Comment enfin arriver à déléguer?

Publié le 18/03/2016 à 08:49

Comment enfin arriver à déléguer?

Publié le 18/03/2016 à 08:49

Déléguer est quelque chose de pénible à faire. Toujours... Photo: DR

Vous comme moi, nous avons tous un défaut gravissime : ça nous fait mal de déléguer. Si, si... D'ailleurs, quand il nous arrive de déléguer, c'est toujours avec la douloureuse impression de nous faire tordre un bras. Vous ne me croyez pas vraiment? OK, un seul exemple va me suffire.

Souvenez-vous du jour où votre enfant vous a dit, un beau matin, «Ça va, papa, maman, aujourd'hui, je vais tout seul à l'école, plus besoin de m'accompagner, je ne suis plus un bébé lala». Votre coeur s'est arrêté, vos yeux sont devenus tout ronds et votre bouche s'est mise à béer. Puis, vous avez lâché - malgré vous - un «Euh... Oui, très bien... Tu as raison... Mais sois prudent en traversant, d'accord?» Vous veniez de déléguer la responsabilité du cheminement sécuritaire de votre enfant jusqu'à l'école. Et sur le coup, ça vous avait été pénible à vivre. Pas vrai?

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Pourquoi réagissons-nous de la sorte? Oui, pourquoi faisons-nous tout pour empêcher les autres d'assumer davantage de responsabilités, parfois au détriment de leur propre développement? Et d'ailleurs, agissons-nous ainsi à notre propre détriment, en particulier au travail?

Toutes ces interrogations m'ont sauté au visage lorsque j'ai découvert une étude intitulée Are choosers losers?, signée par : Cass Sunstein, professeur de droit à Harvard (États-Unis) et conseiller du gouvernement Obama; et Tali Sharot, professeure de neuroscience cognitive à l'University College London (Grande-Bretagne), assistée de son étudiant Sebastian Bobadilla-Suarez. Et ce que j'y ai découvert m'a littéralement passionné, comme cela devrait se produire pour vous aussi...

Ainsi, les trois chercheurs ont noté que des études avaient d'ores et déjà montré que les gens préféraient, en général, avoir un choix à faire plutôt que de devoir agir sans avoir à faire de choix. Et que les gens préféraient, lorsqu'un gain financier était en jeu, avoir le contrôle sur la décision à prendre plutôt que de déléguer celui-ci. Mais, à leur connaissance, aucune n'avait vraiment regardé comment on se comportait lorsqu'il nous fallait prendre une décision lorsqu'une perte financière était en jeu. Exemple : nous détenons des actions d'une entreprise secouée par un scandale, et son titre se met à chuter en Bourse; avons-nous alors le réflexe de donner l'ordre à notre courtier de vendre au plus vite, ou bien de le laisser agir à sa guise, et donc de déléguer cette décision à l'expert qu'il est?

Pour s'en faire une idée, ils ont procédé à deux expériences on ne peut plus simples. Ils ont demandé à une trentaine de volontaires de bien vouloir se prêter à un petit jeu. La mission de chacun consistait à soit maximiser ses gains, soit minimiser ses pertes, dans toute une série de scénarios différents. Et ce, en faisant à chaque fois le choix suivant :

> Décider soi-même de l'action à entreprendre;

> Laisser un expert prendre la décision à sa place, sachant qu'il lui était indiqué les probabilités que l'expert fasse le meilleur choix possible.

On le voit bien, l'idée derrière ces expériences était de voir si les participants se montraient, en général, rationnels dans leurs décisions (par exemple, en déléguant lorsque l'expert avait plus de chances qu'eux a priori de faire le choix optimal), ou plutôt irrationnels (en ce sens qu'ils préféraient faire eux-mêmes le choix, quitte à ce que celui-ci ne soit pas optimal).

Fascinant, n'est-ce pas?

