Managers, souffrez-vous (sans le savoir) du mal italien?

Publié le 06/11/2017 à 06:06

Managers, souffrez-vous (sans le savoir) du mal italien?

Publié le 06/11/2017 à 06:06

Quand on est mal entouré, on ne va ni vite ni loin... Photo: DR

C'est un mystère. Entre 1996 et 2006, la croissance économique par heure travaillée n'a été que d'à peine 0,5% en Italie. Et ce, alors qu'elle a été pendant le même période de temps de 1,7% en Allemagne, de 1,9% en France, ou encore de 2% aux États-Unis comme au Japon. Pis, la situation a empiré en Italie dans les années qui ont suivi la crise économique mondiale de 2008.

Comment expliquer cette spécificité italienne? La chose est franchement étonnante, au regard des principaux indicateurs économiques de l'époque : l'Italie n'a pas connu de déflation entre 1996 et 2006; ses taux d'intérêts étaient bas et stables; sa politique fiscale permettait de contrôler le déficit; et ses gouvernements ont été relativement stables et durables.

Alors? Eh bien, deux chercheurs italiens ont tenu à le découvrir, Bruno Pellegrino, doctorant en économie et en management, à l'École de management Anderson de l'Université de Californie à Los Angeles (États-Unis), et Luigi Zingales, professeur de finance à l'École de commerce Booth de l'Université de Chicago (États-Unis). Et je vais de ce pas partager avec vous le fruit de leur travail, une étude intitulée Diagnosing the italian disease, riche en enseignements managériaux, comme vous allez vite le saisir...

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MM. Pellegrino et Zingales se sont plongé dans des données macroéconomiques pour tenter d'identifier la ou les raisons de la faible croissance économique de l'Italie depuis le milieu des années 1990. Était-ce dû à un choc économique, en particulier l'avènement de la Chine dans le commerce mondial? Était-ce encore dû au manque de flexibilité de la main-d'oeuvre italienne? Non, et encore non : ni l'une ni l'autre raison n'explique le phénomène en question.

En revanche, leur analyse a mis au jour quelque chose de curieux : la plupart des pays développés ont connu une croissance économique soutenue grâce surtout à l'utilisation massive de nouvelles technologies (informatique, web,...), lesquelles ont boosté la productivité des travailleurs et des entreprises; or, l'Italie et bel et bien vécu ce même déferlement de nouvelles technologies, mais n'a visiblement pas su en tirer des gains significatifs en matière de productivité!

Ni une ni deux, les chercheurs italiens ont creusé ce filon. Ils se sont dit que les Italiens n'étaient pas plus «technonuls» que les autres, mais que quelque chose avait sûrement freiné l'adoption des nouvelles technologies au sein des entreprises italiennes. Et c'est ainsi qu'ils ont découvert l'existence d'un lien direct entre le gain en productivité dû à la technologie et... la méritocratie! Explication.

MM. Pellegrino et Zingales ont eu une intuition : Italiens eux-mêmes, ils se sont dit que leur pays d'origine se distinguait de nombre d'autres par le simple fait que les employés sont, en général, moins récompensés pour leur performance au travail qu'ailleurs; et que cela avait peut-être un impact sur leur adoption des nouvelles technologies. Pourquoi? Parce qu'un employé lambda percevait bien que ces nouvelles technologies pouvaient lui permettre de gagner en efficacité, et donc en productivité, mais n'avait pas d'intérêt particulier à cela : une meilleure performance de sa part ne se traduirait pas automatiquement par un revenu plus élevé, en fin d'année.

Du coup, ils ont concocté un indicateur mesurant le niveau de méritocratie au sein des entreprises, puis ont évalué différents pays à cette aune. Et dans un second temps, ils ont regardé s'il y avait la moindre corrélation entre leur indicateur et le gain en productivité découlant de l'adoption de nouvelles technologies. Vous connaissez le résultat : plus on récompense un employé à la performance, plus il est prompt à recourir à ce qui peut l'aider en ce sens, en particulier les nouvelles technologies.

Maintenant, allons plus loin... Comment se fait-il que la méritocratie ne soit pas, comme ailleurs, en vigueur en Italie? Les deux chercheurs italiens ont creusé davantage dans leurs données et en sont arrivés à une conclusion lumineuse, qui tient en deux points:

> Népotisme. Nombre de dirigeants italiens ont la fâcheuse tendance de favoriser les membres de leur famille, en leur octroyant des pouvoirs et des postes alors qu'ils n'ont pas nécessairement la compétence pour les remplir.

> Copinage. Nombre de dirigeants italiens ont pour réflexe de privilégier leurs amis ou leurs connaissances, dès lors qu'il s'agit de recruter ou de promouvoir quelqu'un; et ce, au détriment d'autres personnes, souvent plus compétentes.

Voilà. Mine de rien, le népotisme et le copinage ont carrément empêché un pays tout entier de connaître une croissance aussi solide et dynamique que celles des autres, depuis maintenant des décennies. Ni plus ni moins. Si l'Italie accuse à présent un certain retard économique par rapport à d'autres pays occidentaux, c'est en grande partie en raison de ses pratiques managériales marquées au fer rouge par le népotisme et le copinage.

Oui, à force de donner la priorité à leurs proches, les managers italiens ont non seulement sapé l'adoption des nouvelles technologies par leurs entreprises, mais aussi ralenti la croissance économique du pays entier! Et c'est cela que MM. Pellegrino et Zingales ont dénommé le «mal italien»...

Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis:

> Qui entend ne plus souffrir du mal italien se doit de mieux s'entourer. Il lui faut arrêter immédiatement de privilégier ceux qui lui sont proches au travail, pour ne pas dire sa «petite cour de fidèles». Il doit plutôt s'ouvrir à la différence, à la diversité, voire à l'adversité. Car c'est là la condition sine qua non pour récompenser la compétence et la performance, et non plus la loyauté. Et par suite, pour afficher une belle croissance de ses affaires.

En passant, l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma a dit dans En attendant le vote des bêtes sauvages : «On n'est trahi que par ses proches amis».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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