Les pénuries de travailleurs sont réelles et vont s'aggraver


Édition du 09 Décembre 2017

Les pénuries de travailleurs sont réelles et vont s'aggraver


Édition du 09 Décembre 2017

[Photo : 123RF]

Il ne se passe plus une seule journée sans qu'on fasse état de pénuries de travailleurs partout au Québec, avec des impacts déjà néfastes. Les avis demeurent toutefois partagés sur la source du problème. Est-il conjecturel, lié à l'accélération temporaire de l'économie, ou foncièrement structurel ?

Pour l'instant, Montréal s'en tire mieux. Il existe cependant un indicateur irréfutable du fossé qui se creuse entre la région métropolitaine et le reste du Québec et qui aide à comprendre à quel point le malaise est profond : l'indice de remplacement de la population. De quoi s'agit-il ? «[Il] met en rapport le nombre de personnes en voie de prendre leur retraite (55-64 ans) et celui des personnes susceptibles de prendre leur relais, c'est-à-dire les 20-29 ans», peut-on lire dans Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2001-2061, de l'Institut de la statistique du Québec. Autrement dit, il permet de prévoir si la force de travail pourra se maintenir malgré les départs à la retraite. Le portrait n'est pas réjouissant.

En 2021, pour chaque tranche de 100 personnes au seuil de la retraite, âgées de 55 à 64 ans, le Québec ne comptera plus, en moyenne, que 81 jeunes prêts à prendre leur place, soit le groupe des 20 à 29 ans. En 2011, seulement trois régions présentaient un indice de remplacement positif, mis à part le Nord-du-Québec, où le taux de fécondité demeure largement supérieur à la moyenne québécoise : Montréal, qui compte 138 jeunes pour 100 aînés (138 %), puis Laval, 106 %, et l'Outaouais, 101 %.

En 2021, ce club ne comptera plus qu'un seul membre : Montréal. Grâce à 119 jeunes pour 100 personnes à la veille de la retraite, son marché du travail sera encore bien alimenté. Ailleurs, toutefois, la situation ira de préoccupante à calamiteuse.

Voici quelques exemples de régions en déficit appréhendé :

> Laval, 86 %
> La Capitale nationale, 82 %
> L'Outaouais, 78 %
> La Montérégie, 74 %
> La Mauricie, 60 %
> Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, aussi 60 %
> Le Bas-Saint-Laurent, 54 %
> Et tout au bas du classement, la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, 44 %

Imaginez le défi de faire rouler les entreprises, comme les institutions, quand vous avez deux fois plus de prochains retraités que de prochaines recrues... On a beau parler de gains de productivité, d'automatisation, de l'usine 4.0, ces changements ne surviennent pas du jour au lendemain. De plus, il faudra toujours des gens pour prendre soin d'autres gens.

La situation est embêtante mais pas forcément désespérée. En revanche, la concurrence pour la main-d'oeuvre disponible, déjà rude, deviendra de plus en plus féroce. À cet égard, malgré ses problèmes de circulation et la cherté de la vie, Montréal conservera l'avantage, ne serait-ce que parce que la région métropolitaine accueille la grande majorité des nouveaux arrivants. Ailleurs ? Il faudra imaginer des stratégies pour se démarquer, en misant notamment sur des attraits comme la qualité de vie, ce qui a de bien meilleures chances de réussir que de croire en des solutions simplistes comme un nouveau et illusoire baby-boom.

Par-dessus tout, il est essentiel de reconnaître que l'occupation vigoureuse du territoire est devenue un enjeu central chez nous. Sinon, la sombre image d'un «Québec cassé en deux», selon l'expression lancée en 1988 par la revue Relations, risque malheureusement de devenir réalité.

Montréal comme société distincte

Cet écart grandissant entre Montréal et le reste du Québec se retrouve au coeur du texte signé par le professeur de démographie Marc Termote, de l'Université de Montréal, dans le plus récent document L'état du Québec 2018, présenté annuellement par l'Institut du Nouveau Monde.

Du fait des disparités non seulement démographiques, mais aussi linguistiques, qui surgissent entre la métropole et les régions, il pose la question : «Montréal, société distincte ?»

Il rappelle que le poids démographique des francophones ne cesse d'y diminuer, pour au moins deux raisons. Un grand nombre de jeunes ménages francophones s'installent en périphérie où, peut-on présumer, autant pour des raisons économiques que pour l'impression que la qualité de vie y est meilleure. Parallèlement, les quelque 50 000 à 55 000 immigrants qui débarquent chaque année au Québec sont «essentiellement» non francophones, rappelle-t-il, et ils s'installent majoritairement à Montréal. Dans les faits, souligne le professeur Termote, «sans la migration des anglophones vers le reste du Canada, les francophones seraient depuis longtemps minoritaires à Montréal». Je vais également me permettre de citer textuellement une bonne partie de sa conclusion, puisqu'il met en évidence les éléments qui la différencient du reste du Québec. «D'un côté, on a une région de moins en moins francophone, de plus en plus bilingue et cosmopolite, dont la population continue de croître de manière soutenue et vieillit moins vite. De l'autre, on a une région [NDLR : des régions] très majoritairement francophone, dont la population n'augmente presque plus ou diminue, tout en vieillissant rapidement.»

Puisque ce double clivage démographique et linguistique s'accompagne d'un troisième, économique celui-là, en raison du PIB par habitant nettement plus élevé à Montréal, il termine ainsi : «Les conséquences sociopolitiques de cette triple cassure ne devraient pas être sous-estimées.»

Les sondages qui se succèdent le montrent éloquemment. L'enjeu est cependant bien plus que politique. Il en va de la cohésion même du Québec comme société... distincte.

À la une

Budget fédéral 2024: l'art de se tirer dans le pied

17/04/2024 | Daniel Dufort

EXPERT INVITÉ. Le gouvernement de Justin Trudeau «s’autopeluredebananise» avec son «budget mémorable».

Gain en capital: pas une surprise

17/04/2024 | Dany Provost

EXPERT INVITÉ. «Combien d’impôt ça va vous coûter de plus?»

L'industrie technologique mécontente des mesures sur les gains en capital

Mis à jour le 17/04/2024 | La Presse Canadienne

L'industrie technologique est mécontente des mesures sur les gains en capital.