Maintenant, asseyez-vous bien, car voici le résultat :

> Préférence au choix, même s'il présente un coût. Les participants ont préféré, en général, faire eux-mêmes le choix, même s'ils avaient conscience que celui-ci serait probablement moins bon que celui fait par l'expert. Et ce, peu importe qu'un gain ou qu'une perte soit en jeu. Par conséquent, ils étaient prêts à vivre avec le fait que leur décision présentait pour eux un coût direct!

Bien entendu, Mme Sharot et MM. Sunstein et Bobadilla-Suarez ont tenu à savoir pourquoi nous réagissions ainsi. En posant différentes questions aux participants à ce sujet, ils ont vu que cette attitude ne découlait pas d'une überconfiance, c'est-à-dire d'un excès de confiance en soi. En fait, les participants savaient fort bien, en refusant de déléguer lorsque le choix n'était pas évident à faire, qu'il leur en coûtait, mais ce n'était pas ce qui comptait vraiment à leurs yeux : en vérité, l'important, c'était d'avoir à faire un choix, d'être non pas passif, mais actif quant à quelque chose qui avait une incidence sur eux-mêmes.

«Lorsqu'on fait un choix, on semble en retirer un gain psychologique. Un gain gratifiant pour nous, en tous cas plus conséquent que d'empocher un peu plus d'argent grâce à une meilleure décision d'autrui que la nôtre», disent les trois chercheurs dans leur étude.

Pourquoi privilégions-nous le gain psychologique, au juste? Eh bien, Mme Sharot et MM. Sunstein et Bobadilla-Suarez avancent deux hypothèses complémentaires, en s'appuyant sur des études portant justement sur ce point :

1. Choisir nous fait du bien. Cela nous donne l'occasion d'exprimer notre libre-arbitre, voire notre plein potentiel.

2. Choisir assouvit l'un de nos besoins biologiques. Cela nous donne l'occasion de nous adapter à une situation nouvelle pour nous, et donc d'améliorer nos capacités de réaction face à l'inconnu par l'entremise de la méthode d'apprentissage essais/erreurs.

Autrement dit, lorsqu'on délègue, on se refuse à se faire du bien et on s'empêche de développer notre faculté d'adaptation. De sacrés sacrifices, n'est-ce pas? Vous comprenez mieux, à présent, pourquoi il nous est si difficile de déléguer...

Comment contrer ce réflexe que nous avons, vous et moi, de garder tout sous notre contrôle (même si l'on sait bien que ce n'est pas la meilleure chose à faire)? Comme ceci, à mon avis :

> Qui entend déléguer davantage se doit de faire preuve d'empathie. Il lui faut se forcer, les premiers temps, à se faire la réflexion suivante lorsque l'occasion se présente : «Suis-je la meilleure personne pour accomplir cette tâche ou pour prendre cette décision? Et même si je suis convaincu que oui, ne serait-il pas plus profitable pour tel collègue, ou même pour l'équipe dans son ensemble, de le faire à ma place?», en ajoutant «D'ailleurs, cela va-t-il mener à une véritable catastrophe si ce n'est pas moi qui prend en mains cette tâche ou ce dossier?» Puis, à mesure qu'il aura pris le pli de freiner systématiquement son désir de tout contrôler, il lui faut dresser la liste des avantages découlant de chacune des fois où il a délégué quelque chose à autrui (ex.: le temps ainsi gagné pour lui, qu'il peut consacrer à d'autres choses importantes; les meilleurs résultats ainsi enregistrés; etc.).

Bref, dites-vous que chaque fois que vous déléguez, vous agissez pour le bien collectif, et non pas pour votre petit bien personnel. Et le tour sera joué!

En passant, l'écrivain québécois Napoléon Bourassa a dit dans Jacques et Marie : «Il y a toujours de la grandeur et du courage dans la confiance que l'on donne à ceux qui nous la demandent, et cela ne peut inspirer que l'estime et la clémence».

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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