Bref éloge de la paresse au travail

Publié le 29/11/2018 à 11:04

Bref éloge de la paresse au travail

Publié le 29/11/2018 à 11:04

Prendre le temps d'apprendre et de mûrir son nouveau savoir... Photo: DR

Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous une fantastique trouvaille : Ken Liu. Ken Liu ? Il s’agit d’un auteur exceptionnel – je pèse mes mots – dont chacun des textes est une pépite d’intelligence brute. Le lire, c’est partir à la découverte de nouvelles idées, de nouvelles visions, de nouveaux mondes. C’est explorer la vie sous toutes ses facettes. Bref, c’est grandir à vue d’œil. D’ailleurs, si j’avais une suggestion de lecture à vous faire, ce serait sans conteste «La Ménagerie de papier» (Folio SF, 2017), un recueil qui regroupe une vingtaine de ses nouvelles dont la plupart ont décroché les plus grands prix littéraires de science-fiction (Hugo, Locus, Nebula,…).

Or, je suis tombé un peu par hasard sur un de ses textes paru dans ClarkesWorld Magazine dans lequel il donne quelques conseils pratiques pour mieux écrire, et de manière plus général, pour être plus performant au travail. Et son conseil principal m’a – une fois de plus – carrément renversé : «Soyez paresseux», lance-t-il. Oui, vous avez bien lu, Ken Liu, cet auteur aussi génial que prolifique, recommande vivement de faire preuve de paresse au travail.

Regardons ça ensemble, car, promis, cela va vous interpeller, peut-être même au point de changer du tout au tout votre quotidien au travail…

Avant d’aller à l’essentiel de son texte, il faut savoir que Ken Liu est un écrivain américain né en Chine qui revêt de multiples casquettes professionnelles : il est également traducteur, juriste et programmeur. Et c’est fort de toutes ces expériences qu’il écrit ce qui suit :

«Dans le milieu de la programmation, tout le monde s’accorde pour dire que les programmeurs les plus productifs sont ceux qui sont paresseux, note-t-il. Car la paresse y est perçue comme une vertu, en ce sens que les programmeurs paresseux sont ceux qui travaillent en maximisant les tâches créatives, celles qui font appel à leurs talents propres, et en minimisant les tâches routinières, celles qui, à la limite, pourraient être accomplies par n’importe quel robot intelligent.

«Prenons un exemple concret… Les programmeurs doivent souvent modifier un texte sur plusieurs lignes de manière systématique, sur plusieurs fichiers à la fois. Cela peut être dû à un changement dans la définition d'interface d'un module (ex. : toutes les instances de GreatLibrary_procedure () doivent maintenant être modifiées en AwesomeLibrary_function ()), en raison d'un changement de style de codage ou de convention de dénomination (ex. : toutes les instances de AwsomeLibrary_function () doivent être changées en awesome_library_function ()), ou à cause d'un caprice de la syntaxe du langage (ex. : avec Python, l'indentation de lignes est importante pour le flux de contrôle, aussi faut-il fréquemment «indenter» les blocs de code, c’est-à-dire leur ajouter ou supprimer des espaces et des retours à la ligne).

«Bien entendu, les éditeurs de texte utilisés par la plupart des programmeurs sont optimisés afin de faciliter bon nombre de ces modifications systématiques. Il suffit d’apprendre quelques commandes compliquées, et le tour est joué : en quelques mouvements de doigts, on peut effectuer les modifications les unes après les autres, de manière répétitive et fastidieuse. C’est ainsi que le programmeur qui n’est pas paresseux va se concentrer au maximum sur les commandes compliquées et faire tous les changements les uns après les autres, ligne de code après ligne de code. Et ce, parce qu’il aura appris le minimum nécessaire, ouvert tous les fichiers à modifier et exécuté les commandes voulues, une à la fois, des heures durant.

«Résultat ? Après avoir passé deux heures à fracasser la touche de tabulation au début de chaque ligne de code, à faire défiler les fichiers les uns après les autres, bref, à exécuter sans cesse la même séquence «rechercher/remplacer», il va nécessairement finir par souffrir du syndrome du tunnel carpien [une trop forte compression ou irritation du nerf médian du poignet, qui se traduit par des engourdissements et des fourmillements dans les doigts, voire par une perte de force musculaire dans le poignet et la main touchés].

«Le programmeur qui est paresseux, quant à lui, donne souvent l’impression de ne pas travailler. Pourquoi ? Parce qu’il passe le plus clair de son temps à apprendre, à explorer les potentialités de l’éditeur de texte. Il étudie en détails ses commandes, sa syntaxe et son langage, et même ses raccourcis. Ce qui peut lui prendre des heures, des heures et des heures. Mais une fois toutes ces précieuses connaissances acquises, il lui suffira de rédiger quelques lignes de code «magiques», qui lui permettront – comme par magie – d’effectuer toutes les modifications voulues d’un seul clic ; et ce, de manière parfaite et instantanée.

«Voilà le genre de paresse qui permet de faire la différence au travail. Elle correspond, en vérité, à une aversion pour les corvées.

«Au lieu de copier/coller un bloc de code, le programmeur paresseux préfère le refactoriser dans une fonction distincte. Au lieu d’œuvrer sur de mauvaises bases, le programmeur paresseux préfère réécrire tous les blocs de code à partir de zéro afin de les rendre solides comme du béton. Au lieu de se contenter d’agir toujours de la même manière parce que ça a fait ses preuves, le programmeur paresseux préfère partir à la recherche d’un raccourci à la fois plus efficace et plus élégant.

«Le programmeur paresseux investit, donc, du temps dans des tâches stimulantes sur le plan intellectuel, qui peuvent rapidement porter fruit, ou pas ; et ce, quitte à ne pas atteindre les objectifs quotidiens qui lui ont été fixés. Et peu importe, au fond, car il sait qu’à moyen et long termes, c’est une attitude amplement plus épanouissante et performante. (…)

«En résumé, soyez vertueux, soyez paresseux, conclut-il. Écrire, travailler, c’est user de magie. Il vous faut prendre des risques. Oublier ce que tout le monde dit qu’il faut faire. Écarter ceux qui martèlent que ça ne marchera jamais. Oui, il vous faut expérimenter. Bidouiller. Réécrire les règles, surtout celles qui ne vous plaisent pas. Faire des erreurs, juste pour voir. Et enfin accomplir ce que vous seul pouvez accomplir.»

Wow ! Il y a par conséquent de l’audace dans la paresse. À tout le moins dans la paresse vertueuse, la paresse intelligente, la brillante paresse. Oui, il convient d’oser faire les choses autrement, quitte à passer pour un j’en-foutre. Car c’est là que réside l'efficacité et l’épanouissement dans notre quotidien au travail.

En passant, l’écrivain français Jules Renard a écrit dans son Journal, pince-sans-rire : «Je me surmène de paresse.»

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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