D+H: un accident qui devait arriver?

Publié le 28/10/2016 à 16:25

D+H: un accident qui devait arriver?

Publié le 28/10/2016 à 16:25

(Photo: courtoisie)

BLOGUE. Je n’aime pas particulièrement parler en mal d’une entreprise, surtout lorsque son titre ne fait pas partie de nos portefeuilles. Il me semble trop facile de taper sur les autres alors que nos portefeuilles contiennent tous des titres qui tirent de la patte. Je crois néanmoins qu’il y a plusieurs enseignements à tirer de la débandade du titre de D+H, fournisseur de solutions technologiques pour les institutions financières, qui a chuté de plus de 40% au cours de la semaine.

En effet, si l’on veut réussir dans le monde de l’investissement, il faut non seulement apprendre de ses propres erreurs, mais aussi de celles des autres (je vous avoue que je préfère de beaucoup cette deuxième option). Or, j’estime que l’exemple de D+H nous permet de dégager une série de leçons qui s’appliquent à un nombre élevé de sociétés canadiennes et à plusieurs titres que les investisseurs d’ici détiennent. Sur une note plus personnelle, je crois que cet exemple met en lumière les principales caractéristiques des entreprises boursières qui m’irritent le plus.

Lisez aussi Pourquoi le pionnier de la fintech dégringole de 43%

Voici donc mon évaluation personnelle de la situation de D+H et des problèmes qu’elle soulève:

1- L’obsession des dividendes. J’ai répété à maintes reprises que dans un contexte de taux d’intérêt très bas, les investisseurs peuvent s’exposer au danger en étant attirés par les titres dont le dividende est élevé, sans nécessairement être conscients des risques élevés inhérents à de tels investissements. Ancienne fiducie de revenus, D+H a toujours versé un dividende relativement élevé. En 2015 (31 décembre), le montant global des dividendes versés par la société à ses actionnaires s’est établi à 93,9 M$, représentant 42% de ses flux de trésorerie libres de 221,4 M$, ce qui ne semble pas être trop élevé. Toutefois, si l’on considère que la société a réalisé en cours d’année une acquisition de près de 1,5 G$ entièrement financée par la dette, n’y a-t-il pas lieu de se demander s’il n’aurait pas été préférable pour elle de consacrer ces fonds à cette acquisition? Au cours des dernières années, il y a eu de nombreux échecs d’anciennes fiducies de revenus qui avaient adopté cette manie de verser des dividendes trop élevés pour leurs moyens.

2- Le bénéfice ajusté. Avec la hausse qu’ont connue les marchés au cours des dernières années, il me semble qu’un nombre croissant de sociétés publient des bénéfices sur une base ajustée. Dans bien des cas, le calcul exclut les dépenses liées aux options d’achat d’actions (n’avait-on pas vu ce phénomène à la fin des années 1990?), les dépenses d’amortissement des actifs intangibles et les dépenses de restructuration. Aussi, j’ai pour ma part beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi il est devenu courant pour les analystes d’évaluer les entreprises en fonction de leur bénéfice d’exploitation, les fameux BAIIA (ou EBITDA en anglais). Dans le cas de D+H, la société a déclaré un bénéfice d’exploitation ajusté de 474,7 M$ en 2015. Pourtant, son bénéfice net selon les principes comptables reconnus a été de seulement 84,0 M$...

3- Une dette élevée. Compte tenu des taux d’intérêt très bas, les entreprises préfèrent utiliser la dette pour financer leurs acquisitions. Mais certaines entreprises vont à mon avis trop loin et ne se donnent aucune marge de manœuvre. Au 30 septembre 2016, le bilan de D+H affiche une dette nette totale de 1,89 G$, ce qui représente plus de 3,9 fois le bénéfice d’exploitation ajusté de la société pour les 12 mois précédents. La forte chute du titre au cours des derniers jours serait-elle liée à ce niveau de dette élevé?

Nombre de sociétés ont connu des déboires similaires à ceux de D+H au cours des dernières années au Canada, mais elles sont encore nombreuses à répéter les mêmes erreurs. En tant qu’investisseur, je considère que mon premier objectif est d’éviter les pertes permanentes de capital. Les risques inhérents à la bourse sont déjà assez élevés sans qu’on ait à prendre des risques additionnels dans notre sélection de titres. À mon avis, les titres des sociétés qui adoptent les trois stratégies citées plus haut représentent ni plus ni moins des condamnés en sursis ou, comme les Américains aiment le dire, «des insectes en quête d’un pare-brise».

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est président et chef des placements chez COTE 100, une boutique de gestion de portefeuille. Il est également éditeur de la Lettre financière par COTE 100, publiée mensuellement depuis 1988.

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
Sujets liés

Bourse

Blogues similaires

Bourse: la Banque Royale fait trembler le marché des actions privilégiées

BALADO. La Banque Royale envoie un signal clair qu'elle pourrait racheter toutes ses actions privilégiées.

Encore trop tôt pour sauter dans l’arène

Édition du 14 Juin 2023 | Dominique Beauchamp

ANALYSE. Les banques canadiennes pourraient rester sur le banc des pénalités quelque temps encore.

La baisse du PIB par habitant ne doit pas inquiéter, mais...

25/03/2024 | Pierre Cléroux

EXPERT. Depuis 2020, soit au début de la pandémie, le PIB par habitant a diminué de 1,3% par année au Canada.