Les milléniaux?! Facile de les faire triper au travail!

Publié le 17/10/2016 à 06:06, mis à jour le 17/10/2016 à 06:25

Les milléniaux?! Facile de les faire triper au travail!

Publié le 17/10/2016 à 06:06, mis à jour le 17/10/2016 à 06:25

Être heureux au travail, ça change tout... Photo: DR

J'ai eu le privilège d'assister récemment à un 5@8 sur le thème de l'avenir du leadership, organisé à Montréal dans le cadre de l'opération CEOx1Jour du cabinet-conseil en recrutement Odgers Berndtson. L'idée était on ne peut plus simple : revenir sur l'expérience vécue par des milléniaux – ces jeunes fraîchement diplômés qui arrivent sur le marché de l'emploi –, qui consistait à passer une journée entière en compagnie du PDG d'une grande entreprise québécoise; et en profiter pour éclaircir certains «mystères» concernant cette toute nouvelle génération de travailleurs, a priori si différente des autres (génération X, baby-boomers, etc.) que nombre d'employeurs s'arrachent les cheveux face à ses exigences inédites, du genre (je cite là un cas réel, survenu au moment de la signature d'un contrat d'embauche) «Oui, le contrat me convient, mais je vous préviens tout de suite que j'ai déjà bloqué trois semaines de congé en février, pour faire du ski en Europe avec mes chums».

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Il y avait là, dans l'une des salles de conférence de l'hôtel W, pléthore de PDG des plus grandes entreprises québécoises, oeuvrant tant dans le public que le privé. Je le souligne, il y avait là la crème de la crème du Québec Inc. Et il est vite devenu clair, dans les propos tenus par les uns et les autres, qu'aucun de ces hauts-dirigeants ne comprenait quoi que ce soit aux milléniaux. Pour vous en faire une idée, voici quelques-unes des phrases que j'ai entendues (peu importe l'identité de leurs auteurs, là n'est pas l'important...) :

«Je ne comprends pas : on leur offre des contrats comme on n'en a jamais offert, et ils s'en vont trois mois plus tard...»

«On a regardé les statistiques et on a découvert que les jeunes recrues n'ouvraient même pas les courriels envoyés par les RH ou la haute-direction! C'est complètement incompréhensible... Comment communiquer avec quelqu'un qui jette aussitôt ton message à la poubelle?!»

«L'Intranet? Ils n'y vont jamais. On pense le supprimer carrément, mais ça passerait mal auprès des autres, je pense...»

«Bien honnêtement, j'ai aucune idée de ce que les jeunes d'aujourd'hui retirent des stages qu'ils font chez nous...»

Etc.

Sans parler de ce PDG qui, se vantant d'avoir désormais des bureaux à aire ouverte, a ainsi eu l'occasion de s'asseoir non loin de, je cite, «nos jeunes», sans réaliser une seconde combien sa formulation était condescendante à l'égard de la relève de son entreprise : que dirait-il si jamais il surprenait ses nouvelles recrues en train de parler entre elles de lui en le présentant comme «mon vieux»? Hein? Qu'en penserait-il? S'en offusquerait-il?

On le voit bien, on part de loin. Ce n'est pas demain que les PDG d'aujourd'hui vont réussir à se mettre sur la même longueur d'ondes que les milléniaux...

Est-ce même une Mission : Impossible? Fort heureusement, non, ce n'est pas du tout le cas! J'en veux pour preuve une étude lumineuse à ce sujet, intitulée Generational differences in work-related attitudes: A meta-analysis. Celle-ci est signée par : David Costanza, professeur de science organisationnelle et de psychologie à l'Université George-Washington, à Washington (États-Unis), assisté de ses étudiants Jessica Badger, Rebecca Fraser et Jamie Severt; et Paul Gade, chercheur à l'Institut de recherche en sciences sociales et en comportement de l'Armée de terre des États-Unis, à Arlington (États-Unis). Regardons ensemble de quoi il s'agit...

Les cinq chercheurs américains se sont tout bonnement demandé s'il y avait de réelles différences entre les générations actuelles de travailleurs. Et pour s'en faire une idée, ils ont procédé à ce qu'on appelle une méta-analyse, c'est-à-dire qu'ils ont regardé si, d'un point de vue statistique, il apparaissait de telles différences lorsqu'on filtrait en ce sens un grand nombre d'études portant justement sur les différences générationnelles au travail. L'idée est simple : si dans un grand nombre d'études il apparaît presque systématiquement que, disons, les milléniaux sont plus préoccupés par le bien-être au travail que les autres générations, c'est le signe que ce point là est vraiment crucial à leurs yeux; et par suite, qu'il convient d'en tenir sérieusement compte pour tout employeur digne de ce nom, qui entend attirer, recruter et retenir les jeunes talents d'aujourd'hui et de demain.

