Le paradoxe du chercheur d'aubaines

Publié le 31/03/2017 à 13:02, mis à jour le 31/03/2017 à 13:05

Le paradoxe du chercheur d'aubaines

Publié le 31/03/2017 à 13:02, mis à jour le 31/03/2017 à 13:05

Photo:123rf

Je ne nommerai pas la société à laquelle je pense, mais ceux qui la connaissent la reconnaîtront sans doute. Je crois toutefois que l’exemple de cette société, dont nous sommes actionnaires depuis de nombreuses années, illustre à merveille ce que représente une aubaine (ou pas!).

Avant toute chose, je crois qu’on peut dire que le titre de cette société présente la plupart des facteurs quantitatifs d’une aubaine traditionnelle, du moins pour l’investisseur «valeur». Au cours actuel du titre, voici quelques chiffres à l’appui:

- Il s’échange à une prime de seulement 3 % de sa valeur comptable;

- Il s’échange à 6,5 fois les profits par action réalisés au cours des 12 derniers mois. Ces profits ne semblent pas déraisonnables puisque la société a réalisé des profits par action à peu près stables au cours des trois dernières années;

- Le rendement du dividende est de 4,0%;

- La santé financière de la société est saine. De fait, il peut être facilement avancé qu’elle a présentement trop de capital;

- Enfin, bien que ses profits aient stagné au cours des dernières années, la société est toujours efficace et a dégagé un rendement de son avoir moyen de près de 16,5% en 2016.

Mais ce ne sont que des chiffres! Il est relativement facile d’identifier des titres qui ne soient pas chers en termes de ratios financiers. Le problème est qu’il y a presque toujours des raisons pour justifier (ou expliquer) qu’un titre soit peu cher. C’est tout à fait normal: si tout allait bien, le titre ne serait pas une aubaine!

Dans le cas de la société à laquelle je fais référence, les mauvaises nouvelles semblent s’accumuler depuis deux ans. C’est d’ailleurs pourquoi le titre a perdu 40% de sa valeur depuis deux ans et un peu plus de la moitié de sa valeur depuis son sommet historique atteint en 2014.

Tout a commencé il y a près de deux ans lorsque la société a annoncé qu’elle avait connu des problèmes avec des courtiers qui vendaient ses produits. Ces derniers auraient falsifié certaines informations concernant leurs clients afin de leur permettre d’obtenir de meilleures conditions d’achat auprès de l’entreprise. Cette situation a créé des doutes dans l’esprit des investisseurs quant à la qualité de ses courtiers, et, indirectement, de ses clients. Le titre avait déjà chuté considérablement après cette annonce. Plus récemment, la société et ses dirigeants ont été accusés par les instances réglementaires d’avoir diffusé tardivement les problèmes avec ces courtiers. Au moins un recours collectif d’actionnaires a suivi et tout dernièrement, la société a annoncé le renvoi de son président, qui avait été nommé il y a près d’un an. C’est sans oublier le fait que le titre est la cible des vendeurs à découvert depuis plusieurs trimestres. Rien de bien réjouissant, du moins à court terme.

Mais tel est le paradoxe du chercheur d’aubaines: elles surviennent invariablement lorsque les mauvaises nouvelles abondent. On ne peut pas prendre une décision de placement intelligente concernant ce titre ou tout autre titre en se fiant uniquement aux mauvaises nouvelles et en ignorant son évaluation. C’est la tâche du gestionnaire de portefeuille ou d’un bon investisseur de peser tous ces facteurs, positifs et négatifs, et de prendre une décision en fonction du cours de l’action.

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J’ai lu récemment le livre Millenium Money, de Patrick O’Shaughnessy, et cette phrase du livre m’a interpellé, car elle résume bien le paradoxe de l’investisseur «valeur»: «une bonne règle générale («rule of thumb») est que tout choix d’investissement qui nous fait bien nous sentir est un mauvais investissement, et tout investissement qui nous semble épeurant ou ennuyant est souvent un bon choix».

Vous souvenez-vous combien tout semblait noir en 2008-2009? À quel point les investisseurs étaient-ils tentés de se réfugier dans des placements sûrs tels que l’encaisse ou le marché monétaire? Acheter des actions à ce moment-là ne procurait certainement pas un sentiment de bien-être ou de sécurité. Or, on sait avec le recul que c’était le meilleur moment pour investir.

C’est ce qui explique pourquoi l’investissement boursier peut être si difficile psychologiquement. Il est contre notre nature d’être attiré par des situations où tout semble noir. En revanche, nous sommes naturellement attirés par les bonnes histoires, les titres où tout semble aller parfaitement. Mais c’est parmi les titres de sociétés où le pessimisme est à son comble que se trouvent les meilleures occasions. Ce sont ces titres qui sont le plus susceptibles de s’apprécier considérablement à long terme. Revenant à ma société mystère, si la situation se redressait au cours des prochaines années et qu’elle réussissait à retrouver le chemin de la croissance et à régler les problèmes qui l’ont affectée au cours des derniers trimestres, son titre serait susceptible de s’apprécier considérablement. Pour ceux qui reconnaîtront cette société, je souligne que ceci n’est pas une recommandation d’achat. Je m’en sers simplement pour démontrer qu’il faut être un peu masochiste pour être un investisseur «valeur».

 

Philippe Le Blanc, MBA, CFA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.

 

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
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