Non, Montréal n'est pas une ville intelligente!

Publié le 25/01/2017 à 08:08, mis à jour le 25/01/2017 à 09:35

Non, Montréal n'est pas une ville intelligente!

Publié le 25/01/2017 à 08:08, mis à jour le 25/01/2017 à 09:35

C'est qu'elle souffre d'une grave insuffisance en «mobilité intelligente»... Photo: DR

Quelle est aujourd'hui la métropole qui ne se dit pas «intelligente»? Montréal, bien entendu, fait partie du lot de celles qui revendiquent un tel attribut. Le hic, c'est qu'elle en est encore loin. Explication. 

Par définition, une «ville intelligente» n'est pas, comme on l'entend trop souvent, une cité à la fine pointe de la technologie, mais un espace urbain combinant harmonieusement l'économie, le social et l'environnement. Ce qui revient, d'après Rudolf Giffinger, professeur de développement urbain et régional à l'Université technologique de Vienne (Autriche), à rendre «intelligents» six de ses aspects : la gouvernance; l'habitat; les citoyens; l'économie; l'environnement; et la mobilité.

Or, Montréal pêche grandement pour au moins l'un de ces six critères, celui de la mobilité – ce qui, à mes yeux, l'empêche de prétendre au titre de «ville intelligente». Car la mobilité n'est pas aujourd'hui «intelligente» dans la métropole, en ce sens que les différents modes de transport – rail, métro, bus, automobile, vélo et marche à pied – ne sont pas harmonieusement intégrés. Et ce, ne serait-ce qu'en raison du fait que Montréal n'est pas «marchable».

Marchable? Non, je ne fais pas allusion ici au verglas d'hier qui a paralysé la ville, en particulier les piétons. Je fais plutôt référence à un concept né au tournant du millénaire, la «marchabilité», qui exprime le potentiel piétonnier d'un milieu urbain; soit une sorte de trait d'union entre urbanisme et santé puisque ce terme traduit «l'identification et l'évaluation des caractéristiques d'un milieu urbain qui favorisent ou entravent la volonté ou la capacité d'un individu à marcher vers des lieux propices aux modes de vie sains (ex.: marcher de chez soi au parc public le plus proche)», selon la définition d'Allen Glicksman, directeur de recherche à la Philadelphia Corporation for Aging.

Il se trouve que trois chercheurs de l'Université de Montréal – François Raulin, Sébastien Lord et Paula Negron-Poblete – ont eu la curiosité de regarder si Montréal était si marchable que ça. Dans leur étude publiée en septembre dernier dans la revue scientifique Vertigo, ils ont notamment scruté à la loupe les quartiers du Vieux-Rosemont et de Bois-Franc. Résultats? Des rues qui ne présentent pas «des conditions optimales pour la marche» («trottoirs en mauvais état», «déchets», «bâtiments dégradés ou recouverts de graffitis», etc.), de «vastes zones de stationnement», de nombreuses «absences de destinations intéressantes», ou encore de «trop longues distances à parcourir». Bref, peut mieux faire...

Ce n'est pas tout! Montréal est, de surcroît, une zone on ne peut plus périlleuse pour les piétons. Les rapports du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) montrent qu'il existe des intersections réputées pour leurs accidents mortels ou à tout le moins aux conséquences graves pour les victimes. En passant, les voici (soyez-y vigilants à l'avenir, si jamais il vous arrive d'y traverser) :

> Saint-Denis | Mont-Royal;

> Sherbrooke Est | Trianon;

> Robert | Viau;

> Saint-Denis | René-Lévesque;

> Henri-Bourassa Est | Lacordaire;

> Beaubien | Pie-IX.

Idem, saviez-vous qu'il y a des quartiers montréalais où 1 intersection sur 2 a vu un piéton se faire renverser par une voiture durant les années 2000? Oui, vous avez bien lu : 1 intersection sur 2. Pour votre information, il s'agit du Plateau–Mont-Royal (48%) et de Rosemont–La Petite-Patrie (47%), d'après les données de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).

