Populaire l'investissement «valeur»...vraiment?

Publié le 04/03/2017 à 08:31, mis à jour le 05/03/2017 à 12:53

Populaire l'investissement «valeur»...vraiment?

Publié le 04/03/2017 à 08:31, mis à jour le 05/03/2017 à 12:53

Photo: 123rf.com

Combien de fois avons-nous entendu parler d’investisseurs ou gestionnaires appliquant les principes de l’investissement valeur (nous préférons le terme «value investing», mais utilisons son plus proche équivalent en français)?

À en juger par ce que nous entendons ici et là dans l’industrie, nombreux seraient les disciples de cette philosophie d’investissement. Pourtant, nous en rencontrons que rarement!

Il faut tout d'abord définir ce qu’est vraiment l’investissement valeur. La description sur laquelle la plupart des acteurs de l’industrie s’entendent repose sur l’achat de titres sous-évalués. Cependant, pour en mieux saisir le sens, mentionnons plutôt ce à quoi cela ne correspond pas.

L'investissement valeur, ce n'est pas: 

1) Acheter un titre à bon prix, et le conserver sur une longue période de temps.

2) Acheter un titre uniquement parce qu’il vaudra le double du prix dans 5 ans

3) Acheter un titre uniquement en fonction de son évaluation en Bourse (faible cours/bénéfices)

Si vous achetez un titre pour le bon rendement de l’entreprise, vous vous enrichirez à long terme, au fur et à mesure que celle-ci livre la marchandise. Il suffit d’une évaluation raisonnable en Bourse. Par exemple, nous reconnaissons que Mastercard(N.Y., MA) constitue une entreprise exceptionnelle.

Toutefois, un investisseur qui attend le bon moment pour acheter des actions et qui les conserve pour une dizaine d’années n’applique pas dans ce cas les principes de l’investissement valeur. Au cours de cette longue période de temps, notre investisseur détenait l’occasion de vendre le titre à sa pleine valeur selon nous.

Or, loin de nous l’idée qu’il s’avère une mauvaise stratégie de conserver une bonne entreprise lorsqu’elle devient bien évaluée en Bourse. Cependant, bien qu’un tel investisseur continue de baser ses critères en fonction de l’analyse fondamentale, il n’applique pas les principes de l’investissement valeur.

Cette dernière suppose que l’on doive garnir son portefeuille de titres sous-évalués. Cela implique que la vente sera dictée également par la question d’évaluation. Si le titre atteint la valeur estimée, il doit être remplacé par un titre plus attrayant. Vous pourriez répliquer: «Oui, mais, dans quelques années, MA pourrait doubler.» Ce qui nous amène au point no. 2.

Acheter un titre (ou conserver, dans le cas de MA) uniquement parce qu’il devrait doubler avec le temps ne respecte pas les principes de l’investissement valeur selon nous.

Prenons le cas de l’indice américain S&P 500.

Nous savons fort bien qu’à très long terme, il finira par s’apprécier. Même ceux qui avaient payé le gros prix, soit juste avant la crise financière ou avant l’éclatement de la bulle technologique en l’an 2000, ont finalement réalisé un profit plus ou moins intéressant avec le temps. Pourtant, jamais nous ne dirons que l’indice était sous-évalué à ces moments précis.

Si vous vous montrez particulièrement optimiste à l'égard d'un titre, votre estimé devrait le refléter! Vous pensez que Mastercard vaut au moins 35 fois les profits? Chacun a le droit à son opinion. Dans ce cas, l’acheter maintenant satisfera les principes de l’investissement valeur, si vous pensez le vendre au moment où il se négociera à 35 fois ses bénéfices.

Toutefois, si vous pensez plutôt qu’il mérite un ratio de 20 fois, il ne constitue plus une aubaine. Vous pouvez néanmoins quand même l’acheter, pour la simple raison que vous anticipez de bons profits dans le futur. Votre patience portera fruit à long terme si vous effectuez bien vos analyses, mais pour qualifier cette méthode d’investissement valeur, vous devez acquérir le titre à prix d’aubaine par rapport à la valeur «actuelle», et non «future».

Il y a plusieurs années de cela, nous avions justement raflé le titre de Mastercard à 12 fois les bénéfices. Nous l’avions évalué à un ratio de 20 fois. Notre profit potentiel correspondait à 67% si la Bourse reconnaissait très rapidement la valeur qu’il méritait (de 12$ à 20$US). Par contre, notre profit réel fut supérieur, car pendant la période que nous l'avons détenu, la société continuait de croître et de générer des bénéfices intéressants. Comme prévu, nous l’avons liquidé une fois notre estimé atteint.

Prendre note ici que l’estimé varie en fonction de l’évolution de la société dans le temps. Ainsi, nous n’attendions pas un prix fixe en «dollar», comme le font les analystes avec leurs cours cibles, mais plutôt un «ratio» (cours/bénéfices).

Le troisième point concerne les sociétés qui se transigent à faibles ratios, mais pour les bonnes raisons. Par exemple, peu de gens nous contrediront à l’effet que le modèle d’affaires de Mastercard ou Visa s’avère supérieur à celui du manufacturier automobile General Motors (N.Y., GM).

Nous pourrions estimer que 9 fois pour GM correspond à 20 fois pour MA, ce qui sous-entendrait qu’acquérir ce dernier à 15 fois les bénéfices respecte les principes de l’investissement valeur, alors que ce ne serait le cas avec GM à 9 fois. Autrement dit, un investisseur recherchant les aubaines ne possèdera pas en portefeuille que des titres aux faibles ratios cours/bénéfices.

Tout dépend de la valeur estimée de ceux-ci. Ainsi, si une société affichait des chances raisonnables d' accroître ses bénéfices d’au moins 50% par an pendant 10 ans, vous pourriez vous retrouver avec une aubaine très intéressante en acquérant le titre à 40 fois ses profits!

Au final, l’investissement valeur consiste à acheter des titres à prix d’aubaine en fonction de la valeur présente, et non future. Si en tant qu’investisseur «valeur», vous détenez un tel titre sur une longue période de temps, ce sera parce que vous considérez qu’il demeure toujours nettement sous-évalué. Ce genre de situation survient rarement!

P.S. : Selon nous, Benjamin Graham appliquait l’investissement valeur avec des critères très restreints, souvent basés sur les actifs tangibles des entreprises. Nous doutons qu’il aurait considéré un titre comme Mastercard!

Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

À propos de ce blogue

Patrick Thénière et Rémy Morel sont associés et gestionnaires de portefeuille chez Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

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