Steve Jobs ou le culte de la personnalité

Publié le 12/10/2011 à 22:16, mis à jour le 12/10/2011 à 22:55

Steve Jobs ou le culte de la personnalité

Publié le 12/10/2011 à 22:16, mis à jour le 12/10/2011 à 22:55

Steve Jobs - Source : Éric Poirier, Directeur Artistique Transcontinental

BLOGUE.
Une véritable onde de choc s’est produite avec la mort de Steve Jobs, survenue le 5 octobre 2011. Le lendemain, Google News avait agrégé un grand total de 15 574 articles portant sur le sujet ; en comparaison, Google n’avait agrégé que 5 500 article pour la mort de Ben Laden survenue il y a quelques mois. Un événement majeur à en juger par ces statistiques, mais pas étonnant non plus vu l’impact que l’homme a eu au cours des 30 dernières années.

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Pas étonnante non plus, la quantité d’éloges et de synthèses sur sa longue feuille de route. Nous avons même eu droit à un pastiche du logo d’Apple avec le profil de Steve Jobs qui a fait le tour du monde en 24h et qui a fait de son auteur (un étudiant de Hong Kong) une star mondiale. Toutefois, ce qui m’a vraiment étonné dans tout ce tapage médiatique, c’est le caractère émotif dans la réaction des gens, symbolisée dans les photos de ces lampions posés au pied des boutiques Apple. Des lampions? Une question me trotte dans la tête depuis la semaine dernière : que veut donc dire ce grand deuil pour un marketeur qui a empoché des milliards en mettant en marché des technologies grand public? Avec mes collègues1, nous avons débattu la question amplement. Voici le fruit de nos réflexions.

La clientèle d’Apple : une tribu particulière
Il faut d’une part définir la tribu avant de décrire la création et l’impact de son leader. Avec sa devise contestataire (« Think Different »), Apple s’est toujours positionnée comme le chantre de la dissidence dans le monde corporatif et a trouvé sa base d’adhérents dans le segment de la « classe créative ». Une classe qui se distingue des autres par son adhésion aux valeurs incarnées par la marque Apple :
- la simplicité,
- l’élégance,
- la liberté retrouvée,
- la qualité sans compromis,
- l’humanisme,
- la démocratisation de la technologie.

Bref, une classe qui a souhaité ouvrir le monde corporatif et le rendre plus sexy (« Beyond business »). Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire si on se fie à l’omniprésence de la marque Apple dans les médias, Apple ne plait pas à tout le monde. De fait, dans le secteur des ordinateurs personnels, l’entreprise n’a jamais pu se hisser au-delà de 15% de parts de marché. Dans le secteur des téléphones intelligents, Apple voit ses parts de marché tomber de trimestre en trimestre au profit des appareils qui roulent avec Android (le système d’opération développé par Google).

Toutefois, avec la percée de l’iPod dans le secteur des lecteurs de musique et l’engouement récent pour les tablettes2, il est clair aujourd’hui qu’Apple a élargi sa base de clients et est devenue une marque qui s’adresse davantage au grand public (en rupture avec sa base de clients d’origine?); au point où on parle aujourd’hui d’une « distinction de masse »3.

La fabrication d’un héros
Apple a fait d’elle même une marque plus grande que ses propres produits et une marque fortement identifiée à son fondateur : Steve Jobs. Or, quand on analyse le parcours singulier de ce grand marketeur, on y trouve dès le départ, tous les ingrédients d’une figure héroïque, voire potentiellement mythique :
- un enfant adopté, devenu « self-made man » en fondant une entreprise dans le garage chez ses parents; une entreprise qui a rapidement propulsé Steve Jobs sur la scène publique,
- la présence d’un ennemi qui symbolisait la grande corporation au sens large : IBM, qu’il a combattu comme David contre Goliath.

On a rapidement découvert un iconoclaste, doté d’un flair hors du commun pour anticiper les besoins des gens en matière de technologie, qui avait un sens du spectacle et qui amenait aux mondes des affaires un « sex-appeal » rarement vu dans le passé. Jobs est devenu une star mondiale à l’âge de 25 ans à peine.

À partir de ce point, c’est une succession d’événements qui ont jalonné son parcours :
1. le congédiement de Steve Jobs en 1985
2. la fondation de NeXT en 1985 et l’achat de Pixar en 1986
3. la sortie du premier long métrage de Pixar en 1995 : Toy Story
4. l’inscription en bourse de Pixar : Jobs devient milliardaire
5. le retour chez Apple en 1996
6. le lancement successif entre 1997 et 2010 de l’iMac, de l’iPod, d’iTunes, de l’iPhone, de l’iPad

Si on transposait cette liste d’événements en métaphore, son parcours pourrait se résumer en quelques étapes phares qui font de Steve Jobs aujourd’hui un mythe en devenir :
1. l’émergence du héros prodige qui a combattu un ennemi formidable
2. la marche dans le désert
3. le retour du héros prodige
4. la résurrection de l’entreprise
5. la consécration des produits
6. le départ prématuré du héros

Et la pérennité dans tout ça?
La question se pose aujourd’hui alors qu’on se demande tous si Apple pourra perpétuer les succès du passé en l’absence de son CEO héroïque. Est-ce que les gens trouveront le moyen de s’identifier à l’entreprise sans sa figure de proue? La culture d’Apple pourra-t-elle se perpétuer sans la symbiose entre son leader-fondateur mythique et l’entreprise ?

Le temps saura nous le dire. Pixar a certainement survécu au départ du grand Steve Jobs.

À mercredi prochain !

Le buzzword de la semaine : Conversation, le terme désigne la suite d’interactions dans les médias sociaux entre une marque et ses adhérents qui favorise l’échange, la compréhension et le partage; se pose en rupture avec la communication de masse.


1. Patrick Élie, Patrick Jacques, Martin Leclerc
2. 1M de copies de l’iPad2 s’est écoulée en 2 jours lors du week-end de son lancement en avril 2010
3. Voir l’excellente analyse de Jean-Marc Proust « Steve Jobs : chaque génération a les deuils qu’elle mérite ».


À propos du blogue "Horizons Numériques"
Nous sommes au cœur d’une révolution numérique où les changements bouleversent le monde du marketing et des communications, et aussi la vie de tous les jours. Comme je suis en général assez méfiant des modes technos (ou « hype »), je garde un regard toujours critique sur les nouvelles tendances qui se créent.
Dans ce blogue, je ferai donc état des tendances dans le secteur numérique et donnerai une perspective critique sur les événements qui se déroulent et les modes technos qui se créent à tous les jours, en les rattachant à des perspectives d’affaires.
Je tenterai aussi de faire des projections d’avenir de temps à autres, question de me « mouiller » un peu. Je vous inviterai à en faire autant. Nous verrons bien avec le temps qui aura eu raison ;-)
J’occupe le poste de directeur principal, stratégie numérique chez Transcontinental
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