Le logo agonise-t-il?


Édition du 11 Mars 2017

Le logo agonise-t-il?


Édition du 11 Mars 2017

Un désamour communicatif... Photo: DR

Avez-vous noté la grande tendance de la mode vestimentaire printemps-été 2017 ? Le logo fait un incroyable retour en force.

Gucci, MSGM, Chanel, Christian Dior, Balenciaga, Supreme, Moschino... Quasiment toutes les marques de prêt-à-porter présentent de nouvelles gammes où leur logo s'affiche sans vergogne sur les vêtements et les accessoires. Cela va du t-shirt noir où il est inscrit en doré «Dior Addict» au plaid écossais rehaussé d'un immense «Balenciaga», en passant par le chandail multicolore décoré, au niveau du torse, d'un «Coco» stylé.

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Comment expliquer une telle unanimité ? Eh bien, il se pourrait qu'il s'agisse des dernières convulsions du logo, annonciatrices d'une mort prochaine !

L'individualité de masse

Prenons un cas précis, celui des sacs à main. Il se trouve que le tiers des sacs achetés aujourd'hui aux États-Unis présentent la particularité de n'avoir aucun logo visible, selon une récente étude du cabinet-conseil américain NPD Group. Et que ce nouveau phénomène est en pleine expansion, toutes générations confondues.

Cela se vérifie surtout auprès de deux groupes de consommateurs. D'une part, les baby-boomers (les 50-69 ans) : 40 % des sacs à main achetés par eux sont à présent dénués de logo. D'autre part, la génération Z (les moins de 18 ans) : 34 % des sacs que ses membres se procurent sont sans logo, et ce pourcentage est en progression fulgurante.

Ce n'est pas tout ! Il s'avère que 81 % des femmes appartenant aux milléniaux - les 18-34 ans - estiment qu'il est «important» que le logo figurant sur leur sac à main soit «discret».

L'explication ? «Les milléniaux et les Z adoptent une toute nouvelle attitude de consommation, "l'individualité de masse". Celle-ci correspond au fait que chacun d'eux a à coeur de se démarquer non plus, comme les autres générations, par l'image qu'il projette, mais par sa personnalité. D'où leur désintérêt pour le logo, au profit du design : ce qui compte, pour eux, c'est un beau sac, fait de matières nobles, et non pas la marque du fabricant», dit Marshal Cohen, analyste principal de NPD Group. Il en souligne que ce nouveau comportement «influence d'ores et déjà les autres générations - celles de leurs parents -, et, par ricochet, toute l'industrie du commerce de détail».

La fin de la consommation ostentatoire

Joël Berger est chercheur à l'Institut de sociologie de l'Université de Zurich (Suisse). Il a récemment eu la curiosité de vérifier sur le terrain un classique de la sociologie qui date de la fin du 19e siècle, à savoir la théorie de la classe de loisir de l'économiste américain Thorstein Veblen. Celle-ci stipule que «la très haute bourgeoisie» (et donc, les riches d'aujourd'hui) a tendance à gaspiller temps et biens en se livrant à la consommation ostentatoire, c'est-à-dire en achetant des biens ne leur procurant au fond qu'une chose : un statut social enviable. Robes de haute couture, montres serties de diamants, voitures de sport... Tout cela ne vise, d'après cette théorie, qu'à surclasser autrui dans une sempiternelle «rivalité pécuniaire».

La théorie de Veblen a été le socle sur lequel s'est bâtie l'industrie du luxe au 20e siècle. Mais est-elle toujours pertinente ? Pour s'en faire une idée, M. Berger a envoyé des centaines de personnes dans les rues de Zurich, leur mission consistant à demander un service à des passants. Certaines étaient habillées en Lacoste (cela se voyait clairement), d'autres affichaient des accessoires marqués Bio Suisse (un label écologique local), d'autres encore n'avaient ni vêtement ni accessoire griffé.

Résultat ? Le fait de porter du Lacoste ou du Bio Suisse n'a eu aucune incidence notable sur le comportement des passants : cela n'a pas fait que ceux-ci se sont montrés plus - ou moins - serviables. Ce qui, l'air de rien, démolit carrément la théorie de Veblen, suivant laquelle une marque connue ne peut laisser indifférent.

En conséquence, la consommation ostentatoire a bel et bien du plomb dans l'aile de nos jours. L'heure n'est plus à afficher sur soi une marque dans l'espoir de susciter envie et jalousie, mais plutôt à apparaître sous ses meilleurs atours, sans se faire éclipser par un quelconque logo. «Ce qui représente un défi de taille à relever pour les grandes marques», souligne Joël Berger dans son étude.

À commencer, à mon avis, par les marques de prêt-à-porter, qui risquent de connaître une sale année 2017 du simple fait qu'elles ont presque toutes misé sur «le grand retour du logo»...

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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