Comment combattre les «faits alternatifs» au bureau?

Publié le 03/04/2017 à 06:06, mis à jour le 03/04/2017 à 06:13

Comment combattre les «faits alternatifs» au bureau?

Publié le 03/04/2017 à 06:06, mis à jour le 03/04/2017 à 06:13

Malheureusement, tous les mensonges ne se voient pas aussi facilement... Photo: DR

Donald Trump ment comme il respire. Il ment systématiquement. Il ment tellement souvent que je peux, sans inquiétude aucune, vous mettre au défi de trouver une seule – une seule, je le souligne – de ses affirmations qui n'est pas mensongère. (Je sais, c'est là un pari facile, car je suis sûr de gagner...) Mentir est une habitude si ancrée en lui qu'il ne s'en rend même plus compte : voyez comme il se choque lorsque les médias lui mettent le nez dans ses déjections verbales, il en est alors presque touchant de sincérité!

Bon, c'est vrai, j'exagère un peu. Je le reconnais. Mais à peine.

J'en veux pour preuve une récente analyse de PolitFact, une organisation américaine lauréate du prix Pulitzer spécialisée dans la vérification des faits en matière de politique, que j'ai découverte grâce à un article du site Web Greater Good de Berkeley. Celle-ci montre que... seulement 4% de ses affirmations sont «vraies»! Oui, vous avez bien lu : 4%. C'est que 49% de ses affirmations sont carrément de «purs mensonges», le restant (47%) étant des «demi-vérités» et autres «énormités».

Disons le de but en blanc, c'est du jamais vu de la part d'un président des États-Unis. La même analyse appliquée à son prédécesseur durant ses deux mandats a révélé que, lui, n'avait dit des choses plus ou moins fausses que 14% du temps...

Le plus incroyable, dans tout ça, c'est que 70% des Américains sont parfaitement à l'aise avec les mensonges compulsifs du 45e président des États-Unis. 70%? Le calcul est simple : il suffit d'additionner le pourcentage des votes qu'il a obtenus face à Hillary Clinton (46% des 55,3% d'Américains qui ont voté) et le taux d'abstention (44,7%), c'est-à-dire le pourcentage de ceux qui, au fond, ne voyaient aucun problème à être dirigés par Trump ou par Clinton.

La question saute aux yeux : «Comment est-il possible que 70% des Américains acceptent sans sourciller de se faire mentir en pleine face par leur plus haut représentant?» Une grave interrogation à laquelle je me permets d'ajouter la suivante : «Et vous, au bureau, comment se fait-il que vous acceptiez – sans sourciller, ou presque – les demi-vérités et autres mensonges par omission de votre boss?» (Car cela arrive, n'est-ce pas?) J'aimerais que vous preniez vraiment le temps d'y réfléchir avant de poursuivre votre lecture...

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C'est fait? Parfait. Vous saisissez, à présent, où je veux en venir, je pense. Poursuivons, donc, et éclaircissons ce curieux phénomène.

Kang Lee est professeur de psychologie à l'Université de Toronto (Canada) et est reconnu comme un spécialiste du... mensonge. Ses travaux lui ont permis de déterminer qu'il y avait grosso modo trois sortes de mensonges :

> Le mensonge «blanc». C'est-à-dire les mensonges qu'on prononce par générosité (ex.: «Si, si... Je t'assure que ta nouvelle coupe de cheveux te va à ravir, ma chérie!»)

> Le mensonge «noir». C'est-à-dire les mensonges qu'on prononce par méchanceté (ex.: «Maman, mon petit-frère a volé une carte Pokémon à un ami de l'école!»)

> Le mensonge «bleu». C'est-à-dire les mensonges qu'on prononce en partie par générosité et en partie par méchanceté. Ce qui se produit, par exemple, lorsqu'on ment au profit du groupe auquel on appartient (générosité), et donc, au détriment d'un autre groupe (méchanceté). (ex.: «Papa, à l'école, toutes les filles de ma classe ne sont rien que des menteuses!»)

