Le salutaire pouvoir du «non»

Publié le 09/04/2018 à 06:09

Le salutaire pouvoir du «non»

Publié le 09/04/2018 à 06:09

Penser, c'est dire «non», selon le philosophe français Alain... Photo: DR

Le jour où Joshua Millburn a dit « non », sa vie a changé. Du tout au tout.

Le fringant jeune homme approchait la trentaine, était cadre d'une entreprise de télécommunication américaine et touchait un salaire de six chiffres qui lui avait permis de devenir propriétaire d'une grande maison. Il se levait tous les matins à 4 h 44 pour se précipiter sur ses courriels et se couchait tard tous les soirs, juste après avoir jeté un dernier coup d'oeil à ses sempiternels courriels. Bref, comme le dit si bien le penseur libano-américain Nassim Nicholas Taleb dans son dernier livre, Jouer sa peau, Joshua Millburn était parfaitement «domestiqué».

Mais voilà qu'en 2009, deux drames se sont produits dans sa vie, en l'espace d'un mois seulement. D'une part, sa mère est morte, et il était si soucieux de bien travailler qu'il n'avait alors guère passé de temps à son chevet. D'autre part, sa femme l'a quitté, là encore parce qu'il ne lui consacrait pas assez de temps. Ces chocs lui ont fait réaliser que quelque chose ne tournait pas rond et qu'il était vital d'y réfléchir soigneusement.

Résultat : il a fini par saisir que son existence n'avait, au fond, qu'un seul but : l'accumulation. Il ne cherchait qu'à accumuler les succès professionnels ainsi que les primes et les témoignages de reconnaissance qui vont avec. Il ne courait qu'après la possession de biens de plus en plus coûteux et prestigieux, même si ceux-ci ne lui étaient que de peu d'utilité. Ce faisant, il fuyait de plus en plus vite les terribles monstres qui étaient à ses trousses, à savoir les dettes : « Je gagnais beaucoup, mais je dépensais toujours davantage, si bien qu'en vérité, j'étais endetté jusqu'au cou », avoue-t-il aujourd'hui.

Ce n'est pas tout. M. Millburn a également compris que son mode de vie ne le rendait nullement heureux, pis, qu'il rendait malheureux son entourage. Autrement dit, il lui fallait changer tout ça.

À l'époque, il lisait un livre du globe-trotter américain Colin Wright, qui se fait une fierté de voyager léger, avec seulement 51 objets. Et il s'est renseigné : l'Américain moyen détient quelque 300 000 objets et affiche une dette d'environ 16 000 $ US. Ce qui l'a amené à la déduction que pour avoir une vie plus riche de sens, il lui fallait se débarrasser des biens matériels inutiles et, par conséquent, alléger, voire supprimer ses dettes.

Alors il a entrepris de se séparer d'un objet par jour : un T-shirt, une paire de chaussures, une assiette, etc. Est finalement arrivé le moment où il a abandonné plus de 90 % de ses biens, dont son poste de télévision, son ordinateur portable et son cellulaire, et où il a ressenti, pour la première fois de sa vie, une immense solitude. Il avait à présent du temps à ne plus savoir qu'en faire.

« Ces gadgets électroniques ne servaient qu'à me distraire, qu'à tuer le temps. Sans eux, j'ai découvert que j'avais enfin du temps à moi, pour me cultiver, pour me remettre en forme ou encore pour nouer des liens plus serrés avec les autres », raconte-t-il dans son blogue.

Ses amis ont vite vu le changement en lui. Ils l'ont trouvé moins stressé et plus ouvert. L'un d'eux, Ryan Nicodemus, a même pris la décision de changer comme lui, avec lui. Ensemble, ils ont quitté leur emploi pour créer The Minimalists, une petite entreprise qui leur permet de prôner le minimalisme un peu partout (web, conférences...).

Joshua Millburn a simplifié sa vie, pour son plus grand bonheur... Photo: The Minimalists

La question saute aux yeux : ont-ils raison ou tort d'agir de la sorte ? Et par suite, le minimalisme est-il vraiment une voie économique intéressante à emprunter ou n'est-il qu'une simple mode, par définition passagère ?

« Le minimalisme atténue le bruit autour de nous et permet l'émergence du signal, à savoir ce qui donne un vrai sens à nos existences », dit Leo Babauta, l'auteur et blogueur américain de Zen Habits. Il est « un nécessaire rééquilibrage de la vie, tant pour l'individu que pour la société », selon l'auteure et blogueuse polonaise Anna Mularczyk-Meyer. Il est « une saine stratégie en période de crise, existentielle comme économique », ajoute la sociologue polonaise Marta Skowroska, dont nombre de travaux portent sur le sujet.

« Le minimalisme veut que « moins est mieux », en ce sens que moins on a de biens matériels, plus on s'enrichit sur le plan immatériel. Ce qui, mine de rien, est révolutionnaire : cela entraîne une remise en cause du consumérisme au profit d'un retour aux vertus fondatrices de nos sociétés (simplicité, partage, etc.) », analyse dans une étude Renata Dopierala, professeure de sociologie à l'Université de Lódz, en Pologne.

Autrement dit, on gagne toujours à se simplifier la vie. Ce qui est vrai aussi bien à l'échelle microéconomique que macro. Un exemple frappant est celui du minimalisme appliqué à l'industrie forestière du Costa Rica, comme l'illustre une étude des chercheurs costaricains Alonso Villalobos et Guillermo Navarro.

Des années 1950 aux années 1970, le Costa Rica a subi ce qu'on appelle la « connexion hamburger » : la superficie de ses forêts a chuté de 35 % pour céder la place à de gigantesques champs d'élevage de boeuf. Durant la décennie suivante, le pays a commencé à réglementer l'exploitation de ses forêts, histoire d'éviter la déforestation. À partir des années 1990, l'accès à des pans entiers de la forêt a été carrément interdit à l'industrie forestière. Conséquence de ce minimalisme imposé par l'État ? La forêt a alors été exploitée tout autrement, par de nouveaux acteurs économiques : l'écotourisme est né et fait, depuis, la richesse du Costa Rica.

« Le minimalisme est clairement appelé à un bel avenir. Parce qu'il est une réponse des milléniaux - les 18-35 ans - à la gloutonnerie matérialiste des générations précédentes. Aussi parce qu'il est une attitude raisonnable devant la finitude de notre monde, les milléniaux ayant compris, eux, que les ressources de la planète ne sont pas illimitées », a lancé Julia Tréhu, doctorante française à Sciences Po Paris et à la London School of Economics, lors d'un récent symposium intitulé «Les besoins fondamentaux des êtres humains au 21e siècle».

Prenons-en bonne note, en réalisons enfin l'aspect salutaire du «non» du minimalisme.

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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