Le vrai coût du terrorisme


Édition du 16 Avril 2016

Le vrai coût du terrorisme


Édition du 16 Avril 2016

Les pays occidentaux sont aujourd'hui sous une pression constante... Photo: Bloomberg

État islamique, al-Qaïda, Boko Haram... Les groupes terroristes frappent aujourd'hui n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, portant haut un sinistre panache de fumée noire d'où n'émergent toujours que ruines et désolation. Une poignée d'hommes prêts au martyre leur suffit à faire des dégâts considérables, en particulier sur le plan économique : les pertes liées aux attentats du 11 Septembre ont ainsi été estimées pour les États-Unis à 80 milliards de dollars américains.

Mais voilà, derrière cette imagerie terrifiante, que se cache-t-il en vérité ? Le coût économique du terrorisme est-il si dramatique que ça ?

La réponse ? Accrochez-vous bien, son coût est nul ! Plus incroyable encore, son impact peut même se révéler... positif. Explication.

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

Et la page Facebook d'Espressonomie

Revenons au 11 Septembre. Les 80 milliards en question ne représentaient à l'époque que 0,1 % du produit intérieur brut (PIB) des États-Unis. C'est tout. Par ailleurs, une étude mondiale sur le terrorisme international entre 1968 et 2000 a montré que la croissance globale du PIB par habitant n'en a été amputée que de 0,048 % par an. Une misère.

Certes, le terrorisme fait mal là où il frappe : une récente étude a mis au jour le fait que l'investissement direct étranger (IDE) se met aussitôt à fuir les pays victimes d'actes terroristes, surtout si ceux-ci sont en voie de développement. Car le risque devient alors trop élevé aux yeux des investisseurs internationaux.

Néanmoins, le terrorisme a d'autres conséquences économiques, que l'on ne soupçonne aucunement. Une étude de la Réserve fédérale de St. Louis, signée par Subhayu Bandyopadhyay, Todd Sandler et Javed Younas, a observé son impact sur le commerce entre un pays touché et ses principaux partenaires, pour découvrir ceci :

> Le terrorisme dynamise les échanges commerciaux. Parce que le pays touché a alors un besoin criant de nouveaux produits ou services (par exemple, si son habituel canal d'approvisionnement en pétrole est temporairement interrompu).

> Le terrorisme enrichit les partenaires du pays touché. Parce qu'ils voient leurs exportations dopées par les nouveaux besoins du pays touché, certains de ses secteurs d'activité étant paralysés à court terme.

> Le terrorisme se traduit par une hausse de la production et des exportations lorsque le pays touché est exportateur de biens à forte intensité de main-d'oeuvre. Parce que les travailleurs des secteurs d'activité victimes d'actes terroristes ne vont pas se tourner les pouces, mais reporter leurs efforts sur d'autres secteurs, lesquels produiront et exporteront davantage.

Stupéfiant, n'est-ce pas ? Et pourtant véridique. «Paradoxalement, le terrorisme peut bel et bien stimuler l'activité économique du pays touché et de ses partenaires», résument les chercheurs.

Une question de connexion

Comment expliquer un tel phénomène ? Le sociologue français Gérôme Truc a confié au journal du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) que, même si nous évoluons dans des sociétés où l'individualisme prime, les actes terroristes ont pour effet de déclencher en chacun de nous «un irrépressible élan de solidarité». Pour preuve, le «Je suis Charlie» des médias sociaux à la suite de l'attentat en janvier 2015 de l'hebdo satirique français.

C'est que les sociétés connectées sont les plus à l'épreuve du terrorisme. Un exemple frappant : au 19e siècle, nombre d'attentats anarchistes avaient visé à déstabiliser l'ordre républicain ; toujours en vain. «Lorsqu'on frappe dans l'espoir de déliter le lien social d'une société et de mettre à bas son régime politique, il se produit l'exact contraire», dit M. Truc.

Une analyse corroborée par Armando Spataro, le procureur général de Turin, connu en Italie pour ses succès dans la lutte contre le terrorisme intérieur (Brigades rouges), et la mafia : «La clé, c'est la synergie des forces confrontées au terrorisme. Plus on est connecté, moins on est fragile et mieux on surmonte les actes terroristes», a-t-il récemment dit à La Repubblica.

Autrement dit, le terrorisme sera toujours perdant. En particulier sur le plan économique, puisque les liens commerciaux entre le pays touché et ses partenaires en sont renforcés. Et le penseur français Edgar Morin d'ajouter, dans une chronique du Monde du 7 février 2016 : «Le terrorisme est l'occasion d'aller au-delà d'un idéal fait de consommation, de gains et de PIB pour découvrir notre sentiment d'appartenance à l'humanité, et d'avoir ainsi davantage foi en l'amour et la fraternité».

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les Affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.