On le voit bien, le mensonge blanc vise à renforcer le lien qu'on a avec les uns, alors que le mensonge noir vise au contraire à nuire au lien qu'on a, peut-être malgré soi, avec les autres. Du coup, le mensonge bleu fait office des deux : il renforce le lien qu'on a avec les uns et endommage celui qu'on a avec les autres.

En ce sens, le mensonge bleu peut être considéré comme «une arme», d'après la philosophe américano-suédoise Sissela Bok. De fait, il permet de faire du bien aux siens et du mal aux autres : «Mentir et massacrer est considéré comme un crime lorsqu'il est commis au sein de la société dans laquelle on évolue; en revanche, mentir et massacrer est perçu comme une vertu lorsque cela se fait à l'encontre d'une autre société, surtout en temps de guerre», note Mme Bok.

Voilà pourquoi les mensonges incessants de Donald Trump dérangent si peu nos voisins du Sud : ils renforcent les liens entre eux – une nécessité, en un sens, en ce pays où l'individualisme est roi et maître –, tout en nuisant directement à d'autres (les sans-papier, les Mexicains, etc.). Ces rafales de mensonges sont perçues non pas comme le signe d'un grave trouble psychologique de leur président, mais plutôt comme une arme de guerre dont se sert «un leader, un vrai», un «John Wayne des temps modernes». Bref, elles sont «légitimes» puisqu'elles servent avant tout à «se défendre» et à «serrer les rangs» derrière le leader.

Dingue, n'est-ce pas? Et pourtant, tout cela est véridique : ça se produit en ce moment-même sous nos yeux ébahis. D'ailleurs, si vous avez un peu de mal à le reconnaître, je vous invite à revenir à votre réflexion concernant votre attitude par rapport aux «demi-vérités» de votre boss; et ce faisant, à réaliser que nous réagissons tous de la même façon : nous tolérons ses mensonges bleus à répétition parce que nous sommes convaincus, consciemment ou pas, que ceux-ci visent avant tout à servir le bien commun (ex.: le mensonge par omission du boss qui ne dit pas à ses employés que la haute-direction lui a demandé de virer d’un coup sec 10% du personnel et qui justifie son silence par le fait qu’il épargne ainsi des semaines d’angoisse à tout le monde).

Bon. Suis-je en train de vous dire que tout leader digne de ce nom se doit de mentir comme un arracheur de dents? Non, mille fois non! C'est même tout le contraire.

Un véritable leader se doit non pas d’être un menteur compulsif tenant farouchement à diviser, donc faux, mais d’être une personne sincère et transparente ayant à coeur d’unir, donc authentique. Un véritable leader se doit de ne pas appuyer ses affirmations sur des «faits alternatifs» («fiction», en bon français), mais de les appuyer sur des données vérifiées. Un véritable leader se doit non pas de chercher à se faire craindre, mais de tenter à se faire aimer.

Et ce, je me permets de le rappeler, parce que le premier va droit à la catastrophe, irrémédiablement, tandis que le second va droit à la réussite, tout aussi irrémédiablement. Il suffit de voir comment se sont déroulées les premières semaines de la présidence Trump pour le saisir sans difficulté :

– Népotisme. Nomination de membres de sa famille à la Maison-Blanche, faute d’être en mesure de faire confiance à quiconque d’autre.

– Dépenses somptuaires au frais de l’État. Séjour en Californie toutes les fins de semaine juste pour jouer au golf dans un palace. Renforcement drastique de la sécurité de la Trump Tower à New York, où vit sa conjointe : ces dépenses-là sont même supérieures – tenez-vous bien! – aux fonds du gouvernement américain alloués à la Culture. Etc.

– Confusion entre réalité et téléréalité. Renvoi musclé des ministres en porte-à-faux avec le président, exactement comme il le faisait auparavant dans son émission de téléréalité.

– Politique du bras de fer. Bras de fer musclé avec les élus républicains – son propre camp – en porte-à-faux avec lui. Bras de fer avec les grandes entreprises. Bras de fer avec le Mexique, la Chine, l’Europe,...

