Bombardier : une leçon pour la Saint-Valentin

Publié le 13/02/2015 à 15:09

Bombardier : une leçon pour la Saint-Valentin

Publié le 13/02/2015 à 15:09

(Photo: Bloomberg)

BLOGUE. Presque tous les investisseurs québécois considèrent que Bombardier est un fleuron de notre économie, une entreprise extraordinaire dont les trains et les avions font notre fierté à travers le monde. À mon avis, ces investisseurs vivent malheureusement dans le passé.

Bombardier a effectivement connu un succès retentissant dans les années 1990. Sachez par exemple que pendant la décennie 1990 (de l’exercice 1990 à celui de 2000), les revenus de l’entreprise sont passés de 2,1 G$ à 13,6 G$, ses profits ajustés de 91,5 M$ à 752,4 M$ et ses profits par action de 0,085 $ à 0,53 $. Ces chiffres représentent respectivement des taux de croissance annuels composés de 18,9 %, 23,5 % et 20,0 %. En 1990, la valeur du carnet de commandes de Bombardier était de 8 G$ et elle se chiffrait à 30,9 G$ en 2000.

Cette performance financière exceptionnelle a fini par être notée par les marchés boursiers car le ratio cours-bénéfices de la société est passé de près de 10,5 en 1990 à plus de 42,0 en 2000. Au cours de la décennie, la valeur du titre s’est multipliée par un facteur de près de 12.

La flèche de Cupidon

15 ans plus tard, le titre de Bombardier vaut à peu près ce qu’il valait en 1990. Après les succès exceptionnels des années 1990, la performance financière de la société a été très médiocre au cours des 15 dernières années, et je suis gentil. À preuve, ses profits par action étaient de 0,53 $ en 2000 et ses profits prévus pour 2001 étaient de 0,69 $ l’action; les analystes prévoient aujourd’hui que l’entreprise dégagera des profits par action de 0,35 $ en 2016…

Dans les années 1990, la société et sa direction avaient acquis la réputation de ne pouvoir manquer leur coup. De fait, ils ne décevaient presque jamais les analystes en affichant des profits qui, trimestre après trimestre, surpassaient leurs attentes.

Mais si l’on y avait regardé de plus près et de façon objective, plusieurs facteurs auraient dû inciter les investisseurs à se poser des questions. D’une part, en 2000, grâce au succès exceptionnel de son Regional Jet, la division Aéronautique de Bombardier lui procurait 80 % de ses profits. Or, dans le passé, la société avait toujours misé sur un modèle de diversification où ses trois principales divisions, Aéronautique, Transport et Produits motorisés, étaient à peu près en équilibre. Si l’une de ces divisions connaissait une période plus difficile, les autres, dont les cycles étaient différents, compensaient.

Enfin, si le Regional Jet avait connu un grand succès au cours de la décennie suivante, ce lancement n’avait pas été sans risque. Je me souviens pertinemment qu’au départ plusieurs analystes exprimaient de sérieux doutes quant aux perspectives de ce nouvel appareil. Or, en 2000, le marché des jets régionaux commençait à donner des signes de saturation, de nouveaux compétiteurs apparaissaient et il était plus difficile de voir d’où viendrait la croissance future de la division aéronautique.

Enfin, l’évaluation du titre, à plus de 40 fois les profits prévus, ne laissait plus de place à l’erreur.

Évidemment, les événements du 11 septembre 2001 ont donné un grand coup à la société, la forçant à se départir de sa division de produits récréatifs et à émettre une grande quantité d’actions pour renflouer son bilan. Nul n’aurait pu anticiper cette tragédie et l’impact dévastateur qu’elle aurait sur Bombardier.

La Saint-Valentin

Quel est le lien entre Bombardier et la Saint-Valentin? L’investisseur ne doit pas tomber en amour avec un titre qu’il possède, quels que soient ses succès. C’est à mon avis l’erreur que trop d’investisseurs québécois ont fait, et font encore, en misant sur la performance financière et la réputation passées de Bombardier.

Depuis plusieurs années, Bombardier n’est plus la société qu’elle était dans les années 1990. Elle ne possède plus sa division Produits récréatifs (maintenant BRP) et elle n’a plus de division Capital. Son nombre d’actions en circulation est passé de 1,38 G en 2000 à 1,74 G aujourd’hui, sans tenir compte de l’intention de la direction d’émettre pour 600 M$ de nouvelles actions. Sa situation financière s’est aussi nettement détériorée. Alors qu’en 2000, son encaisse surpassait son endettement par 277 M$ et son avoir des actionnaires était de plus de 3,0 G$, sa dette nette totalise aujourd’hui 5,1 G$ et son avoir des actionnaires a littéralement fondu pour s’établir à seulement 55 M$. Sans compter le déficit du fonds de pension de 2,1 G$.

À la veille de la Saint-Valentin, il est bon de se rappeler qu’il vaut mieux ne jamais tomber en amour avec un titre boursier. Même l’investisseur à très long terme doit constamment remettre ses placements en question et se demander objectivement si les raisons pour lesquelles il a acheté un titre sont toujours valides.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100.

 

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
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