Au travail, comment faire enfin confiance aux autres?

Publié le 16/02/2018 à 06:06, mis à jour le 16/02/2018 à 06:16

Au travail, comment faire enfin confiance aux autres?

Publié le 16/02/2018 à 06:06, mis à jour le 16/02/2018 à 06:16

Le truc, c'est de pratiquer la "confiance intelligente"... Photo: DR

C'est une évidence, la confiance est le socle de l'efficacité d'une équipe. Sans elle, impossible d'atteindre un objectif ambitieux. Sans elle, impossible de voir tout le monde mettre l'épaule à la roue. Sans elle, impossible même d'avoir le goût d'oeuvrer ensemble. Et pourtant, soyons honnêtes, elle se fait si rare au sein de nos équipes...

Prenons un exemple très simple : qui d'entre nous a vraiment reçu carte blanche de son boss pour mener à bien une tâche que celui-ci nous a confiée? Inversement, quand vous est-il arrivé de confier les clés de votre voiture – il s'agit là d'une image – à l'un de vos collègues? Hein? Vous voyez, chacun de nous a vraiment du mal à faire confiance aux autres. C'est un peu comme si c'était plus fort que nous. Comme si une petite voix intérieure nous disait de faire preuve de prudence, au lieu de faire preuve de courage en osant lâcher-prise...

La question saute aux yeux : «Comment faire enfin confiance aux autres?» La bonne nouvelle du jour, c'est que je pense avoir mis la main sur une réponse fort intéressante. Une réponse que j'ai dénichée dans un livre intitulé «Toi qui es si brillant, tu peux aussi être heureux!» (Hachette Livre, 2017) et signé par Raj Raghunathan, professeur de marketing à l'École de commerce McCombs de l'Université du Texas à Austin (États-Unis). Regardons ça ensemble, à l'aide de cet extrait du livre...

Mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement

«Lors d'un récent séjour à Accra, au Ghana, j'ai appelé un taxi pour m'emmener de l'hôtel à la station de radio où je devais être interviewé, écrit-il. J'ai demandé au concierge combien me coûterait le trajet. J'au cru qu'il m'avait répondu «fifteen cedis» (15 cedis, la monnaie ghanéenne), alors qu'il m'avait en réalité répondu «fifty cedis» (50 cedis, environ 4 $ US). La course m'a donc paru très longue pour 15 cedis, mais je n'y ai pas accordé plus d'intérêt, sachant qu'elles sont généralement très bon marché dans les pays en développement.

«Lorsque je suis descendu, le chauffeur m'a demandé 40 cedis. Je les lui ai donnés, non sans l'avoir gratifié d'un laïus ponctué de références multiples aux recherches sur l'importance de la confiance dans le bonheur et sur le fait que son comportement déloyal se mettait en travers du bien-être général. Mes réprimandes n'avaient manifestement aucun effet sur lui – il continuait de sourire –, ce que j'ai pris pour la preuve ultime de son insolence.

«C'est seulement après être rentré à l'hôtel et avoir expliqué au concierge ce qui m'était arrivé que j'ai compris mon erreur. Loin de m'avoir berné, le chauffeur de taxi avait été plutôt généreux. Je m'en suis voulu, évidemment, mais cette expérience m'a aussi rassuré quant à ma foi dans l'humanité. Plus tard, le même jour, je l'ai cherché pour faire amende honorable. En vain. Il était parti pour le journée. Comme je quittais la ville le lendemain, j'ai laissé un mot d'excuse au concierge afin qu'il le lui passe. J'espère qu'il l'a reçu.

«Cette anecdote m'a remémoré ce que John Helliwell considère comme le thème le plus important de ses recherches sur la confiance : les individus sont beaucoup plus dignes de confiance qu'on ne le leur accorde. (...)

«En tant qu'agents rationnels, pourquoi ne reconnaissons-nous pas qu'il est dans notre propre intérêt de faire confiance? Après tout, nous n'en serions que plus efficaces, tout en augmentant notre bien-être et celui de ceux qui nous entourent...

«Tandis que je ruminais cette question dans l'avion qui me ramenait chez moi, j'ai compris qu'il y avait une raison principale pour laquelle je n'avais pas adapté mon niveau de confiance au cours des années. Jusqu'à récemment, je connaissais peu les recherches sur la confiance. Par exemple, j'ignorais que l'individu moyen est plus fiable qu'on ne le lui accorde. En particulier, je n'avais jamais entendu parler de l'étude du «portefeuille abandonné» menée par le Toronto Star.

