Popcorn Time : nouvelle menace pour Hollywood

Publié le 02/04/2014 à 07:00

Popcorn Time : nouvelle menace pour Hollywood

Publié le 02/04/2014 à 07:00

Ce billet est le premier d'une série que je vous présente sur les bouleversements dans le secteur du divertissement depuis 15 ans. Je traiterai plus particulièrement du cinéma, de la télévision et de la musique. Le sort qu'a connu la musique annonce clairement ce que connaîtront le cinéma et la télévision dans un avenir proche.

Une brèche béante dans le mur
Vous connaissez Popcorn Time? C'est la plus récente innovation spontanée qu'a connu le monde numérique, véritable météore qui est devenu le "nouveau cauchemar du cinéma"1, comme l'indiquait si bien un titre dans le Figaro en mars 2014. En quelques jours, l'application gratuite de streaming de films piratés a été traduite et téléchargée dans plus de 30 pays, a connu une faveur médiatique énorme en Europe et aux États-Unis et est devenue le répertoire le plus fréquenté au monde sur GitHub (un service web d'hébergement et de gestion de développement de logiciels). Pour un service développé en mode "open source" (ou logiciel d'accès libre) et dont l'initiateur venait de Buenos Aires (donc loin des cercles influents du Bay Area à San Francisco), c'est très impressionnant.

Mais ce qui frappe le plus dans cette histoire, c'est la vitesse à laquelle Hollywood a sauté sur le cas pour faire fermer le service. Pas autant à cause du nombre de téléchargements de l'application (très peu de téléchargement aux US au final), mais bien en raison de la qualité du service et de la brèche immense que Popcorn Time a ouvert en l'espace de quelques jours. Je cite deux fois Pochoclin ("Popcorn" en espagnol argentin), le pseudo d'un des auteurs argentins de l'app :

- "Vous savez la meilleure à propos de Popcorn Time? C'est qu'un grand nombre de personnes se sont spontanément et simultanément mises d'accord sur le fait que l'industrie du cinéma a beaucoup trop de restrictions ridicules appliquées à trop de marchés."2

- "Nous croyons avoir démontré le fait qu'il y a une énorme demande pour d'excellents services de streaming de films et notre app a finalement comblé un besoin que les joueurs établis en cinéma refusent de combler depuis longtemps."3

Le film que je veux, quand je le veux, où je le veux
Popcorn Time est essentiellement un service convivial de streaming de films piratés utilisant le protocole BitTorrent, puisant dans un répertoire impressionnant et via une interface hyper-léchée. Le coup de maître des auteurs de cet outil "open source" est d'avoir rendu intuitive et élégante l'interface de visionnement de films qui donne vraiment l'impression de consommer un service légal. Et, contrairement au services des divers BitTorrent existants (tous aussi illégaux les uns que les autres), Popcorn Time permet de visionner le film aussitôt qu'on l'a choisi : nul besoin d'attendre d'avoir tout téléchargé.

Et c'est là la beauté de l'app. Une expérience simple et conviviale, qui répond complètement au besoin de voir le film que l'on veut, quand on veut, via le dispositif qui nous convient. Le seul hic, c'est que le service n'est pas légal. L'expérience est toutefois extrêmement convaincante.

La réaction de l'industrie : une victoire à la Pyrrhus4 en devenir?
Vous vous souvenez de la réaction de l'industrie de la musique face au piratage de CD, à la fin des années '90? Ils ont sorti tout l'arsenal légal imaginable pour combattre un mouvement devenu irréversible. Je propose un petit détour pour mieux comprendre ce qui se passe avec l'industrie du cinéma aujourd'hui.

À l'époque, l'industrie vendait de la musique sur support CD (à 25$ pièce, merci). Vous n'aimiez pas 9 des 10 titres gravés sur le disque? Dommage pour vous. Puis, Napster est arrivée en 1999 et a tout fait basculer. À son paroxysme, le nombre d'utilisateurs sur Napster en mode "Peer-to-Peer" a atteint 26 millions et a fait craqué l'industrie du disque. Pourquoi un tel engouement? Parce que c'était avant tout le seul moyen d'obtenir de la musique sur le Web à l'époque. La gratuité n'était pas le motif premier : iTunes est venue contredire cette thèse avec ces titres vendus à 0.99$. Les gens étaient prêts à payer là où il y avait une réelle valeur ; pas dans un CD à 25$.

