La loi du plus fort: pourquoi Rona s'est fait avaler

Publié le 12/02/2016 à 11:26

La loi du plus fort: pourquoi Rona s'est fait avaler

Publié le 12/02/2016 à 11:26

Nombre d’articles ont été écrits sur Rona depuis l’annonce de l’offre publique d’achat (OPA) lancée par Lowe’s il y a près d’une semaine. Maintenant que la poussière commence à retomber, j’aimerais vous faire part de mon opinion sur le sujet.

En réfléchissant à cette OPA, un constat m’est venu à l’esprit : la Bourse et le monde des affaires sont impitoyables. C’est un cliché, mais le monde des affaires est une jungle. Darwin a élaboré la théorie de l’évolution fondée sur les principes de la sélection naturelle pour décrire ce qui se passe dans la nature. Sa théorie s’applique tout aussi bien au monde des affaires : à long terme ce sont (généralement) les sociétés les plus aptes à s’adapter, les plus flexibles, les plus efficaces – les plus fortes – qui gagnent. Celles qui sont plus faibles, moins efficaces ou en piètre santé financière finissent tôt ou tard par disparaître, avalées par des concurrents plus forts ou obligées de déposer leur bilan.

Rona a été un succès commercial québécois depuis sa fondation en 1939. Force est toutefois d’admettre que sa performance financière laissait sérieusement à désirer depuis quelques années. Quelques données vous le confirmeront :

Le début des années 2000 est pour Rona une période de forte croissance caractérisée par l’ouverture de nombreux magasins, dont les grandes surfaces, et par des acquisitions importantes qui la font déborder des frontières du Québec, de l’Ontario jusqu’à la Colombie-Britannique. De 2001 à 2005, les revenus nets de la société sont passés de 1,8 G$ à 4,0 G$ et ses profits par action, de 0,36 $ à 1,51 $. Son titre, qui valait environ 6,30 $ début 2003, a atteint un sommet de 26,00 $ en avril 2005.

À compter de 2005, la croissance des profits de Rona est devenue négative. En 2010, elle réalisait des revenus de 4,8 G$ mais ses profits par action étaient de seulement 1,09 $. Puis en 2014, après quelques années de restructuration, les revenus étaient de 4,1 G$ et les profits par action de 0,70 $. Cette même année, sa marge bénéficiaire après impôt s’est chiffrée à 2,0 % alors que son rendement de l’actif moyen au cours de cet exercice a été d’un maigre 3,6 %.

Voyons maintenant ce qui s’est passé chez Lowe’s, l’acquéreur de Rona, au cours des 10 dernières années. De 2006 à 2015 (janvier), les revenus nets de la société sont passés de 43,2 G$ à 56,2 G$. Or, n’oublions pas ce qui s’est produit aux États-Unis dans le secteur immobilier : un boom sans précédent du début des années 2000 jusqu’à son effondrement à compter de 2007. Les profits nets de Lowe’s sont ainsi demeurés à peu près stables entre 2006 et 2015, à près de 2,8 G$. Par contre, en raison de rachats substantiels de ses propres actions, les profits par action ont augmenté de 1,73 $ à 2,71 $. En 2015, la marge bénéficiaire après impôt de la société était de 4,8 %, plus du double de celle de Rona, alors que le rendement moyen de son actif était de 8,4 %, encore une fois, plus du double de celui de Rona. Enfin, le titre de Lowe’s valait 17 $ début 2003 alors qu’il en vaut aujourd’hui plus de 63,00 $, 270 % de plus.

Je me suis amusé récemment à étudier les titres qui composaient l’indice S&P/TSX en 2004. Je constate ainsi que de nombreuses sociétés qui faisaient à l’époque partie de l’indice ont disparu, soit qu’elles ont été achetées, soit qu’elles ont fait faillite. Vous souvenez-vous de PetroKazakhstan, de Nova Chemicals, d’Alcan, de Falconbridge, de Cambior, de Placer Dome, de Sino-Forest (désolé), de Slocan, de Maax, de Masonite, de Royal Group, de Zenon, de GSI Lumonics, de Bennett Environmental, de CP Ships, de Wescast, de CFM, de Mega Bloks, de Four Seasons, de Cinram, d’Astral, de Forzani, de Van Houtte…

Je ne vous en ai nommé que 23, mais il y en a beaucoup plus parmi les 220 sociétés qui faisaient partie de l’indice canadien en 2004. Si je prenais le temps de faire le décompte, je soupçonne que plus du quart des sociétés de l’indice canadien ont disparu en seulement une douzaine d’années! C’est la sélection naturelle à l’œuvre.

Pour revenir à Rona, compte tenu de la performance financière qui a laissé à désirer au cours des dernières années, j’estime que son achat par un compétiteur n’était qu’une question de temps. Pour son conseil d’administration, le choix se posait entre accepter une offre en espèces de 24 $ payable immédiatement ou attendre la réalisation d’un plan stratégique (qui semblait en bonne voie) incertain qui aurait pu créer une valeur semblable dans 3, 4 ou 5 ans. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser que cette offre de Lowe’s à 24,00 $ en espèces est un véritable cadeau du ciel pour les actionnaires de Rona et que le conseil d’administration a fait le bon choix. Les actionnaires de Rona pourront maintenant redéployer les sommes reçues dans d’autres sociétés québécoises aux perspectives davantage prometteuses.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

P.S. Comme moi, vous aurez peut-être noté la société Alcan parmi les disparues de l’indice 2004. L’entreprise a été achetée par Rio Tinto en 2007 pour environ 38 G$ US, soit un prix de 101 $ par action. Cette acquisition avait créé un tollé dans les milieux des affaires et sur la scène politique. Il est impossible de savoir comment aurait performé le titre d’Alcan depuis 2007, mais on peut s’en faire une bonne idée en examinant ce qu’a fait le titre de son compétiteur direct, Alcoa : après avoir fracassé les 40 $ US au début de 2007, il en vaut aujourd’hui près de 7,50 $ US…

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuilles. Il est également éditeur de la Lettre financière COTE 100, publiée depuis 1988.

 

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
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