités n'est pas une assurance tout risque contre une correction boursière. Les entreprises qui ont ce luxe et sont dirigées par des dirigeants disciplinés sauront saisir les occasions au moment opportun. Puis, tout à coup, les investisseurs qui les boudent à cause de leurs liquidités inactives leur accorderont une valorisation plus généreuse.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin