Sexe, mensonges et contre-performance managériale

Publié le 21/02/2017 à 06:16, mis à jour le 21/02/2017 à 06:22

Sexe, mensonges et contre-performance managériale

Publié le 21/02/2017 à 06:16, mis à jour le 21/02/2017 à 06:22

Un premier faux-pas éthique, puis un autre, et encore un autre... Photo: Mad Men

L'intégrité. Tout le monde s'entend, j'espère, pour dire qu'il s'agit là d'une qualité essentielle pour un leader digne de ce nom. Et donc, pour un manager, pour un vice-président et a fortiori pour un PDG.

Mais voilà, jusqu'où convient-il de considérer cette intégrité-là? Par exemple, peut-on estimer qu'un écart de conduite d'un dirigeant dans le cadre de sa vie privée a une réelle incidence sur sa vie professionnelle? Ou est-ce aller trop loin? C'est qu'on peut légitimement se poser la question suivante : «Si jamais un PDG en vient à tromper sa femme, par exemple en sortant avec son adjointe, peut-il aussi en venir à tromper un partenaire d'affaires, voire ses employés?»

Cette interrogation, en vérité, ne m'est pas venue toute seule. Je l'ai trouvée dans le préambule d'une étude fascinante, dont j'ai eu vent grâce à... Julie Cailliau, ma boss! Celle-ci est intitulée The consequences of managerial indiscretions: Sex, lies, and firm value et est signée par : Brandon Cline, professeur de finance à l'Université d'État du Mississippi à Starkville (États-Unis); Ralph Walking, fondateur du Center of Corporate Governance de la Faculté d'affaires LeBow à Philadelphie (États-Unis); et Adam Yore, professeur de finance à la Faculté d'affaires Robert J. Trulaske, Sr. à Columbia (États-Unis). Regardons ensemble de quoi il retourne...

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Les trois chercheurs américains ont eu la curiosité de se dire que le manque d'éthique personnelle d'un dirigeant d'entreprise pouvait faire office, dans le cadre du travail, de «canari dans une mine de charbon». (Au 19e siècle, les mineurs amenaient toujours avec eux un canari sous terre, dans des cages de la taille d'un panier-repas. Pourquoi? Parce que si le canari s'évanouissait, c'était le signe qu'il y avait là «une moufette» (comprendre une poche de gaz mortel ou explosif), et donc, urgence de revenir sur ses pas : les canaris sont nettement plus sensibles à ces gaz-là que les êtres humains.)

Autrement dit, ils ont envisagé la possibilité qu'un dérapage éthique – abus de certaines substances, violence physique ou psychologique, écart de conduite de nature sexuelle, ou encore malhonnêteté caractérisée – soit un signal d'alarme dont il faudrait absolument tenir compte, car avant-coureur de véritables périls à venir pour l'entreprise-même. Et pour s'en faire une juste idée, ils ont analysé en profondeur 325 dérapages éthiques commis aux États-Unis entre 1978 et 2012 par des dirigeants d'entreprise, dans le cadre de leur vie personnelle – un PDG qui a tenté de faire croire qu'il était diplômé en informatique; un PDG qui a battu sa maîtresse à l'issue d'un match de boxe; etc. Leur objectif : déceler dans chacun de ces cas-là la moindre incidence directe du dérapage en question sur la valeur et la performance de l'entreprise.

Résultats? Asseyez-vous bien, car ça dépasse l'entendement :

> Une chute de la valeur de l'entreprise. Dès qu'un tel dérapage éthique est connu, la valeur de l'entreprise chute aussitôt en Bourse d'en moyenne 1,6%, ce qui correspond à un plongeon de sa capitalisation boursière d'en moyenne 110 millions de dollars américains. Et lorsque ce dérapage concerne le PDG lui-même, l'affaissement est d'en moyenne 4,1%, soit une dégringolade de sa capitalisation boursière d'en moyenne 226 millions de dollars américains.

Comment expliquer une réaction aussi vive de la part des investisseurs? Les trois chercheurs américains ont creusé dans leurs données et découvert trois raisons principales :

1. Zéro bon coup. Plus le dérapage éthique commis par un haut-dirigeant est conséquent, moins son entreprise est amenée, à court et moyen terme, à se lancer dans une opération de fusion-acquisition, ou même à nouer un partenariat d'affaires d'importance. Autrement dit, moins l'entreprise a de chances d'effectuer un «bon coup» dans les prochains mois ou trimestres.

2. Zéro nouveau client d'envergure. Plus le dérapage éthique commis par un haut-dirigeant est conséquent, moins son entreprise est amenée, à court et moyen terme, à décrocher un tout nouveau client d'envergure. Autrement dit, moins elle a de chances de franchir un nouveau cap dans son évolution au cours des prochains mois ou trimestres.

3. Zéro fiabilité comptable. Plus le dérapage éthique commis par un haut-dirigeant est conséquent, plus l'entreprise présente de risques de voir sa comptabilité manipulée, et par suite, d'être poursuivie en justice pour fraude fiscale. Autrement dit, plus elle risque de bientôt se fracasser sur un écueil judiciaire.

> Une chute de la performance de l'entreprise. Dès qu'un tel dérapage est connu, la marge bénéficiaire de l'entreprise se met à péricliter de manière «anormale»; tout comme, d'ailleurs, la rentabilité de ses actifs (return on assets, ou ROA, en anglais). Une «anomalie» qui peut avoir de lourdes conséquences : du coup, la probabilité de voir le PDG se faire remercier par le conseil d'administration bondit d'en moyenne 41%.

«Cela ne fait pas l'ombre d'un doute, lorsqu'un membre de la haute-direction, voire de l'équipe des managers clés, commet un dérapage éthique dans sa vie privée, cela a des répercussions immédiates et conséquentes pour l'entreprise dans laquelle il évolue. C'est qu'il semble que lorsqu'on a goûté au dérapage éthique, on est dès lors disposé à y regoûter à la première occasion venue, en particulier au travail», disent les trois chercheurs américains dans leur étude.

Et d'ajouter : «D'où l'importance vitale de considérer tout dérapage éthique d'ordre a priori privé comme une véritable alarme rouge pour toute l'entreprise».

Saisissant, n'est-ce pas? Vous comme moi, nous n'avons pas deux personnalités en nous, contrairement à la croyance populaire : un «moi» à la maison et un autre «moi» au bureau, le premier étant parfois considéré comme le «vrai» (celui où l'on se permet, par exemple, de traiter un chauffard de tous les noms, sans vergogne) et le second, comme le «faux» (celui où l'on veille à projeter une image parfaite, idéale, où l'on ne se permettrait jamais, par exemple, de traiter un collègue pourri d'ambition de tous les noms, sans honte aucune).

Non, nous n'avons qu'une seule personnalité, qui comprend des qualités comme des défauts, si bien que les unes et les autres sont promptes à s'exprimer dans n'importe quel milieu de vie, que ce soit dans notre sphère privée ou dans celle du travail. En conséquence, les mauvaises manies finissent, tôt ou tard, par se retrouver ici et là : votre boss qui trompe sa femme avec son adjointe aura, donc, bel et bien le réflexe de mentir, voire de manipuler, autrui au travail (employés, clients, partenaires d'affaires, etc.) – et cela représente un grand danger pour l'entreprise elle-même!

Voilà. L'éthique est l'un des piliers du leadership. À nous de veiller à ce qu'il soit solide à jamais, en arrêtant de fermer les yeux sur ce qui se passe en-dehors du bureau, à coups de pensées oiseuses du genre «Cela ne nous regarde pas!» et autres «Ce qui se passe au chalet reste au chalet!»

Si vous apprenez qu'un manager bat sa femme, ne fermez pas les yeux. Si vous découvrez qu'un vice-président a l'habitude de cracher sa haine sur les arbitres des matchs de hockey de son gamin, ne vous bouchez pas les oreilles. Ou encore, si vous êtes informé que le PDG lui-même dépose de l'argent sur des comptes de banques situées dans des paradis fiscaux, ne fermez pas votre bouche. Agissez en conséquence. Sans jamais tergiverser.

Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :

> Qui entend éviter un coup dur à son entreprise se doit de se montrer intransigeant quant à l'intégrité de ses dirigeants. Il lui faut avoir un oeil sur l'éthique des membres de la haute-direction, voire des managers clés, aussi bien dans les sphères professionnelles que personnelles. C'est que feindre d'excuser un mauvais comportement de la vie privée – imaginons, au hasard, quelqu'un qui rivaliserait de propos machistes et se targuerait «d'attraper les femmes par la chatte» – a inévitablement de lourdes conséquences pour l'entreprise elle-même, a fortiori quand il s'agit là de la personne qui en est à la tête – imaginons, toujours au hasard, ce même quelqu'un qui prendrait les rênes du pouvoir à Washington. Je vous laisse imaginer la suite...

En passant, l'écrivain américain Ralph Waldo Emerson a dit dans La Confiance en soi : «Rien n'est plus sacré que l'intégrité de votre esprit».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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