Réinventons l'entreprise. Vite!

Publié le 26/03/2018 à 06:06

Réinventons l'entreprise. Vite!

Publié le 26/03/2018 à 06:06

Macron est en train de réformer la philosophie qui sous-tend l'entreprise... Photo: DR

Saviez-vous que la France est en train de connaître une véritable révolution? J'imagine que non, et pourtant c'est bel et bien le cas. Une révolution susceptible d'avoir des répercussions majeures pour les entrepreneurs français, mais aussi - tenez- vous bien! - du monde entier. Explication.

Lors de sa toute première entrevue télévisée après son arrivée à l'Élysée, le président Emmanuel Macron a lancé une phrase marquante : « Je veux qu'on réforme profondément la philosophie de ce qu'est l'entreprise. » Il s'agissait là d'un de ses principaux chevaux de bataille, lui qui avait concocté un projet de loi à ce sujet en 2015, en tant que ministre, dans lequel il proposait de modifier un article du Code civil qui stipule que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés ». Son idée ? Faire suivre cette définition par : « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l'intérêt général économique, social et environnemental. »

Le projet de loi avait été abandonné par le président de l'époque, François Hollande, en dépit du fait que son jeune ministre y tenait farouchement. Alors, pourquoi un tel acharnement de la part de Macron ? Tout simplement parce qu'il a réalisé que le concept d'entreprise tel que nous le connaissons de nos jours datait du 19e siècle et était devenu complètement caduc en ce 21e siècle. Parce qu'il a saisi que le but d'une entreprise ne pouvait plus être de faire de l'argent pour les seuls actionnaires, mais se devait à présent d'enrichir toutes les parties prenantes (comme les salariés) ainsi que l'écosystème dans lequel elle évolue.

Au début de mars, un rapport a été remis au président français. Signé par Nicole Notat, ex-secrétaire générale du syndicat CFDT, et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, le rapport s'intitule «L'Entreprise, objet d'intérêt collectif». Il y est préconisé d'effectivement redéfinir le concept d'entreprise, à l'aide de la formule « La société doit être gérée, dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité » ; une définition qui recoupe celle qu'avait concoctée le ministre Macron. Il y est également recommandé d'inviter les entreprises à déterminer elles-mêmes leur « raison d'être », en particulier sur les plans sociaux et environnementaux, et d'inscrire celle-ci dans ses statuts. Enfin, il y est conseillé d'accroître le nombre d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration ou de surveillance.

« L'entreprise est vue comme faisant partie des problèmes sociaux et environnementaux posés à nos contemporains. Une récente enquête indique d'ailleurs le chemin à parcourir : interrogés sur les mots qui caractérisent le mieux leur état d'esprit à l'égard des entreprises, les Français sondés citent avant tout la "méfiance ". Et dès qu'on leur indique que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est justement là pour contrer cette perception négative, ils rétorquent que ce n'est là qu'un affichage, un supplément d'âme, voire un simple exercice formel de conformité à une grille de questions », souligne le rapport Notat-Senard.

Autrement dit, renforcer la RSE et autres politiques semblables ne suffit plus ; il est grand temps de révolutionner le concept d'entreprise ! Comme l'a amorcé le président Macron, dont le gouvernement entend présenter une nouvelle loi à ce sujet dans les prochains mois.

Qu'en est-il chez nous ? Nous sommes confrontés exactement au même problème : nos entreprises ne visent, comme en France, qu'à servir les intérêts des seuls actionnaires. J'en veux pour preuves les définitions de l'entreprise que donnent le gouvernement du Canada - « Une entreprise est une activité que l'on exerce avec l'intention de réaliser un profit » - et celui du Québec - « Une entreprise a pour but de réaliser des bénéfices qui seront répartis, s'il y a lieu, entre ses actionnaires ». Une société n'a ici aucune dimension sociale ou environnementale, du moins d'un point de vue légal.

Or, un tel manquement est aujourd'hui une nuisance sans nom. « L'entreprise doit redevenir un vecteur d'innovation et de croissance économique, en même temps qu'un lieu de construction sociale et d'épanouissement personnel. Elle doit écarter la primauté donnée depuis les années 1980 à la rentabilité financière à court terme et aux intérêts des actionnaires, lesquels pèsent dangereusement sur l'investissement, la R et D et la stratégie à long terme des entreprises », notent ainsi Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, professeurs à Mines ParisTech, dans leur livre Refonder l'entreprise.

L'économiste français Olivier Favereau abonde dans le même sens dans une entrevue accordée au quotidien La Croix : « Nos travaux au Collège des Bernardins montrent que, sur le plan juridique, les actionnaires ne peuvent pas être propriétaires d'une entreprise, car celle-ci est une collectivité humaine et une personne morale, et il se trouve qu'on ne peut pas être propriétaire d'une personne physique - sinon, c'est de l'esclavage -, ni d'une personne morale, qu'il s'agisse d'un État ou d'une entreprise », dit-il.

Et de poursuivre : « De surcroît, l'actionnaire n'assume pas tous les risques, puisqu'il peut vendre ses titres quand il le souhaite et parce que sa responsabilité est limitée au seul montant de son apport. C'est bien simple, un propriétaire à responsabilité limitée doit n'avoir que des prérogatives limitées. » CQFD.

Je vous le disais, une révolution est née en France, pour le plus grand bien commun. Reste à savoir si, nous aussi, sommes prêts à entrer dans le 21e siècle, ou pas...

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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