L’affaire Marciano ou l’effet domino de la démesure américaine

Publié le 09/05/2013 à 12:53

L’affaire Marciano ou l’effet domino de la démesure américaine

Publié le 09/05/2013 à 12:53

BLOGUE. En matière d’indemnités accordées par les tribunaux, les États-Unis, on le sait, sont sur une autre planète.

Le problème, c’est que cette planète vient de débarquer chez nous. Et le spectacle n’est guère édifiant.

Pour ceux qui ne connaissent pas les détails de l’affaire, le cofondateur de Guess Jeans, Georges Marciano, a été condamné en 2008 par des tribunaux de la Californie à payer la somme ahurissante de 260 millions de dollars à la suite d’accusations de fraude qu’il avait portées contre une dizaine d’individus et qui se sont révélées, après enquête des autorités policières, sans fondement.

Cette somme visait à compenser notamment la souffrance psychologique vécue par les victimes.

Si vous pensez que de telles condamnations peuvent servir à dissuader des justiciables fortunés de transformer en cauchemar la vie de simples citoyens, un fait demeure: cinq ans plus tard, les victimes courent encore après leur argent.

En effet, incapables de se faire payer et voyant Marciano déménager ses avoirs ici, les créanciers américains ont dû obtenir un jugement de faillite en Californie qu’ils ont ensuite fait reconnaître par les tribunaux québécois en 2011.

Une saisie rocambolesque s’en est suivie dans le Vieux-Montréal, visant de nombreux immeubles, des voitures de collection, des œuvres d’art, etc. Puis, la saisie a été annulée, pour ensuite être réautorisée en partie.

Près d’une quinzaine de jugements ont été rendus par la Cour d’appel et la Cour supérieure du Québec dans cette affaire, dont le plus récent date du 15 avril dernier.

Et les hostilités pourraient continuer encore longtemps, à moins que Marciano n’accepte de baisser pavillon, comme cela semble être le cas.

Le plus absurde de cette histoire, c’est que le quantum des réclamations des créanciers américains n’est pas encore cristallisé.

En effet, les tribunaux de la Californie viennent de réduire les condamnations de 260 millions à 86 millions, et il appert que ce chiffre pourrait être réduit davantage.

Il est vrai qu’au Québec les indemnités accordées par les tribunaux en réparation de dommages psychologiques sont d’un tout autre ordre.

Certains diront qu’elles sont trop maigres, la difficulté étant d’accorder à la victime une réparation entière sans tomber dans des chiffres totalement arbitraires.

Les indemnités «québécoises» ont cependant l’avantage de mettre un terme aux litiges, ou presque, et non de dégénérer en une avalanche de procédures additionnelles entreprises par des victimes à qui l’on a donné une belle occasion de s’enrichir.

Dans un contexte où l’accessibilité à la justice est d’actualité, ce facteur n’est certainement pas négligeable.

Un autre effet pervers découlant des indemnités astronomiques, c’est la mise au rancart de la règle de la proportionnalité devant prévaloir entre les procédures entreprises et les enjeux d’une cause. En effet, à sommes déraisonnables, procédures excessives.

Sur ce sujet, dans l’affaire Marciano, il semblerait que les frais reliés à l’administration des éléments d’actif saisis atteignent, à l’heure actuelle, la somme de 15 millions de dollars, soit une source en soi de litiges additionnels tant au Québec qu’aux États-Unis et un obstacle à un règlement potentiel de l’affaire.

Vous voulez revenir rapidement sur Terre ?

À Trois-Rivières, une mère a perdu ses deux enfants dans un incendie à la suite d’une faute du propriétaire du logement. En matière de souffrance psychologique, vous conviendrez qu’il est difficile d’imaginer pire. Combien la Cour d’appel lui a-t-elle accordé ? 150 000 $. Soit 75 000 $ par enfant. (Désolé de tomber dans le pathos.)

À titre de comparaison, les intérêts auxquels les victimes ont droit dans l’affaire Marciano atteignent, à eux seuls, la somme de six millions de dollars.

Enfin, en attendant la conclusion de cette navrante histoire, ce sont nos valeurs et notre système judiciaire qui font les frais d’un fiasco créé de toutes pièces au sud de la frontière par des victimes avides, un débiteur récalcitrant et l’administration de la justice californienne qui en a vraisemblablement échappé une.

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