«En suivant l'exemple de la recherche conduite par le Reader's Digest, le quotidien canadien avait laissé 20 portefeuilles, chacun contenant 200 $, à divers endroits de Toronto avant de demander à des habitants de la ville choisis au hasard de deviner combien seraient retournés. En moyenne, les participants ont évoqué 2,3 portefeuilles (soit 10%). En réalité, 16 portefeuilles ont été rendus. Soit 80%. Dans ce cas, la différence entre la véritable fiabilité des individus et leur fiabilité perçue atteint le score étonnant de 70%! (...)

«J'ai alors compris que si je voulais devenir plus spontanément confiant, j'avais deux ou trois facteurs à prendre en compte:

> Primo, me rappeler explicitement que les autres personnes, telles que le chauffeur de taxi d'Accra, sont généralement plus dignes de confiance que je ne le leur accorde.

> Secundo, me souvenir également de tous les bénéfices, y compris ceux cachés, de la confiance spontanée. Une façon de le faire consiste à se remémorer que la confiance donnée représente un investissement que je réalise pour m'intégrer dans un réseau de relations fiables, plutôt qu'un risque.

> Tertio, trouver un moyen de minimiser ma souffrance psychologique dans les circonstances où j'ai été dupé et maximiser la positivité quand ma confiance a été honorée. Un point crucial, si je voulais éviter de revenir à ma méfiance passée – ou pire, de devenir encore plus méfiant que je ne l'avais été.

«À cela s'ajoutait un dernier point : trouver un moyen de susciter des comportements fiables chez les autres. J'arrivais à cette dernière intuition sur la base d'un phénomène bien connu en psychologie sociale, à savoir que les penchants d'un individu (attitudes, agissements, etc.) ne sont pas nécessairement gravés dans le marbre; ils sont plutôt fluides.

«Par exemple, on est rarement et de façon univoque, soit un ange soit un démon. En fonction de la situation, on est un peu des deux. Le facteur qui se révèle le plus important pour déterminer cette propension – à l'angélisme ou au vice – réside dans le contexte. Si nous nous trouvons dans un contexte (ex.: église) dans lequel on attend de tous un comportement exemplaire (angélisme) et qu'effectivement, autour de nous, tout le monde agit ainsi, alors probablement ferons-nous de même. En revanche, dans une situation où le "vice" est encouragé (certains quartiers de Las Vegas me viennent spontanément à l'esprit), nous serons attirés vers le côté "vice" du spectre. En d'autres termes, l'ampleur de la fiabilité n'est pas gravée dans le marbre : il est très rare d'être toujours fiable ou toujours indigne de confiance.

«Des études montrent notamment que seuls 5% de la population s'avèrent totalement déloyaux (Paul Zak, un chercheur travaillent dans ce domaine, emploie le terme technique "salauds" pour décrire de tels individus). Quant à nous, nous nous situons quelque part dans le continuum fiabilité-déloyauté et, en fonction du contexte, nous inclinons vers l'un ou l'autre.

«Bref, ces quelques éléments m'ont fait comprendre que si je souhaitais augmenter mes chances d'apprécier un comportement fiable de la part d'autrui, il me faudrait trouver un moyen de susciter une telle attitude chez eux.

«Au cours des dernières années, j'ai ainsi mis en place un ensemble de stratégies qui m'ont aidé à développer chacune des composantes de la pratique de ce que j'appelle la «confiance intelligente»:

1. Me rappeler que les individus sont plus fiables que je ne le leur accorde.

2. Me rappeler les bénéfices – y compris les bénéfices cachés – d'une confiance spontanée.

3. Minimiser la souffrance d'être trahi et maximiser la positivité de voir ma confiance honorée.

4. Susciter davantage de comportements fiables chez les autres.

«Ces composantes me poussent à accorder davantage de confiance aux autres tout en m'évitant de devenir trop confiant. Elles me permettent d'osciller autour du "juste milieu" de confiance. (...)

«Une clé efficace pour minimiser la souffrance d'être trahi? Le pardon. Apprendre à pardonner, c'est apprendre à se mettre à la place de l'autre pour voir ses agissements comme lui les perçoit, c'est se donner la chance de saisir que "savoir c'est comprendre et comprendre c'est pardonner".

«Apprendre à pardonner, comme un nombre impressionnant d'études le prouvent, se révèle l'un des moyens les plus puissants pour augmenter son niveau de bonheur. Car il permet de surmonter l'obstacle qui consiste à considérer qu'en pardonnant à quelqu'un on le laisse s'en tirer à bon compte après avoir commis un tort. Concrètement, cela peut se faire en ayant en tête que si vous pratiquez le pardon, c'est pour vous, non pour autrui. Oui, c'est avant tout vous faire du bien, en vous donnant l'occasion d'appliquer la leçon de vie qui veut que "le pardon nous intéresse davantage qu'il intéresse autrui", et donc de passer à quelque chose de plus intéressant que de ruminer de mauvaises pensées à l'égard d'autrui. (...)

