La pression du temps rend-elle con?

Publié le 26/08/2016 à 08:53

La pression du temps rend-elle con?

Publié le 26/08/2016 à 08:53

C'est que la connerie est, bien souvent, involontaire... Photo: DR

Deadline, rush, charrette... Les termes sont innombrables pour évoquer la pression du temps qui est constante, pour ne pas dire entêtante, au travail. C'est bien simple, vous comme moi, nous n'avons guère d'instants de répit une fois les pieds mis au bureau.

La pression du temps est même si omniprésente dans notre quotidien au travail que la plupart d'entre nous... ne la remarquons quasiment plus! Exemple : il nous paraît normal d'avoir un agenda qui déborde; et si jamais une période creuse survenait à l'improviste, nous trouverions vite le moyen de la combler (et ce, même si nous avons parfaitement conscience que notre corps et notre esprit apprécierait grandement de souffler un peu).

Pourquoi agissons-nous de la sorte? Oui, pourquoi nous entêtons-nous à considérer le temps comme notre Maître absolu, sans jamais oser nous rebeller, même en pensée? La réponse est aisée : tout au fond de nous-mêmes, nous considérons la pression du temps comme un stimulant, et non pas comme une nuisance.

Pour vous en convaincre, je vous invite à répondre en toute honnêteté à cette simple question : «Accompliriez-vous tout ce que vous devez faire aujourd'hui au travail si les différentes missions à remplir ne figuraient pas à votre agenda?» Vous voyez...

Mais ce n'est pas tout! La pression du temps ne fait pas que nous botter le train à longueur de journée. Elle fait pire. Quoi, au juste? C'est ce que dévoile une étude intitulée I'm in a hurry, I don't want to know! The effects of time pressure and transparency on self-serving behavior. Celle-ci est signée par : Johannes Jarke, doctorant en économie à l'Université de Hambourg (Allemagne); et Johannes Lohse, professeur d'économie à l'Université d'Heidelberg (Allemagne). Regardons ça ensemble...

Les deux chercheurs allemands se sont demandé si la pression du temps rendait les gens égoïstes, ou pas. Plus précisément, si cela les rendait carrément cons, ou pas, c'est-à-dire non seulement égoïstes, mais aussi indifférents au fait que ça se sache.

Pour s'en faire une idée, ils ont procédé à une expérience auprès de 128 volontaires. Le principe était simple... Chaque participant recevait 10 euros (14,50 dollars) et devait partager cette somme avec autrui, soit de manière équitable (5 euros chacun), soit de manière égoïste (8 euros pour lui, 2 euros pour l'autre). Point important à souligner, tous n'avaient pas été placés dans les mêmes conditions :

> Pression du temps. Certains avaient très peu de temps pour trancher. Les autres pouvaient prendre tout le temps qu'ils voulaient pour faire un choix.

> Transparence. Il avait été dit à certains que l'autre personne serait informée en toute transparence des choix — équitable ou égoïste — qui avaient été mis à leur disposition; autrement dit, l'autre saurait automatiquement s'il avait agi de manière altruiste ou égocentrique. Aux autres, il avait été dit que rien ne serait dévoilé quant aux choix à leur disposition (à moins que le "receveur" n'en exprime le souhait, avait-il été nuancé pour une poignée de ces participants-là).

Résultats? Ils sont littéralement fascinants :

> La transparence annihile la pression du temps. À partir du moment où les participants savaient que leur choix serait totalement transparent pour l'autre, la pression du temps n'avait aucun impact sur leur décision. Ceux qui voulaient de toute façon se montrer altruistes, se montraient altruistes. Et ceux qui voulaient de toute façon se montrer égoïstes, se montraient égoïstes.

> L'opacité, même partielle, combinée à la pression du temps pousse à l'égoïsme. À partir du moment où les participants savaient que l'autre ne saurait rien de leur choix, ou même aurait la possibilité de savoir s'ils s'étaient montrés altruistes ou égoïstes, la pression du temps les incitait à faire preuve d'égoïsme.

Comment expliquer une telle influence de la transparence dans le choix fait? Vraisemblablement par le fait qu'entre alors en jeu ce que les deux chercheurs allemands appellent le "mécanisme d'exculpabilisation". Explication.

Lorsqu'il est pressé par le temps, le cerveau réagit en triant les informations qu'il a : d'une part, il y a celles qui sont cruciales pour faire le bon choix; d'autre part, il y a celles qui ne sont pas cruciales. Or, il semble que les informations liées à la morale soient en général écartées de la réflexion à ce moment-là, n'étant pas jugées "cruciales". En conséquence, la moralité de notre décision importe guère à notre cerveau, si bien que nous choisissons presque systématiquement d'empocher 8 euros et de ne donner que 2 euros à l'autre, au lieu de partager à hauteur de 50/50 comme nous le faisons plus souvent dès lors que la pression du temps a disparu. Autrement dit, la culpabilité — et les remords qui vont avec — est le cadet de nos soucis à ce moment précis.

En résumé, il existe un moyen ultrasimple de se soulager de la pression du temps lorsqu'il nous faut faire un choix : il suffit de s'arranger pour que la prise de décision soit la plus transparente possible pour tous ceux qui sont impliqués par celle-ci. Car, comme par magie, la pression du temps n'a plus aucune influence sur la moralité de notre choix.

Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :

> Qui entend ne pas agir comme un con lorsqu'il lui faut vite faire un choix se doit de faire preuve du plus de transparence possible. Autant que faire se peut, il doit jouer cartes sur tables avec toutes les parties prenantes concernant la décision à prendre. Parce que cela le soulagera, comme par magie, de la pression du temps. Et par suite, cela permettra à son cerveau de ne pas écarter la dimension morale du choix à faire.

En passant, l'écrivain français François Cavanna a dit dans Le saviez-vous? : «Plus on est con, plus on a peur de passer pour un con».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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