– Priorité absolue à la force armée. Nomination de généraux à des postes clés du gouvernement. Allocation de la moitié du Budget aux forces armées. Menaces à l’international de représailles armées en cas de «provocation». Etc.

J’arrête là, la liste est quasiment sans fin…

D’accord, me direz-vous, mais que faire lorsqu’on a un Donald Trump comme boss? Convient-il de se rallier? De baisser la tête pour éviter de prendre un coup, jusqu’à ce qu’un meilleur boss prenne sa place? D’aller voir ailleurs?

La réponse, je pense l’avoir trouvée dans une étude intitulée The Nature and Origins of Misperceptions: Understanding False and Unsupported Beliefs about Politics. Celle-ci est le fruit du travail de deux professeurs de science politique : Brendan Nyhan, du Dartmouth College (États-Unis), assisté de son étudiant D.J. Flynn, et Jason Reifler, de l’Université d’Exeter (Grande-Bretagne).

Les trois chercheurs ont regardé ce qui faisait que certains d’entre nous avaient une perception erronée en matière de politique, et affichent notamment une trop grande tolérance aux mensonges bleus. Ce qui leur a permis de mettre au jour différentes techniques efficaces pour combattre quelqu’un qui use d’une telle arme pour asseoir son pouvoir.

C’est avec un immense plaisir que je vais, donc, partager avec vous ces trucs pratiques qui ont, je le répète, une efficacité éprouvée :

1. Prenez une «distance critique»

Si la majorité des membres de votre groupe acceptent sans broncher les mensonges bleus proférés à répétition par le boss, prenez une «distance critique» avec eux. Prenez le temps de réfléchir aux propos émis ici et là qui vous paraissent bizarres, et de douter de leur pertinence. Pourquoi? Parce que cela vous permettra de moins ressentir la pression sociale visant à ce que tout le monde entre dans le même moule.

Bref, ne vous conformez pas à la norme, si en votre âme et conscience vous sentez que celle-ci est fausse, voire néfaste, pour ne pas dire nauséabonde.

2. Faites preuve de rigueur

Grâce à votre recul, vous serez à même de percevoir des contre-arguments aux propos bizarres du boss. Ce que les autres, malheureusement, ne peuvent pas faire. Puis, analysez toutes les données à ce sujet, les «pour» comme les «contre». Et faites-vous une juste opinion. Oui, une opinion solide. Pourquoi? Parce que cela vous confortera dans votre nouvelle position, à vos yeux comme aux yeux d’autrui.

Bref, faites-vous critique, avec précision et exactitude.

3. Affichez vos couleurs

Une fois que vous vous sentirez assez solide dans votre argumentation, faites-en part à d’autres, histoire de tâter le terrain. N’hésitez pas à discuter avec ceux dont les arguments, proches de ceux du boss, sont fragiles (bien entendu, sans jamais en faire une affaire de personne, mais plutôt de logique et d’honnêteté intellectuelle). Et encouragez ceux qui se rapprochent de votre argumentation à mener leur propre réflexion, tout comme vous l’avez fait (bien entendu, sans chercher à les rallier à votre camp, puisque le but n’est pas d’entrer en conflit avec qui que ce soit, mais de contribuer à faire la part du vrai du faux au sein de groupe).

Bref, osez faire un pas vers la vérité.

Note : les trois chercheurs ont remarqué que, souvent, une illustration appuyant un propos permettait de faire vaciller la croyance erronée d’un interlocuteur. Si, par exemple, vous avez un graphique ou une photo à lui montrer en même temps que vous communiquez une information dérangeante pour la personne à qui vous vous adressez, cela peut faire toute la différence.

Voilà. Vous savez à présent comment entrer en résistance face au «Donald Trump» du bureau. Une résistance qui ne vise pas à faire de victimes, mais à sauver le groupe d’une catastrophe annoncée. Une résistance qui, je n’en doute pas une seconde, va bientôt voir le jour aux États-Unis et nous servira, à l’avenir, de modèle inspirant, à notre échelle.

En passant, le philosophe français Alain a dit dans ses Propos d’un Normand : «Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l’obéissance, il assure l’ordre; par la résistance, il assure la liberté».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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