S'est ensuivie une poursuite légale énorme, menée par la RIAA qui représentait les grandes compagnies de disque dont A&M Records et Atlantic (lointain souvenir!), qui a poussé Napster à se protéger de ses créanciers et à être vendue en morceaux. Victoire pour l'industrie du disque, mais perte énorme pour leur réputation : ils ont pratiqué une politique de terre brûlée en pourfendant les utilisateurs de Napster via des campagnes moralisantes et en allant même jusqu'à poursuivre légalement plus de 30 000 utilisateurs aux États-Unis. C'est beaucoup de petits lapins à courir.

Aujourd'hui les Napster et consorts de l'époque n'existent plus, mais se sont plutôt réincarnés en entreprise telles que Spotify, Pandora, LastFM et Rdio (que je traiterai dans un autre billet). Au final, c'est une victoire à la Pyrrhus pour les compagnies de disque : les revenus de l'industrie sont passés de 27MM$ en 1999 à 15MM$ en 2013. Une raclée sans précédent.

Une histoire qui se répète
On me dira peut-être que la musique et le film sont des industries complètement différentes. Je crois que du point de vue de l'usage, c'est devenu du pareil au même. Le poids des fichiers représentait la seule différence entre la musique et les films. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas : télécharger un film est une affaire de quelques minutes.

Or, même si Hollywood a gagné sa petite bataille contre Popcorn Time, d'autres vont vouloir imiter le service de streaming pour son élégance et sa simplicité d'usage. Il n'y a plus de retour en arrière.

C'est malheureux comme l'histoire se répète. Mais il est fort probable que les acteurs de l'industrie cinématographique feront tout légalement en leur pouvoir pour préserver leur modèle d'affaires désuet, au nom de la protection du créateur de contenu. Si j'étais à leur place, j'investirais plutôt temps et argent (et de façon urgente!) pour adapter le modèle à la réalité actuelle des consommateurs. C'est de là que viendra leur salut, pas par le biais de leurs avocats.

La solution serait pourtant toute simple : au lieu de tout ce débat légal qui condamne l'initiative et qui moralise les gens, pourquoi ne pas offrir un accès à TOUS les films (pas à une partie du répertoire, pas uniquement à ceux de l'an passé, mais à tous les films) via une interface facile d'usage et à un prix raisonnable

Popcorn Time ne fonctionne pas aujourd'hui mais une nouvelle équipe de programmeurs l'a pris en charge à la fin mars. Le Phénix va très certainement renaître de ses cendres.

Prochain billet : le bonheur de la musique en ligne. Comme quoi il y a de l'espoir pour les films.

 

Nota Bene : je tiens à souligner que le propos de l'article n'est pas d'endosser des services illégaux mais bien de faire la lumière sur un modèle d'affaires désuet.

1 Piratage : «Popcorn Time», nouveau cauchemar du cinéma : http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/03/12/01007-20140312ARTFIG00151-piratage-popcorn-time-nouveau-cauchemar-du-cinema.php

2 Goodbye Popcorn Time, The experiment has come to en end : https://medium.com/p/93f890b8c9f4

3 Popcorn Time, What we do and more : https://medium.com/le-futur-de-la-distribution-de-films-en-france/baf6a9985ba8

4 Si vous ne connaissez pas l'expression, en voici une explication qui provient de Wikipedia : "Une victoire à la Pyrrhus" est une victoire avec un coût dévastateur pour le vainqueur. L'expression est une allusion au roi Pyrrhus Ier d'Épire, dont l'armée souffrit de pertes irremplaçables quand il défit les Romains pendant sa guerre en Italie à la bataille d'Héraclée en 280 av. J.-C. et à celle d'Ausculum en 279 av. J.-C.

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