Et si vous changiez la définition du mot travail...

Publié le 21/11/2016 à 06:06, mis à jour le 21/11/2016 à 06:20

Et si vous changiez la définition du mot travail...

Publié le 21/11/2016 à 06:06, mis à jour le 21/11/2016 à 06:20

Pas de travail sans connexions, avec soi comme avec autrui... Photo: DR

Vous allez tout savoir... Un beau jour, alors que j'écoutais Radio Nova en travaillant au bureau, j'ai entendu Richard Gaitet, l'animateur de l'émission Nova Book Box, parler d'un tout nouveau bouquin signé par l'un de mes auteurs préférés, Ray Bradbury. Il présentait un extrait de la série d'essais présentée, pour la première fois en français, dans ce livre sous le titre suivant : Le Zen dans l'art de l'écriture (Antigone14 Éditions, 2016). Autrement dit, l'analyse de ce qu'est véritablement la créativité, aux yeux de l'auteur de Farenheit 451 et des Chroniques martiennes.

Ni une ni deux, je suis entré en contact avec Antigone14, qui a eu la gentillesse de me faire parvenir un exemplaire du livre, même si le livre a peu de chances d'être distribué au Québec (à bon distributeur, salut!). Et je l'ai dévoré d'une traite.

Résultat? Des étincelles d'intelligence concernant la créativité – «Soyez avec les idées comme avec un chat : faites-les vous suivre. Si vous essayez de vous approcher d'un chat et de l'attraper, il ne se laissera pas faire. Il faut lui dire : «OK, va au diable!». Et le chat se dira : «Attends une minute. Ce type ne se comporte pas comme la plupart des humains...» Et le chat vous suivra, juste par curiosité. Eh bien, une idée, ça fonctionne exactement de la même manière. Il suffit de se dire : «Ça ne sert à rien de s'inquiéter, de déprimer, d'insister». Les idées me suivront. Et quand elles ne seront plus sur leur garde, je me retournerai et les saisirai» –, mais surtout, un essai plus renversant que les autres, sur le regard que Ray Bradbury porte sur le concept-même de travail.

Regardons ça ensemble...

Mon nouveau livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement

«Prenons le temps d'observer en détails ce mot vaguement repoussant de travail. Ce mot, c'est d'abord et avant tout autour de lui que votre carrière va tourner toute votre vie durant. À partir de maintenant, il vous faut être non pas son esclave, voire pire encore, mais son partenaire. Soyez véritablement co-acteur de votre existence avec votre travail, et ce mot perdra son aspect repoussant.

«Comment se fait-il que dans une société à forte tradition puritaine comme la nôtre, nous ressentions vis-à-vis du travail des sentiments aussi ambigus? L'oisiveté fait naître en nous un sentiment de culpabilité, n'est-ce pas? Et, dans le même temps, est-ce que nous ne ressentons pas une forme d'avilissement à trimer et suer plus que de raison?

«Peut-être cette situation provient-elle de ce que nous nous égarons souvent dans des travaux inutiles ou dans des activités stériles, juste pour échapper à l'ennui. Ou, pire encore, de cette idée de travailler pour l'argent. Oui, l'argent, qui devient l'objectif, le but, la finalité et l'essence de tout. Et le travail, réduit au seul rôle de mal nécessaire pour y parvenir, dégénère en corvée. Comment s'étonner, dès lors, que nous le haïssions tant? (...)

«[Prenons le cas des écrivains.] C'est mentir que d'écrire avec en ligne de mire, pour seule récompense, l'argent qui va de pair avec le succès commercial. Et c'est mentir aussi que d'écrire avec en ligne de mire, pour seule récompense, le renommée à laquelle on accède, dans les gazettes pour intellectuels, par la grâce de tel ou tel cénacle pseudo-littéraire et snobinard. L'un agit en menteur commercial, l'autre, en menteur d'avant-garde.

«En vérité, les deux sont vraiment récompensés lorsqu'un inconnu se précipite sur eux, le visage d'une éclatante sincérité, les yeux brûlants d'admiration, et s'écrie : «Votre dernière histoire était superbe, vraiment magnifique!» À ce moment-là, et seulement à celui-là, écrire en vaut la peine! (...)

«[Se produit alors, pour l'un comme pour l'autre, cet instant magique où l'on s'ouvre enfin à la vérité, où l'on arrête d'agir en menteur, où l'on crée franchement, sans fard, sans arrière-pensée.] Vous vous demandez ce qui a bien pu se produire, ce qui a bien pu conduire ces deux menteurs à commencer à dire la vérité. Laissez-moi vous le dire, en élargissant l'image... (...)

«J'ai la conviction qu'à la fin des fins, la quantité contribue à la qualité. Comment ça? Avec leurs milliards de croquis – la quantité –, Michel-Ange, De Vinci et Le Tintoret se sont préparés à dessiner et peindre la qualité ; avec, plus tard, ces esquisses, ces portraits, ces paysages, tous uniques, d'une maîtrise et d'une beauté incroyables.

«Un grand chirurgien dissèque et redissèque mille fois, dix mille fois des corps, des tissus, des organes, se préparant ainsi, par la quantité, au moment où seule la qualité comptera – avec, sous son bistouri, un être vivant.

«Un athlète peut courir dix mille kilomètres juste pour se préparer à un cent mètres.

«La quantité apporte l'expérience. De l'expérience seule peut découler la qualité.

«Il n'est pas d'art, noble ou moins noble, qui ne consiste à éliminer le geste inutile au profit de l'expression juste et concise.

«L'artiste apprend à écarter ce qui doit l'être.

