Vive les réfugiés!

Publié le 07/11/2016 à 06:09, mis à jour le 07/11/2016 à 09:07

Vive les réfugiés!

Publié le 07/11/2016 à 06:09, mis à jour le 07/11/2016 à 09:07

La clé du succès? L'aide à l'intégration... Photo: Centraide

En 2017, le Canada va accueillir jusqu'à 300.000 nouveaux immigrants, dont 172.500 seront des migrants pour raison économique et 40.000, des réfugiés. C'est ce qu'a récemment annoncé John McCallum, le ministre fédéral de l'Immigration, en soulignant : «Je suis convaincu qu'accueillir autant d'immigrants est la meilleure chose à faire, compte tenu des tendances démographiques actuelles». Il faisait ainsi référence au fait que le Canada a maintenant une population vieillissante – en passant, les Québécois sont la deuxième population la plus vieille sur Terre, après les Japonais –, ce qui soulève nombre de problèmes économiques : baisse de la productivité globale, chute du ratio de travailleurs par retraité, etc.

M. McCallum a-t-il raison? A-t-il tort? Ces nouveaux venus que sont les réfugiés – en particulier les Syriens, ces temps-ci – sont-ils, en vérité, un poids pour la société qui les accueille (ex.: «Ils ne sont pas diplômés, et ne peuvent donc pas trouver d'emploi», «Ils vivent sur l'aide sociale, et s'en contentent au lieu de chercher un emploi», etc.), ou au contraire, un élément déclencheur fondamental pour une éventuelle relance économique (ex.: «Ils prennent les emplois que les autres ne veulent pas, et rebondissent vite fait», «Ils apportent de nouvelles façons de faire, ce qui permet à leurs employeurs de gagner en efficacité», etc.)? Pour s'en faire une idée juste, rien de mieux que de considérer des faits...

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Année après année, entre 10 et 13 milliards de dollars sont versés à tous les prestataires de l'aide sociale au Canada. La part représentée par les réfugiés représente seulement entre 1,9 et 4,4%, selon les années – soit une part infime –, d'après une étude de Statistique Canada publiée l'an dernier.

Il est vrai que la très grande majorité des réfugiés deviennent prestataires de l'aide sociale à leur arrivée au Canada : au Québec, c'est le cas pour 85% d'entre eux, ce qui correspond au pourcentage le plus élevé à l'échelle du pays (le plus faible est de 60%, en Alberta). Cela étant, ce pourcentage fond à vue d'oeil puisque, quatre années après leur arrivée, il n'est plus qu'entre 25 et 40%. Ce qui signifie que les réfugiés trouvent vite du travail, en général; et ce, même si nombre de bâtons administratifs sont mis dans leurs roues (ex.: la difficulté de faire reconnaître leurs diplômes, etc.).

Certains auront le réflexe de comparer la tranche de 25 à 40% à la moyenne canadienne des personnes qui sont prestataires de l'aide sociale, qui est d'environ 8%. Mais ce réflexe est trompeur. Pourquoi? Parce qu'il faut saisir que nombre de réfugiés qui demeurent dépendants de l'aide sociale sont des mères monoparentales ou des couples à la tête d'une famille nombreuse, et qu'il est dès lors vraiment complexe de trouver un emploi lorsqu'on part de zéro. Non, ce qui compte vraiment, c'est de constater que le pourcentage de réfugiés prestataires de l'aide sociale est en chute libre à mesure que le temps passe.

Un récent article du magazine américain Talent Economy a analysé l'impact économique des réfugiés sur l'économie américaine. Il en ressort des faits qui devraient en surprendre plus d'un :

> Petites villes. Là où les réfugiés ont le plus grand impact économique positif, c'est dans les petites villes. Car, bien souvent, les PME des petites villes ont des besoins en main-d'oeuvre qu'elles peinent à combler, si bien que l'arrivée des nouveaux venus est une aubaine pour eux. L'intégration des réfugiés dans la société est dès lors très rapide, et les bénéfices s'en font sentir sans tarder.

> Métropoles. Même si l'impact économique des réfugiés est modeste à l'échelle des métropoles, il est loin d'être négligeable. Rien qu'en 2012 à Cleveland, les entreprises fondées par des réfugiés ont permis cette année-là la création de 175 emplois représentant des salaires d'un total de 12 millions de dollars américains, et par voie de conséquence des impôts sur le revenu de 1,8 million de dollars américains pour l'Ohio.

> Chômage. Le seul bémol notable concerne le taux de chômage des réfugiés, qui peut être parfois très élevé. Un exemple frappant : le taux de chômage des réfugiés somaliens habitant à Minneapolis était en 2012 de 17%, alors qu'il n'était en moyenne que de 4% dans la métropole. Mais il convient de souligner que cela ne résulte vraisemblablement pas d'une mauvaise volonté de la part de ces réfugiés-là, mais plutôt de la difficulté de s'intégrer à la société américaine lorsqu'on vient d'un pays africain meurtri par la guerre civile depuis des décennies.

