OPA sur Groupe Canam et Lumenpulse - faut-il s'en inquiéter?

Publié le 28/04/2017 à 15:28

OPA sur Groupe Canam et Lumenpulse - faut-il s'en inquiéter?

Publié le 28/04/2017 à 15:28

BLOGUE INVITÉ. Nous apprenions hier que deux sociétés québécoises seront privatisées: Groupe Canam et Lumenpulse. Canam est un fabricant de produits de structures métalliques alors que Lumenpulse propose des solutions d’éclairage LED. Dans les deux cas, avec l’aide d’investisseurs institutionnels, ce sont essentiellement les familles fondatrices des entreprises qui ont pris la décision de se retirer de la place publique. La famille Dutil redeviendra un actionnaire majeur de Groupe Canam alors que la privatisation de Lumenpulse sera menée par son président et fondateur, François-Xavier Souvay.

En février dernier, trois sociétés du portefeuille de la Lettre financière faisaient l’objet d’OPA (offres publiques d’achat): RDM Corporation, une petite société ontarienne offrant des solutions bancaires pour faciliter les paiements électroniques, TIO Networks, une société de la Colombie-Britannique offrant des solutions de paiements électroniques, et Mead Johnson, un fabricant américain de produits nutritionnels pour enfants. Mon premier sentiment lorsque ces OPA ont été annoncées coup-sur-coup en a été un d’excitation. Après tout, ces OPA sont presque toujours effectuées à forte prime par rapport aux cours au marché. Dans le cas de Canam, on parle d’une prime de 98% alors que pour Lumenpulse, c’est une prime de 86%. Soit dit en passant, j’estime que la direction de Lumenpulse a été honnête envers ses actionnaires en offrant un prix sensiblement plus élevé que le prix de 16$ de son entrée en Bourse en 2014.

Mais une fois passée l’excitation du moment, la question qui vient nous hanter est celle-ci: comment remplacer ces titres dans notre portefeuille? C’est un peu comme si vous aviez une obligation qui vous procure un taux d’intérêt largement supérieur à celui du marché. C’est super jusqu’à ce que la société qui l'a émise la rachète… Il est difficile de la remplacer par une autre obligation qui offre un taux semblable (à moins de prendre plus de risque). L’autre considération est fiscale: de telles OPA imposent souvent des gains fiscaux importants aux actionnaires.

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En tant qu’investisseur canadien, je trouve la tendance préoccupante. Il me semble que, depuis plusieurs années, les OPA sont nettement plus nombreuses que les entrées en Bourse de sociétés. Et, à la base, on ne peut pas dire que notre marché canadien jouisse d’une grande profondeur. Que reste-t-il dans le marché canadien une fois qu’on enlève les grandes institutions financières et les sociétés de ressources naturelles? Le choix devient de plus en plus restreint et cela mène souvent à des primes pour les titres de qualité canadiens par rapport aux titres de sociétés comparables américaines. C’est un véritable casse-tête pour les investisseurs «valeur» canadiens.

Il faut se demander pourquoi il y a un tel effritement du nombre de sociétés cotées en Bourse. Je vois quelques raisons:

1- La pression du court terme. De nombreux investisseurs veulent avoir des rendements attrayants à court terme et ne pensent pas vraiment à long terme. Il devient très difficile pour des dirigeants qui veulent bâtir une entreprise solide sur le long terme d’investir dans des projets potentiellement rentables à long terme, mais déficitaires à court terme. La pression pour les dirigeants d’une société privée est nettement moins élevée que celle qui pèse sur une entreprise publique. Dans le communiqué annonçant la privatisation de Lumenpulse, son président déclare qu'«à titre de société fermée, nous disposerons des ressources et de la flexibilité nécessaires pour poursuivre notre croissance, concentrer encore davantage nos efforts sur l'innovation et le développement de nouveaux produits…».

2- Les coûts et la réglementation. Depuis la crise de 2008-2009 et les scandales à la Nortel du début des années 2000, les régulateurs nord-américains ont considérablement resserré la vis aux sociétés publiques. Avec les coûts et la complexité élevés de la réglementation, il devient difficile pour une petite entreprise de justifier le saut en Bourse, ou d’y rester. Ces coûts favorisent les plus grandes sociétés.

3- La domination des grands joueurs. Dans la plupart des industries, il y a depuis de nombreuses années un phénomène de consolidation qui fait qu’on se retrouve avec quelques joueurs dominants. Souvent, la seule manière pour de petites entreprises de connaître du succès est d’innover et de créer de nouveaux marchés ou de se spécialiser et de s’attaquer à de petits créneaux.

4- Beaucoup de capital privé et une dette peu onéreuse. Le capital coûte peu cher depuis plusieurs années et les investisseurs institutionnels et les banques d’affaires privées sont en quête de rendements intéressants. L’acquisition de Tim Hortons en 2014 est un bel exemple de ce phénomène.

Cette tendance force les investisseurs canadiens à se tourner de plus en plus vers les sociétés étrangères. Je n’y vois pas de mal, sauf que ce n’est pas ça qui aidera notre économie canadienne à long terme. L’effritement du tissu boursier canadien est à mon avis un problème auquel nos gouvernements devraient tenter de remédier.

Philippe Le Blanc, MBA, CFA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

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