L'atout ultime des robots par rapport aux humains

Publié le 26/05/2016 à 06:22

L'atout ultime des robots par rapport aux humains

Publié le 26/05/2016 à 06:22

Kate Darling est chercheuse au MIT Media Lab. Photo: DR

Les robots intelligents arrivent à grands pas, sous les applaudissements de ceux qui les voient comme des esclaves modernes qui se chargeront à la place des êtres humains de toutes les tâches ingrates, sous les huées de ceux qui les voient comme des voleurs de jobs. Qui a raison? Qui a tort?

Ed Rensi, ex-pdg de McDonald’s, a déclaré cette semaine sur la chaîne américaine Fox qu’à ses yeux le mouvement populaire actuel en faveur d’un salaire minimum de 15 dollars américains par heure amènerait à «une saignée dans les emplois que personne ne peut imaginer». Pourquoi? Parce que des chaînes de restauration rapide comme McDonald’s n’hésiteraient alors plus une seconde à remplacer les humains par des robots : «Il sera à ce moment-là moins cher d’acheter un robot 35.000 $ US que d’embaucher un humain imparfait payé 15 dollars de l’heure pour mettre des frites dans un cornet cartonné», a-t-il affirmé.

Pressé d’expliquer son raisonnement, M. Rensi a ajouté : «C’est une simple question de bon sens. Les robots sont plus efficaces que les humains, à tous points de vue. Le remplacement de l’humain va donc avoir lieu tôt ou tard, que ça vous plaise ou pas».

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De fait, les robots sont plus intelligents que nous — ils ont déjà battu les meilleurs d’entre nous à Jeopardy, aux échecs et au go —, ils sont plus précis que nous — ils sont en mesure d’effectuer de minuscules opérations chirurgicales que des doigts d’humain sont incapables de réaliser —, ou encore, ils sont plus résistants que nous — ils n’ont pas besoin de dormir la nuit.

Mais ce n’est pas tout! Ils disposent d’un atout à nul autre pareil, d’autant plus redoutable que nous n’en avons même pas conscience. C’est ce que j’ai saisi hier en rencontrant Kate Darling, une chercheuse américaine du MIT Media Lab spécialisée dans la dimension sociale de la robotique, à l’occasion de l’événement C2 Montréal.

Quel avantage, au juste? Un petit préambule s’impose pour que vous saisissiez bien…

Mme Darling a fait une petite expérience l’an dernier. Elle a demandé à une trentaine de volontaires de s’installer, chacun leur tour, à une table, puis d’observer pendant un moment le petit robot en forme de scarabée qui gambadait frénétiquement dessus. Enfin, elle leur a donné une tapette et leur a dit de l’écraser de toutes leurs forces.

Point important, tous les participants n’avaient pas été logés à la même enseigne :

> Pour certains, le robot a été présenté par son prénom : «Voici Frank. Cela fait maintenant plusieurs mois qu’il vit au laboratoire. Il adore jouer. Etc.»

> Pour d’autres, le robot a été présenté comme une machine : «Ça fait des mois qu’on a cet objet au laboratoire. Il se met parfois à courir partout, mais il ne s’échappe jamais trop loin. Etc.»

Résultat? Renversant : plus le récit de présentation était anthropomorphique — c’est-à-dire riche en traits humains —, plus les participants ont eu du mal à se décider à écraser le robot. L’un a fermé les yeux avant de donner le coup fatal. Un autre s’est répété plusieurs fois, à voix haute, «c’est juste une blatte, c’est juste une blatte» avant de frapper. Une autre encore a demandé : «Est-ce que ça va lui faire mal?»

«L’étude montre que le langage que nous utilisons à l’égard des robots influence fortement l’interaction que nous avons avec eux. Car cela peut déclencher en nous de l’empathie à leur égard», a dit Mme Darling.

Le hic? C’est que cette empathie peut se retourner contre nous! Voici plusieurs exemples concernant les robots soldats :

> Il y a de cela quelques années, un robot a été conçu juste pour marcher et se faire sauter sur les mines dissimulées par l’ennemi. En gros, sa mission consistait à se sacrifier à la place d’un humain. Mais un beau jour, un colonel américain a donné l’ordre de faire revenir le robot parce qu’il trouvait «inhumain» de l’envoyer ainsi à la mort!

> Des robots tombés au combat ont déjà eu droit à un enterrement avec les honneurs, comprenant la traditionnelle salve de fusils.

> En plein combat, un soldat américain a même mis sa vie en danger pour tenter de voler au secours d’un robot en sérieuse difficulté.

Autrement dit, notre empathie nous empêche d’interagir rationnellement avec les robots à partir du moment où ils présentent des similitudes avec l’humain — et c'est là leur atout ultime. Ces similitudes passent par le langage — le fait de leur donner un prénom, par exemple —, mais aussi par le physique — le fait qu’ils aient une apparence humanoïde, par exemple. C’est d’ailleurs pourquoi des chercheurs ont commencé à concevoir des robots soldats plus semblables à l’animal qu’à l’humain : d’une part parce que les animaux sont en général mieux adaptés que l’humain pour évoluer rapidement dans la nature (à quatre pattes plutôt qu’à deux, par exemple), d’autre part parce que les soldats éprouvent dès lors moins d’empathie à leur égard, et donc moins de scrupules à les envoyer au casse-pipe.

«Il est devenu urgent d’identifier les cas où il convient d’anthropomorphiser les robots et ceux où il ne faut surtout pas le faire. Sans quoi, on risque de courir à la catastrophe», a-t-elle dit.

C’est qu’il y a effectivement des cas où il est vital de considérer les robots comme faisant partie des nôtres. Un exemple lumineux : les robots assistants des hôpitaux, qui sont aujourd’hui chargés d’amener leurs médicaments aux patients. Ceux-ci reçoivent un bon accueil des malades à condition qu’ils soient anthropomorphisés, et un sale accueil sans cela, ce qui réduit leur efficacité à néant. Et si jamais l’un d’eux connaît une défaillance, les infirmières s’exclament dès lors «Oh, Betsy a fait une erreur!» au lieu du cinglant «Cette stupide machine a encore fait une connerie!», comme l’a montré une récente expérience au sein d’un hôpital japonais.

Oui, il y a bel et bien urgence. Comme l’a souligné hier, toujours à C2 Montréal, Nick Bostrom, le professeur suédois de philosophie d’Oxford spécialisé dans la technologie et le transhumanisme : «Les capacités des robots de demain dépasseront l’imagination, si bien qu’il nous faut faire preuve dès à présent de la plus grande prudence à l’égard de nos innovations en robotique. Car même une éventuelle révolte des robots n’est pas à écarter dans un lointain futur», a dit l’auteur de Superintelligence, par ailleurs à l’origine d’une lettre d’avertissement des périls encourus par l’humanité en raison des progrès foudroyants de l’intelligence artificielle (IA) signée l’an dernier par, entre autres, le physicien britannique Stephen Hawking, le programmeur estonien Jaan Tallinn (Skype) et l’entrepreneur américain Elon Musk (Tesla, SpaceX).

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire sur Lesaffaires.com dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.