Les effets fous du pot légal


Édition du 20 Octobre 2018

Les effets fous du pot légal


Édition du 20 Octobre 2018

[Photo : 123RF]

Ça y est, le pot est devenu légal à l'échelle du Canada, si bien qu'on peut maintenant s'en procurer dans la quinzaine de succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC) qui viennent ou qui vont bientôt ouvrir à Ville-Marie, Brossard, Trois-Rivières, Sainte-Foy et Rimouski, entre autres. Et tout le monde se demande ce que ça va donner...

La productivité du Québec va-t-elle flancher d'un seul coup ? Les accidents mortels vont-ils se multiplier sur les routes ? Les enseignants vont-ils devoir dealer avec des élèves amorphes, intoxiqués par la fumée secondaire de leurs parents ? Que sais-je encore ? Ce qui est clair, c'est que les fantasmes vont bon train ces temps-ci. D'où l'impérieuse nécessité de regarder de près ce qui s'est vraiment passé ailleurs lorsque le pot a été légalisé.

1. Une plus grande ouverture d'esprit

Les sociétés concernées gagnent rapidement en tolérance, comme le montre une récente étude de BDS Analytics menée en Californie, où la légalisation est survenue en 2016. Rien que cette année-là, la proportion des consommateurs dont l'âge médian est de 39 ans a crû de 23 % à 29 % ; chez ceux qui acceptent la légalisation, soit ceux dont l'âge médian est de 49 ans, elle a progressé de 33 % à 38 % et chez ceux qui y sont réfractaires - âge médian de 56 ans -, elle a reculé de 40 % à 38 %. Autrement dit, l'acceptation de la consommation du cannabis gagne en popularité auprès de l'ensemble de la population à mesure que le temps passe.

Comment cela s'explique-t-il ? Par le simple fait que nombre de préjugés se mettent alors à tomber. Un exemple frappant : les réfractaires découvrent alors, à leur plus grand étonnement, que le fumeur type n'est pas ce jeune fainéant mal rasé qui ne sait pas quoi faire de sa vie, mais plutôt ce père de famille dans la quarantaine qui travaille à temps plein pour un salaire d'en moyenne 91 000 $ et qui fait du sport sur une base régulière (la randonnée en plein air, les exercices au gym et le yoga sont les trois pratiques sportives les plus populaires auprès des consommateurs de pot).

Eh oui, on peut très bien fumer sans sombrer dans les affres de la dépendance, tout comme on peut déguster un bon vin sans sombrer dans l'alcoolisme.

2. Un mini-boom immobilier

Le cannabis est légal au Colorado depuis 2012, mais ce ne sont que 17 % des municipalités de l'État qui ont aujourd'hui adopté un règlement uniforme concernant sa vente et sa consommation. Cette particularité a permis à Cheng Cheng, professeur d'économie à l'Université du Mississippi, avec deux autres économistes, de repérer que ces municipalités avaient connu un mini-boom immobilier : la légalisation avait fait bondir à elle seule la valeur des logements d'en moyenne 6 % depuis 2015.

À noter, toutefois, l'existence de disparités dans cette hausse globale. Danna Thomas et Lin Tian, toutes deux professeures d'économie à l'Université Columbia, ont mis au jour le fait que la présence d'un dispensaire a tendance à faire baisser les prix de l'immobilier dans son voisinage. C'est ainsi que dans le comté de King, dans l'État de Washington, dont le siège est Seattle, l'ouverture d'un dispensaire a suffi à faire reculer de 1,7 % la valeur médiane des logements situés dans un rayon de 800 m.

Pourquoi une telle baisse ? À cause, une fois de plus, de préjugés tenaces : les gens croient qu'une «faune malfaisante» va se mettre à errer, jour et nuit, dans les rues du quartier, et ce, en dépit d'études comme celle qui a été menée récemment au comté de Pueblo, au Colorado. Celle-ci montre, chiffres à l'appui, que la légalisation du cannabis n'entraîne aucunement une recrudescence des sans-abri, de la criminalité, ni même de la consommation chez les chômeurs.

3. D'innombrables bienfaits locaux

Les revenus engrangés localement par la vente légale du cannabis surpassent amplement les coûts qui lui sont liés. Dans le comté de Pueblo, par exemple, les retombées économiques (emplois, taxes...) ont été évaluées l'an dernier à 75 millions de dollars pour des coûts (renforcement des services sociaux, des forces policières...) de 30 M$, soit un gain de 45 M$.

À quoi sert cet argent frais ? À accomplir de petits miracles locaux. Au Colorado, l'État et les municipalités volent au secours des sans-abri grâce à cette manne. En Oregon, cela permet surtout d'améliorer le système éducatif et le réseau de santé. Même chose en Californie, où une grande partie des fonds est destinée à la préservation de l'environnement et au soutien d'organismes communautaires.

À Long Beach, en Californie, la municipalité a carrément eu un coup de génie. Tout employeur travaillant dans l'industrie du cannabis est tenu de réserver 40 % de ses postes aux candidats ayant un profil pour le moins particulier : les personnes à la fois pauvres (ayant jusqu'alors un revenu inférieur d'au moins 80 % au revenu médian local) et criminelles (ayant un casier judiciaire pour trafic de cannabis).

L'idée est de donner une chance à ceux dont la vie a été bousillée par la misère et la drogue, et, donc, de combattre les déplorables stigmatisations. Une initiative dont gagnerait à s'inspirer, je pense, la SQDC.

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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ESPRESSONOMIE est le blogue économique d'Olivier Schmouker. Sa mission : éclairer l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui. Ce blogue hebdomadaire présente la particularité d'être publié en alternance dans le journal Les affaires (papier/iPad) et sur Lesaffaires.com. Olivier Schmouker est chroniqueur pour Les affaires et conférencier.

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