Oui, il convient de taxer les robots!

Publié le 08/02/2017 à 06:06, mis à jour le 08/02/2017 à 06:32

Oui, il convient de taxer les robots!

Publié le 08/02/2017 à 06:06, mis à jour le 08/02/2017 à 06:32

Les robots peuvent se révéler des amis comme des ennemis... Photo: DR

Dominic Barton n'a pas mâché ses mots: «40% des emplois qui existent aujourd'hui au Canada sont appelés à disparaître au cours de la prochaine décennie, en raison de l'automatisation», a-t-il lancé lundi, lors d'une conférence tenue à Ottawa. Le directeur général mondial du cabinet-conseil McKinsey a prévenu que le choc serait rude si rien n'était fait au plus vite pour l'atténuer. À ses côtés, Bill Morneau, le ministre des Finances du Canada, serrait les dents, sans piper mot...

Lesquels d'entre nous vont être touchés? Nombre d'études à ce sujet voient le jour ces temps-ci, et réservent une sacrée surprise...

Non, ce ne sont pas les emplois physiques ou manuels qui présentent le plus de risques d'être bientôt effectués par des robots, ni même certains emplois de cols-blancs qui pourraient être exécutés par des robots intelligents, dotés d'algorithmes si poussés qu'aucun être humain ne pourrait rivaliser avec eux. Lesquels, alors? Eh bien, de récentes données de la Réserve fédérale de la Banque de Saint-Louis montrent que ce qui fait la vulnérabilité d'un emploi face à l'arrivée des robots, c'est... son caractère routinier!

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D'un côté, il y a les emplois non-routiniers, qui nécessitent de s'adapter à n'importe quel événement survenant dans son quotidien au travail (architecte, manager de haut-niveau, etc.). Ces emplois-là requièrent des diplômes universitaires et sont bien rémunérés. De l'autre, il y a les emplois routiniers, qui correspondent à l'accomplissement de tâches récurrentes plus ou moins complexes (chauffeur de camion, cuisinier dans la restauration rapide, etc.). Ces derniers sont ceux qui vont être les plus concernés par l'avènement des robots dans le milieu de travail, d'après les experts de la Fed.

Et de préciser que, depuis les années 1980, on constate en Amérique du Nord une hausse significative du nombre d'emplois non-routiniers ainsi qu'une stagnation du nombre d'emplois routiniers. Si bien que l'automatisation à venir va, «de toute évidence», aggraver la situation, en provoquant la chute du nombre d'emplois routiniers, selon eux.

McKinsey abonde dans le même sens, dans son étude intitulée A future that works: Automation, employment, and productivity qui a été dévoilée en janvier. Le cabinet-conseil y estime que toutes les formes d'emploi d'aujourd'hui présentent un potentiel d'automatisation, mais que les emplois routiniers sont clairement les plus fragiles à cet égard. «Notre analyse montre que, tous postes confondus (du manoeuvre au manager), le travail en usine, en hôtellerie, en restauration et dans le commerce de détail va être frappé de plein fouet», souligne-t-il.

À cela s'ajoute un phénomène que vient tout juste de mettre au jour trois professeurs d'économie – Guido Matias Cortes, de l'Université de Manchester (Grande-Bretagne); Nir Jaimovich, de l'École de commerce Marshall à Los Angeles (États-Unis); Henry Siu, de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver (Canada) – dans une étude intitulée Disappearing routine jobs: Who, how, and why?, à savoir que les robots ne sont pas les seuls à malmener les emplois routiniers. S'y ajoute, en effet, des... changements générationnels majeurs! Deux illustrations :

1. Auparavant, les jeunes hommes peu diplômés allaient tout naturellement vers des emplois routiniers manuels. Mais de nos jours, ces mêmes jeunes n'ont plus ce réflexe-là : nombre d'entre eux vivent de l'aide sociale, ou au crochet de leurs parents; et ce, non pas par choix, mais parce qu'ils ne parviennent pas à s'insérer au sein de la société actuelle. Par exemple, un jeune homme qui a vu ses parents travailler à l'usine n'a plus le goût de suivre leurs traces, mais ne voit pas pour autant d'autre voie à emprunter.

2. Auparavant, les jeunes femmes titulaires d'un diplôme de niveau intermédiaire allaient tout naturellement vers des emplois routiniers intellectuels. Mais de nos jours, elles fuient ce type de travail pour privilégier les emplois non-routiniers, quitte à vivre, en attendant, de jobines. Par exemple, une jeune femme qui a vu sa mère travailler comme adjointe administrative fera tout son possible pour emprunter une autre voie, et tenter de devenir, disons, directrice artistique au sein d'une agence de pub ou directrice de projet dans un organisme de bienfaisance.

Le tiers du déclin des emplois routiniers enregistré ces dernières décennies aux États-Unis s'explique par ce simple phénomène générationnel, selon l'étude des trois professeurs d'économie. Du coup, il est clair que les emplois routiniers n'ont pas d'avenir : non seulement les robots vont les accaparer, mais aussi les jeunes n'en veulent d'ores et déjà plus.

La question saute dès lors aux yeux : que vont faire tous ceux qui vont perdre leur emploi, ou ne jamais en trouver un?