Résultat? Attendez-vous à une grosse surprise :

> Aucune différence significative avec les autres générations. Les cinq chercheurs américains sont catégoriques : «Notre méta-analyse met en évidence le fait qu'au travail il n'y a pas de différences significatives et systématiques entre les différentes générations», concluent-ils dans leur étude. Par conséquent, il est erroné de considérer que les milléniaux sont complètement différents de leurs aînés, du moins dans le cadre du travail.

Renversant, n'est-ce pas? Surtout que – j'en suis convaincu – des exemples vécus vous reviennent en mémoire, comme quoi la jeune recrue de votre entreprise a agi d'une manière totalement nouvelle – pour ne pas dire choquante –, il n'y a pas si longtemps que ça. Comment expliquer ça? Peut-être bien par les trois «nuances» – oui, «nuances», car il s'agit de différences infimes, mais tout de même notables – que les chercheurs ont identifié dans leur étude :

1. Plus on vieillit, plus on se plaît au travail. Les membres des générations les plus âgées sont, en général, plus heureux au travail que les autres.

2. Plus on vieillit, moins on est tenté de changer d'emploi. Les membres des générations les plus âgées ont tendance à voir davantage les qualités de l'emploi qu'ils occupent que les défauts. Ce qui fait qu'ils rechignent, la plupart du temps, à entreprendre un virage professionnel, aussi petit soit-il.

3. Pas de corrélation entre la génération et la motivation. La motivation au travail ne dépend pas du fait qu'on appartient à une génération ou à une autre. Ainsi, le fait de donner, ou pas, son 110% dans son quotidien au travail ne dépend pas de l'âge de la personne en question, et donc encore moins de la tranche d'âges à laquelle elle appartient.

Que se dégage-t-il de ces trois nuances? Eh bien, comme le disent les cinq chercheurs eux-mêmes, le fait que «les employeurs ont beau, de nos jours, rivaliser d'imagination pour être les meilleurs à attirer, recruter et retenir les jeunes talents actuels, leurs efforts sont voués à être vains». Pourquoi? «Parce que toute action managériale visant une génération spécifique, comme celle des milléniaux, ne peut aucunement atteindre sa cible : c'est que la cible en question n'existe tout simplement pas!», expliquent-ils.

Autrement dit, les différences entre générations sont si peu prononcées au travail qu'il est inutile d'orienter son action en fonction des tranches d'âges des travailleurs. «La meilleure stratégie est par conséquent d'arrêter de regarder les travailleurs à travers le prisme des générations, et d'adopter des mesures pertinentes pour chaque individu, compte tenu de son profil professionnel et psychologique. C'est en prenant le temps de rencontrer et discuter avec chacun qu'un manager ou un employeur sera à même de déceler ses cordes sensibles, et donc d'identifier ce qu'il serait bon à faire à son égard pour l'atirer, le recruter et le retenir au sein de son équipe ou de son entreprise», disent-ils dans leur étude.

Bref, le secret, c'est qu'il n'y a pas vraiment de secret : pour bien gérer les milléniaux, il suffit de les considérer comme des êtres humains à part entière, d'accepter le fait que chacun a ses forces et ses faiblesses, en d'en tirer le meilleur parti pour l'aider à grandir, et par la même occasion pour l'amener à faire grandir l'écosystème que représente l'équipe, voire l'entreprise, dans laquelle il se trouve.

Que retenir de tout ça? Ceci, je pense :

> Qui entend faire triper les milléniaux au sein de son équipe ou de son entreprise se doit de les prendre en considération tout autant que les autres. Il lui suffit de les respecter, de se mettre à leur écoute et de leur offrir la possibilité de réellement contribuer au succès du groupe. Et donc, d'éviter tout cliché ou idée reçue en lien avec l'âgisme; en commençant, par exemple, à arrêter au plus vite de dire «mon jeune» pour parler du nouveau talent dont s'est enrichi l'entreprise (à bon entendeur, salut!)

En passant, l'écrivain américain de langue française Julien Green a dit dans son Journal : «La plupart des hommes trahissent leur jeunesse».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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