«Le chirurgien sait où inciser pour accéder à l'organe malade, comment éviter les pertes de temps et les complications.

«L'athlète apprend comment économiser son énergie, pour la libérer tantôt ici, tantôt là, comment utiliser tel muscle plutôt que tel autre.

«En va-t-il autrement de l'écrivain? Je ne crois pas.

«Son art le plus abouti, c'est dans ce qu'il ne dira pas, c'est dans ce qu'il écartera, qu'on le verra. Dans sa capacité à montrer simplement, et avec une émotion limpide, les chemins où il veut nous emmener.

«Le labeur de l'artiste est si difficile, si long, qu'un cerveau lui pousse au bout des doigts, et y vit.

«Il en va de même du chirurgien dont, à la fin des fins, la main, pareille à celle de De Vinci, doit tracer sur le corps humain les dessins de la vie.

«Il en va de même encore de l'athlète dont l'organisme, à la fin des fins, discipliné, se transforme de lui-même en une sorte de cerveau.

«Par le travail, par l'accumulation d'expériences, l'homme se libère de toutes les nécessités qui ne constituent pas le coeur même de la tâche qui l'attend.

«L'artiste ne doit pas songer aux récompenses ou à la rémunération que lui vaudront ses toiles. Il ne doit penser qu'à la beauté présente, là, dans son pinceau, prête à s'épandre pour peu qu'il la libère.

«Le chirurgien ne doit pas penser à ses honoraires, mais à la vie qui bat, là, sous ses mains.

«L'athlète doit ignorer la foule des spectateurs et laisser son corps faire la course pour lui.

«L'écrivain doit laisser ses doigts donner vie à ses personnages. Simples humains, qu'habitent des rêves et des obsessions étranges, ceux-ci seront trop heureux de courir.

«Ainsi, travailler, travailler dur, ouvre la voie aux premiers niveaux de relaxation. Un peu comme lorsqu'on apprend à taper à la machine à écrire : un beau jour, les lettres tapées péniblement les unes après les autres se transforment d'elles-mêmes en une foule de mots, sans prévenir.

«Et c'est pourquoi nous ne devrions pas considérer le travail avec dédain, ni mépriser [ce que nous faisons péniblement jour après jour au travail], considérant nos tâches comme autant d'échecs. Échouer, c'est abandonner. Là, vous êtes au beau milieu d'un processus évolutif. À ce stade, il n'y a pas d'échec. Tout avance. Le travail est fait. S'il est de bonne qualité, vous apprenez quelque chose. Si c'est mauvais, vous apprenez encore plus. Le travail que vous avez fourni et qui est derrière vous est une leçon à étudier. L'échec n'existe pas tant que vous ne vous arrêtez pas. Ne pas travailler, c'est s'arrêter, se crisper, devenir nerveux, ce qui est destructeur.

«Ainsi, vous le voyez, nous ne sommes pas là à travailler pour l'amour du travail, ou à produire pour l'amour de produire. Si tel était le cas, vous seriez en droit de vous horrifier et de tourner le dos. Non, ce que nous faisons, c'est juste essayer de trouver une manière d'exprimer la vérité qui se cache en chacun de nous!

«Ne vous apparaît-il pas clairement, à présent, que plus nous parlons du travail, plus nous approchons de la relaxation?

«Ne pas maîtriser son art, ou renoncer à vouloir le maîtriser, c'est cela qui fait que l'on est contracté. Le travail, qui nous apporte l'expérience, conduit à davantage de confiance et in fine à la relaxation. Une relaxation dynamique, on s'entend, comme dans la sculpture, où l'artiste n'a pas à réfléchir positivement à l'activité de ses doigts. Le chirurgien ne dit pas à son bistouri ce qu'il doit faire. De même, l'athlète ne donne pas de conseil à son organisme. À un certain moment, soudain, un rythme naturel s'établit; l'organisme pense par lui-même.

«Travail | Relaxation | Ne pas réfléchir

«Voilà les étapes nécessaires du véritable travail. Parce que si l'on travaille bien, on finit par se relaxer et par ne plus réfléchir. Et c'est alors, oui, que se produit la magie. (...)

«À noter, toutefois, un point crucial, pour ne pas dire vital : une telle façon de travailler peut amener à se perdre, si jamais on se fixe des objectifs inappropriés. Par exemple, en recherchant une renommée littéraire trop rapide. En voulant s'enrichir trop vite.

«Si seulement nous pouvions ne pas oublier que la renommée et l'argent sont des présents qui nous sont accordés seulement après que nous avons offert au monde nos plus belles vérités, nos vérités solitaires, nos vérités personnelles. C'est que nous devons faire de notre mieux, sans nous soucier de savoir si nous serons applaudis, ou pas. (...)

«Enfin, retenez que le vrai test, c'est l'action. Alors, soyez pragmatique. Si vous n'êtes pas satisfait aujourd'hui de la manière dont votre talent s'exprime, donnez sa chance à ma méthode : Travail | Relaxation | Ne pas réfléchir.

«Si vous le faites vraiment, je pense que vous pourriez aisément trouver, comme moi, une nouvelle définition au mot travail. Laquelle, au juste? Eh bien, travailler, c'est aimer.»

Wow! Renversant de simplicité, et donc de génie, vous ne trouvez pas? Pour se faire une idée précise de la meilleure façon dont vous pourriez travailler, et donc exprimer vos talents personnels dans le cadre de votre quotidien au travail, il vous suffit de regarder ça d'un oeil neuf, celui de... l'amour!

En passant, Ray Bradbury a également dit dans l'un de ses poèmes : «Faire c'est être / Avoir fait ne suffit pas / Faire et ne jamais cesser – voilà l'enjeu».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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