Lors des précédents chocs économiques, nous avons toujours assisté à ce que le démographe français Alfred Sauvy appelait le «déversement» : tout progrès technologique améliorant la productivité engendre un transfert – le déversement – des emplois d'un secteur d'activités vers un autre. Par exemple, chaque fois qu'un pays a vu son agriculture se moderniser, l'emploi du secteur primaire (agriculture) a eu tendance à se déverser dans le secondaire (industrie), puis le tertiaire (services).

Mais cette fois-ci, cette théorie pourrait ne pas se vérifier. «L'avènement des robots va représenter un choc économique d'une ampleur similaire à celui qu'ont connu les pays développés au XXe siècle, à l'occasion de la modernisation de leur agriculture : en l'espace de quelques décennies seulement, les agriculteurs sont devenus une rareté, alors qu'ils représentaient jusqu'alors la grande majorité des travailleurs; la plupart d'entre eux ont trouvé du travail en ville, à l'usine. Le hic, cette fois-ci, c'est qu'il n'y a pas de plan B évident pour ceux qui vont perdre leur emploi», indique l'étude de McKinsey.

Et la Commission des affaires juridiques du Parlement européen d'enfoncer le clou : «Le risque est de se retrouver face à une "génération perdue", qui aurait reçu une formation pour des emplois en cours de disparition et qui se trouverait dans l'impossibilité de trouver un emploi en adéquation avec ses compétences», indique-t-elle dans un document publié en octobre dernier et intitulé Étude sur le règles européennes de droit civil en robotique. Ni plus ni moins.

Que faire pour éviter une telle catastrophe? Une idée originale serait de... taxer les robots!

Mary Delvaux est une eurodéputée luxembourgeoise qui est membre de la Commission juridique du Parlement européen. Elle a planché sur un projet de rapport concernant l'encadrement juridique de la robotique, dans lequel elle préconise l'instauration d'une «taxe sur les robots», sur fond de raréfaction des emplois routiniers. Elle y indique que «le développement et le déploiement de la robotique et de l'intelligence artificielle présente des effets potentiels dévastateurs sur l'emploi, et donc, sur la viabilité des régimes de sécurité sociale». Et qu'en conséquence il est impératif d'imposer aux entreprises l'obligation de déclarer «l'étendue de leur robotisation» et «la part de la contribution des robots à leurs revenus»; et ce, à des fins «fiscales» et de «calcul des cotisations de sécurité sociale».

Autrement dit, il conviendrait d'estimer l'importance de la contribution des robots aux revenus des entreprises, histoire d'imposer à celles-ci de contribuer plus adéquatement à l'atténuation du choc sur les emplois occasionné par les robots. «Il convient de surcroît d'envisager sérieusement l'instauration d'un revenu universel de base», ajoute-t-elle, en suggérant que la «taxe sur les robots» serve à le financer, et donc, à aider les victimes de la robotisation à sortir la tête de l'eau.

«Je pense que les robots ne vont pas complètement remplacer les humains, mais qu'il va nous falloir trouver une sorte de coopération avec eux», a confié Mme Delvaux en janvier dernier au quotidien français Libération. L'enjeu est, par suite, un enjeu d'éducation, à ses yeux : comment arriverons-nous à former en ce sens ceux qui sont appelés à perdre leur emploi? Et même, comment former ceux qui le conserveront, mais devront travailler de concert avec les robots? «Comme personne ne sait ce que nous réserve l'avenir, il est urgent d'envisager tous les scénarios, et donc de se préparer au pire d'entre eux», a-t-elle souligné.

Une préparation coûteuse, qui pourrait être en partie financée par la taxe en question. Une préparation qui pourrait même se révéler payante. Un exemple frappant : Adidas. Le fabricant d'articles de sport allemand a annoncé en juin dernier qu'il allait rapatrier en Allemagne la production d'une partie de ses chaussures, dans une usine robotisée. La raison? L'automatisation entraîne une telle baisse des coûts de fabrication qu'il n'est plus besoin pour lui d'aller à l'étranger pour trouver de la main-d'oeuvre à bas prix. Du coup, la robotisation, même taxée, peut devenir un facteur de relocalisation.

L'idée, c'est de profiter de l'inéluctable robotisation du travail pour créer une «croissance inclusive», d'après Dominic Barton, directeur général mondial de McKinsey. Ce qui peut être réalisé à condition de faire preuve «d'audace et d'ambition», en veillant à ce que personne ne soit mis de côté : «Si jamais la croissance n'est pas inclusive et cohérente socialement, tout sera fichu», a-t-il lancé sans ambages, en précisant que «le Canada gagnerait à consacrer son énergie et ses finances à certains secteurs clés», à l'image de «l'agroalimentaire», c'est-à-dire ceux où les emplois ne sont pas, ou pas trop, routiniers.

La balle est maintenant dans les mains de nos gouvernements. Entendront-ils les voix qui s'élèvent ici et là pour avertir de l'écueil vers lequel nous filons à toute vapeur? Espérons-le. D'ores et déjà, un homme en a fait l'un de ses chevaux de bataille dans la course à la présidentielle française, le socialiste Benoît Hamon. Ses chances d'être élu sont, certes, minces, néanmoins on le présente aujourd'hui dans les médias comme «l'homme qui voit le futur», comme celui qui a le cran d'anticiper les problèmes à venir et d'amorcer la nécessaire réflexion à leur résolution. Croisons les doigts pour qu'il en inspire d'autres...

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.