Chicago Bridge: des engagements qui pesaient lourds

Publié le 11/08/2017 à 13:23

Chicago Bridge: des engagements qui pesaient lourds

Publié le 11/08/2017 à 13:23

Vaut mieux être trop prudent que pas assez. C’est la phrase qui nous vient en tête lorsque nous regardons les récents résultats de Chicago Bridge & Iron (N.Y. CBI). Cette société œuvre ou oeuvrait dans le domaine de la construction de diverses centrales électriques, nucléaires ou au gaz. Nous en étions actionnaires à l’époque, sans toutefois beaucoup de conviction. Le titre se négociait à environ 6 fois les profits, mais la dette paraissait quelque peu élevée, à la suite de l’acquisition de Shaw Group en 2013.

Nous n’étions pas seuls à flairer l’aubaine. David Einhorn de Greenlight Capital (NASDAQ, GLRE) ainsi que Berkshire Hathaway (N.Y., BRK.B)  avaient acquis le titre. À un ratio de 6 fois les bénéfices, la moindre bonne nouvelle pouvait faire exploser le titre. S’étant négocié longtemps dans les 30$, le voilà maintenant à seulement 12$ au moment d’écrire ces lignes. Dans la seule journée de jeudi cette semaine, le titre céda plus de 25%. Que s’est-il passé?

Tout d’abord, mentionnons la poursuite que Westinghouse Electric intenta contre la société, à la hauteur de 2 milliards de dollars américains, concernant les termes de la vente de la division nucléaire. Westinghouse a dû déclarer faillite en mars de cette année, alors que les coûts pour compléter les projets en cours dans sa nouvelle acquisition se sont avérés nettement plus importants que prévu. Heureusement pour Chicago Bridge, la Cour Suprême trancha en sa faveur en juin dernier, ce qui élimina un important risque financier.

Depuis 2014, le secteur de l'énergie souffre du bas prix du pétrole et du gaz. Cependant, un risque non négligeable planait sur la société, et ironiquement, celui-ci était plutôt perçu positivement par les investisseurs. Il s’agissait de l’imposant carnet de commandes (en anglais «backlog»), qui s’élevait à plus de 30G$US en 2015. Pour une société qui engendre des revenus à la hauteur de 13G$, un tel montant peut sembler rassurant, puisqu’ils sont perçus comme étant des revenus à venir. Toutefois, un important élément rendait ceux-ci potentiellement «empoisonnés» : ils étaient majoritairement composés de contrats à coûts fixes, plutôt qu'à coûts ajustables.

Voilà un détail à retenir pour les investisseurs. Songez à un contracteur qui effectue des réparations sur un immeuble, en offrant une garantie. Si celui-ci s’engage à compléter la rénovation pour 30 000$, et pas un sou de plus, il s’expose à un risque. Heureusement pour lui, la somme demeure raisonnable par rapport à ses revenus. Advenant une importante erreur de calcul de sa part, il devra absorber le coût supplémentaire, mais cela n’amènera pas son entreprise à déclarer faillite.

Supposons maintenant que son entreprise affiche des revenus annuels de 600 000$, et qu’il décide d’entreprendre un contrat avec garantie totalisant 1 100 000$! Un dépassement de coût de 20%, soit 220 000$, pourrait sérieusement le placer en situation difficile! Or, chez Chicago Bridge, 80% des 30G$ en commandes prévues constituaient des contrats à coûts fixes. Cet article montre deux tableaux fort intéressants. On y voit que la société a substantiellement augmenté le ratio de ses commandes par rapport à ses revenus avec les années, ce qui peut paraître bien à première vue. Cependant, elle augmentait également son ratio des contrats à coûts fixes. Par conséquent, elle assumait un risque de plus en plus important. Notez que le premier tableau fournit des comparaisons intéressantes avec ses compétiteurs. On peut voir à quel point Chicago Bridge faisait preuve de témérité.

Lors de la publication de ses résultats jeudi dernier, la société a déclaré avoir absorbé une perte de 548M$ liée à des dépassements de coûts. Ces pertes surviennent à un bien mauvais moment, alors que les revenus sont en baisse, et sa situation financière se détériore à un point critique.

Les dirigeants de Chicago Bridge ont alors dû annoncer la coupe du dividende, ainsi que la vente imminente d’une division pour rembourser la dette. Le titre a évidemment été sévèrement malmené. Ce scénario survient fréquemment chez les entreprises endettées: on connaît une mauvaise passe du côté des opérations, jusqu’au point où la dette devient le souci numéro un. Bien que le carnet de commande a diminué significativement ces deux dernières années chez Chicago Bridge, le moindre coût additionnel pèse lourd étant donné sa situation financière affaiblie.

Pour conclure, l’histoire s’est bien terminée pour nous, ainsi que pour M. Einhorn et Berkshire Hathaway, qui ne sont déjà plus actionnaires depuis quelques temps. Toutefois, cela nous rappelle à quel point il vaut mieux être trop prudents que pas assez, malgré l’attrait du gain potentiel.

 

Au sujet des auteurs du blogue: Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com

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