C'est bien simple, la SAAQ dispose de tellement d'informations sur les piétons accidentés qu'elle les a analysées pour en tirer des enseignements qui font froid dans le dos. Dans une étude dévoilée la semaine dernière, elle montre ainsi qu'il est franchement dangereux de faire un tour dehors à pied alors qu'on est en fin de journée («entre 15h et 21h»), en semaine («du lundi au vendredi»), à la fin de l'année («d'octobre à décembre») et qu'il fait beau («temps clair»). C'est que ce sont là les conditions les plus propices pour se faire écraser à Montréal.

La même étude met au jour d'autres faits aussi insolites qu'épeurants. Deux exemples :

1. Il convient d'être particulièrement vigilant sur les stationnements des grandes surfaces commerciales – 13% des accidents impliquant un piéton y surviennent; ce qui est énorme, quand on y pense bien.

2. Il va bientôt nous falloir redoubler de vigilance non pas en traversant, mais en... restant sur le trottoir! Pourquoi? À cause de ce que la SAAQ appelle les «piétons sur roues» (véridique!). «L'hétérogénéité des piétons est de plus en plus importante [utilisateurs de patins à roues alignées et autres planches à roulettes, ou encore utilisateurs de fauteuils roulants électriques et autres gyropodes] et, vu les différences de vitesse et de poids (certains peuvent peser 90 kg et rouler à 40 km/h), les incidents entre piétons sont appelés à devenir de plus en plus nombreux et graves dans les prochaines années», dit-elle en précisant toutefois que «peu de recherches ont d'ores et déjà été faites à propos du danger que les piétons sur roues représentent pour autrui [gravité des chutes, etc.]».

On le voit bien, Montréal a de nets progrès à enregistrer en matière de mobilité intelligente avant de pouvoir se dire «ville intelligente». Que fait la Ville à ce sujet, au juste? Eh bien, elle se targue depuis septembre dernier d'avoir concocté une toute nouvelle stratégie, «Vision zéro» accident, inspirée du modèle suédois en la matière. Celle-ci consiste en 9 actions concrètes à court terme, qui vont de la limitation de vitesse à 30km/h dans les quartiers résidentiels à la réalisation d'un projet-pilote d'arrêts toutes directions en passant par le réaménagement d'intersections dangereuses (nouveaux feux de piétons à décompte numérique, etc.). Autrement dit, une stratégie «Zéro vision» comme l'a aussitôt proclamé l'opposition, soulignant que les mesurettes annoncées ne faisaient que reprendre, en partie, ce qui avait déjà été avancé dans le Plan de transport de Montréal... de 2008. Aucune avancée extraordinaire à attendre, donc, du côté de la Ville.

D'où, alors? Eh bien, peut-être du côté de la SAAQ. Consciente de l'urgence de résoudre le problème de mobilité intelligente que connaît la métropole comme d'autres villes du Québec, elle a entrepris une série de consultations publiques à propos de la difficile cohabitation entre les différents usagers de la chaussée. L'idée, c'est de contribuer subtilement aux travaux déjà entrepris ici et là, en douce, en vue de la révision du Code de la sécurité routière. Un révision que le ministre Laurent Lessard – en charge notamment, je le souligne, de la Mobilité durable – aimerait voir survenir d'ici juin 2017, paraît-il.

Qui sait? Il se pourrait que de grands changements – à l'image de ceux récemment entrepris sur le Plateau concernant l'arrêt de la prédominance systématique de l'automobile sur la chaussée, ou encore e ceux visant à accroître le nombre de rues piétonnes – soient annoncés à cette occasion-là. Des changements à même de favoriser la mobilité intelligente de nos villes; d'améliorer grandement la sécurité, la santé et le bien-être des piétons que nous sommes tous; et de redynamiser l'économie de la métropole.

Une source d'inspiration parmi d'autres : Paris, le paradis du flâneur. Saviez-vous que la marche est le premier mode de déplacement des Parisiens, devant l'automobile, avec une moyenne de 1,5 déplacement à pied par jour? 

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