Comment éviter une contagion de procrastination?

Publié le 04/04/2016 à 08:59

Comment éviter une contagion de procrastination?

Publié le 04/04/2016 à 08:59

Procrastiner, c'est aussi contagieux qu'un sale virus... Photo: DR

Soyons honnêtes, nous procrastinons tous au bureau. Plus ou moins, d'accord, mais tout de même. Ne serait-ce qu'en raison du fait qu'il y a des tâches qu'il nous faut accomplir alors qu'elles nous rebutent affreusement. Pas vrai?

Bon. Mais avez-vous songé une seconde que la procrastination dont vous souffrez, vos collègues immédiats en souffrent eux aussi? Et ce, sans rien dire, sans rien laisser paraître. Pis, avez-vous pensé à la possibilité que votre propre procrastination les a contaminés? Inconsciemment, certes, mais tout de même.

Eh oui, et si la procrastination se révélait être, dans le fond, un sale virus hyper contagieux... Cette horrible pensée m'a assailli à la découverte d'une étude intitulée Procrastination in teams, signée par deux professeurs de l'École de management Rotman à Toronto (Canada) : Joshua Gans (management) et Peter Landry (marketing). Et ce que j'y ai découvert m'a fasciné.

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Les deux chercheurs ont noté que nombre d'études sur la procrastination individuelle avaient montré que celle-ci pouvait mener à des catastrophes personnelles comme collectives : il peut suffire qu'un membre clé d'une équipe se mette à procrastiner pour que cela fasse capoter un projet (dépassement de deadline, etc.). Et ils se sont demandé ce qu'il se produisait lorsque plusieurs membres d'une équipe se mettaient à procrastiner en même, chacun dans leur coin : l'équipe va-t-elle alors droit dans le mur à la vitesse V pour s'y fracasser magistralement?

Bien entendu, nous aurions tous tendance à dire que oui, mais comme MM. Gans et Landry sont des chercheurs, ils ont tenu à le prouver. Sans se douter une seconde qu'ils feraient ainsi une découverte renversante!

Les deux chercheurs torontois ont imaginé un petit scénario... Alice et Bob travaillent ensemble sur un projet important, qui doit absolument être mené à bien dans les délais impartis. Chacun doit prendre une décision : redoubler d'efforts pour que ce soit un succès, ou bien laisser courir, en comptant sur l'autre pour faire tout le travail à sa place. C'est que travailler, c'est un effort, et chacun se dit que l'idéal s'est de fournir le minimum d'efforts pour le maximum de gains (j'imagine que ce genre d'attitude, vous en avez déjà vu au bureau...).

Disons que Bob prenne la décision de laisser tout faire à sa collègue, qu'il sait tout aussi - sinon plus - compétente que lui. Son calcul, c'est que, même si elle s'en rend compte, elle va être forcée de donner son 110% puisqu'elle ne veut surtout pas que le projet soit un lamentable échec.

Maintenant, disons qu'Alice est une personne naïve. C'est-à-dire qu'au départ elle est convaincu que Bob et elle sont sur la même longueur d'ondes, et donc que chacun va donner son 110% pour que le projet soit un splendide succès. Et ajoutons que la naïveté d'Alice l'amène à ne réaliser le sournois calcul de son collègue que tardivement. Quelle décision va-t-elle prendre? Oui, comment maximiser ses gains (ou minimiser ses pertes, si vous préférez) dans un tel cas de figure? Pas facile à dire : peut-être vaut-il alors mieux pour elle ravaler sa rage pour mettre toute son énergie dans le projet à boucler (en ayant en tête l'idée que la vengeance est un plat qui se mange froid); peut-être vaut-il mieux pour elle gueuler un bon coup, et tout laisser tomber (en sachant que cela va mettre Bob dans la mouise). Comment savoir?

C'est justement ce type de dilemme que les deux chercheurs ont tenu à résoudre. Pour ce faire, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminer le meilleur comportement à adopter dans ce genre de situation. Ce modèle-là considérait :

> Un mission cruciale à remplir en peu de temps;

> Une équipe de deux personnes chargée de remplir la mission en question;

> Chacun était définit en fonction de trois caractéristiques :

- la naïveté, soit le degré de confiance accordé à autrui;

- l'extraversion, soit la facilité à s'ouvrir aux autres;

- la prédilection pour le présent, soit la tendance à préférer vivre l'instant présent plutôt que de trimer en pensant aux bienfaits que cela procurera éventuellement dans un futur plus ou moins rapproché.

On le voit bien, il y avait dès lors toutes sortes de configurations de binômes :

- Un naïf introverti prêt à faire des efforts pour un meilleur futur associé à un calculateur extraverti qui ne jure que par son bien-être immédiat;

- Deux calculateurs qui ne songent qu'à la santé présente de leur nombril, l'un étant introverti et l'autre, extraverti;

- Un naïf qui ne pense qu'au présent associé à un naïf qui ne pense qu'au futur, tous deux étant d'incorrigibles introvertis;

- Etc.

Troublant de réalisme, vous ne trouvez pas? Les deux chercheurs torontois ont mis tout ça dans un ordinateur et ont regardé ce qui en sortait. Résultat? Asseyez-vous bien, je vous le donne en mille :

> Avantage à la diversité. Rien de pire que de mettre ensemble deux personnes qui présentent des traits de personnalité similaires, car la procrastination de l'un va déclencher celle de l'autre, et mener droit à l'échec du projet dont ils ont la responsabilité.

Fait surprenant, il suffit que l'on insère dans une équipe une personne naïve et ayant un faible pour l'instant présent - c'est-à-dire a priori particulièrement propice à la procrastination, puisqu'elle pense que tout ira bien même si elle ne fait pas grand chose en lien avec la mission à remplir - pour que stoppe toute contagion de procrastination. Pourquoi? Parce que les autres vont vite réaliser que cette personne-là ne va pas franchement les aider, et donc se dire qu'il leur faut à tout prix redoubler d'ardeur pour atteindre l'objectif visé, quitte à devoir surmonter leur tendance naturelle à procrastiner. Subtil, n'est-ce pas?

Autre point intéressant à souligner : si jamais on met ensemble deux personnes naïves prisant l'instant présent, il est primordial qu'au moins l'une des deux soit extravertie. Car ce trait de caractère va l'amener à se forcer pour lutter contre ses envies récurrentes de procrastiner, à force de constater que l'autre - introvertie - se complait dans son inaction.

Bref, la performance réside dans... la différence!

Que retenir de tout cela? ceci, à mon avis :

> Qui entend prévenir la contagion de la procrastination au sein de son équipe se doit de miser sur la diversité. Il lui faut notamment veiller à ce qu'il y ait une personne radicalement différente des autres, surtout si sa différence réside dans sa naïveté et son goût pour l'instant présent. Oui, avoir un "doux rêveur" à ses côtés a pour effet de fouetter la productivité des autres, en ce sens qu'ils vont se mettre d'eux-mêmes à arrêter de procrastiner quand l'envie les prend à l'improviste. (Sans parler du fait que les "doux rêveurs" excellent en idées neuves, ce qui est toujours bon pour une équipe ayant souvent besoin d'innover...)

En passant, l'écrivain autrichien Stefan Zweig a dit dans Montaigne : «Il n'est qu'une erreur et qu'un crime : vouloir enfermer la diversité du monde dans des doctrines et des systèmes. C'est une erreur que de détourner d'autres hommes de leur libre jugement, de leur volonté propre».

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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