«Ce qui nous amène à la quatrième et dernière composante de la confiance intelligente : susciter des comportements fiables chez les autres. (...) Premier élément, sans doute le plus important : se faire aimer. Il s'avère que plus on vous aime, moins on vous trahit. L'une des méthodes pour être plus apprécié consiste à souligner les caractéristiques communes entre votre interlocuteur et vous. Et ce, en grande partie parce qu'on aime la compagnie de gens semblables à nous (idéologiquement, etc.). Par exemple, si vous montez dans un taxi à Istanbul et si vous apprenez, au fil de la discussion, que vous êtes partisan de la même équipe de soccer que le chauffeur, soyez attentif à bien souligner cette ressemblance. Non seulement la conversation sera plus intéressante, mais aussi vous réduirez les risques d'être escroqué.

«Au-delà de la mention de points communs, il existe de nombreux moyens d'être plus apprécié, parmi lesquels manifester sympathie et amabilité plutôt que compétence et professionnalisme. Amy Cuddy, une chercheuse spécialisés dans le leadership, a découvert que la plupart des dirigeants font l'erreur de vouloir paraître plus compétents qu'amicaux. Si les leaders compétents sont craints, les leaders amicaux, en revanche, sont plus appréciés – et donc jugés plus dignes de confiance.

«Une autre méthode consiste à agir de façon fiable. Bien entendu, quand vous échangez pour la première fois avec quelqu'un, vous n'aurez peut-être pas la possibilité de manifester votre fiabilité, mais, si vous en avez l'opportunité, saisissez-la! Vous pouvez également la souligner grâce à des anecdotes. (Attention, cependant, à ne pas vous vanter ni à paraître trop "carré".)

«Enfin, un moyen qui a déjà fait ses preuves consiste à s'excuser quand c'est nécessaire. Des études indiquent d'ailleurs que les entreprises qui s'excusent en cas de bévue sont plus appréciées que les autres.

«Tout cela signifie qu'il convient de prendre quelques risques – négligeables – et se fier spontanément à l'autre. Par exemple, inviter le premier un nouveau collègue au restaurant, en lui faisant confiance pour qu'il fasse de même, un beau jour. Ou divulguer l'une de vos petites insécurités, en espérant qu'il agisse de même. Dans ce genre de contextes, j'emploie une règle empirique : je fais trois fois confiance. Avec des personnes que je ne sens pas disposées à manifester une confiance réciproque, je ne vais pas plus loin.

«En résumé, mettre en pratique les quatre composantes de la confiance intelligente m'a apporté des gratifications significatives – matérielles et psychologiques – et j'espère bien que vous partagerez, à votre tour, cette expérience positive.»

Voilà. Telle est l'approche préconisée par Raj Ragunathan pour enfin arriver à faire confiance aux autres, pour lâcher-prise et donner carte blanche à ceux qui nous entourent au travail, sans risquer pour autant d'avoir à éteindre un incendie par la suite.

Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis:

> Qui entend enfin faire confiance à autrui se doit de pratiquer la "confiance ntelligente". À l'image de ce que préconise Raj Ragunathan, il lui faut mettre au rancard sa méfiance naturelle, avoir en tête les nombreux bénéfices qu'il peut retirer de sa confiance accordée et s'arranger pour susciter des comportements fiables chez autrui. Et ce, en sachant qu'en cas de pépin il lui sera toujours possible de recourir au pardon, histoire d'atténuer la souffrance psychologique née du fait d'avoir été dupé. Car, en bout de ligne, la confiance est nettement plus payante que la méfiance, comme en attestent d'innombrables études scientifiques.

En passant, l'écrivain et homme d'État français Alain Peyrefitte aimait à dire : «Toute figure exemplaire est nourricière de confiance».

Découvrez mes précédents billets

Mon groupe LinkedIn

Ma page Facebook

Mon compte Twitter

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement

 

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

Blogues similaires

L’exclusion des cadres des casinos du droit à la syndicalisation serait constitutionnelle

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec a déposé une requête en accréditation syndicale en 2009.

Les salutations de Jacques Ménard... ainsi que les miennes

Édition du 30 Juin 2018 | René Vézina

CHRONIQUE. C'est vraiment la fin d'une époque chez BMO Groupe financier, Québec... et le début d'une nouvelle. ...