Comment expliquer que les réfugiés arrivent si bien à s'intégrer dans la société d'accueil? Et à avoir un impact global aussi positif sur l'environnement dans lequel ils s'implantent?

J. Edward Taylor, professeur d'économie des ressources naturelles et d'agriculture à l'Université de Californie, s'est penché récemment sur le sujet. Plus précisément, il s'est intéressé à l'impact économique des réfugiés sur la zone géographique qui les accueillait, et en particulier lorsqu'ils se retrouvaient dans un camp. Il a ainsi analysé ce qui se passait dans un camp de réfugiés congolais situé au Rwanda, et découvert que l'impact était positif sur le plan économique à partir du moment où quatre conditions étaient réunies :

1. Interaction. Il faut que les réfugiés soient autorisés à interagir avec les membres de la société d'accueil.

2. Proximité. Il faut que les réfugiés soient localisés à proximité des employeurs potentiels.

3. Aides directes. Il faut que les réfugiés bénéficient d'une aide financière et d'une autre à l'emploi visant à soutenir leurs efforts pour trouver un premier travail, soit au sein de la communauté des réfugiés, soit au sein de la société d'accueil.

4. Aide indirecte. Il faut que les employeurs potentiels bénéficient d'un incitatif à l'embauche de réfugiés.

Autrement dit, il suffit de s'arranger pour que les nouveaux venus soient en mesure de se connecter aux différents réseaux socio-économiques de leur lieu d'accueil pour que tout se déroule au mieux, pour tout le monde. L'intégration se déroule alors vite et bien, ce qui peut procurer un nouvel élan économique sur le plan local.

«Toute politique d'accueil de réfugiés présentant ces quatre caractéristiques-là est appelée au succès. Car elle permettra aux nouveaux venus de se greffer harmonieusement à la société existante, et par suite, permettra à cette dernière de croître de plus belle», dit M. Taylor dans un article paru dans la Harvard Business Review.

Toutefois, il convient d'être prudent avec cette affirmation. C'est que tout cela n'est valable que lorsque l'afflux de réfugiés n'est pas trop brusque, ni trop considérable.

Ainsi, George Borjas, professeur d'économie et de politique sociale à la Harvard Kennedy School à Cambridge (États-Unis), et Joan Monras, professeur d'économie au Cemfi à Madrid (Espagne), ont regardé ce que l'arrivée massive de réfugiés dans un même lieu pouvait entraîner comme conséquences sur le marché du travail local. Ils ont analysé, entre autres, l'afflux soudain et massif des Marielitos de Cuba en Floride en 1980, ou encore celui des Juifs d'URSS en Israël au début des années 1990. Et voici ce qu'ils ont découvert :

> Miami. Les Cubains qui ont fui leur île en bateau pour rejoindre les côtes floridiennes se sont vite regroupés à Miami. Là, les salaires des travailleurs qui n'avaient pas de diplôme ont chuté en quelques années d'en moyenne 41%. Pourquoi? Parce qu'ils se sont retrouvés en concurrence avec la nouvelle main-d'oeuvre d'origine cubaine, prête à travailler fort pour un maigre salaire.

> Israël. Le demi-million de Juifs qui ont quitté l'URSS pour Israël avaient cette particularité d'être, en général, bardés de diplômes. Résultat? Les salaires des diplômés israéliens avaient reculé d'en moyenne 12% en l'espace de cinq années, là encore en raison du fait que les nouveaux venus étaient prêts à travailler fort pour un maigre salaire. Ce qui s'était particulièrement vérifié dans un secteur, celui de la construction, dans lequel les Juifs d'URSS excellaient en comparaison des Israéliens : les salaires ont alors fondu d'en moyenne 39%.

«Les principes humanitaires qui amènent à accueillir massivement des réfugiés chez soi sont louables, mais il faut savoir que lorsqu'une politique d'accueil digne de ce nom n'est pas mise en place, cela peut avoir des impacts négatifs majeurs sur le plan local, notamment en ce qui concerne les salaires des gens», résument les deux chercheurs dans leur étude.

D'où l'importance vitale de favoriser la venue de réfugiés, mais de manière réfléchie et mesurée. Comme cela semble bel et bien se produire actuellement au Canada, avec la politique à la fois volontariste et calculée du ministre de l'Immigration. Un signe qui ne trompe pas : le nombre de réfugiés autorisés à venir vivre au Canada l'en prochain est légèrement inférieur à ce qu'il a été en 2016, puisqu'il passera de 55.800 à 40.000.

«Un consultant a fait la recommandation au gouvernement Trudeau d'accueillir non pas 300.000, mais plutôt 450.000 immigrants par an. Mais, nous en sommes arrivés à la conclusion que cela était, certes, souhaitable, mais pas réalisable en 2017. Plus tard, peut-être; mieux vaut y aller pas-à-pas, sans précipitation», a d'ailleurs raconté M. McCallum, lors de sa présentation aux médias des nouvelles cibles en matière d'accueil d'immigrants.

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