Fini d'attendre pour rien?

Publié le 12/02/2018 à 06:06, mis à jour le 12/02/2018 à 06:14

Fini d'attendre pour rien?

Publié le 12/02/2018 à 06:06, mis à jour le 12/02/2018 à 06:14

À l'hôpital, un patient est avant tout une personne qui doit... patienter. Photo: DR

Un sombre jour de 2012, Nadia Bhuiyan a appris que sa mère venait de recevoir un diagnostic de cancer. Sous le choc, la professeure au département de génie mécanique, industriel et aérospatial de l'Université Concordia a décidé de l'accompagner dans ses démarches hospitalières. La scientifique en elle a aussitôt été surprise de constater à quel point le processus d'admission de la clinique montréalaise était rationnel, et donc efficace. « Les délais d'attente étaient assez brefs, ce qui était réconfortant, se souvient-elle. Mais voilà, à mesure qu'on avançait dans le processus, les choses ont changé, les temps d'attente se sont mis à s'allonger démesurément. »

Mme Bhuiyan a alors eu l'idée d'appliquer ses connaissances en matière de génie pour déterminer un moyen d'optimiser le flux des patients, qui allait visiblement en s'engorgeant au sein de la clinique. La chercheuse a ainsi approché le Centre du cancer Segal de l'Hôpital général juif, à Montréal, pour lui proposer une petite expérience.

L'idée était simple : d'une part, cartographier le flux réel de patients atteints du cancer, histoire de voir à quelles étapes l'affluence était ralentie, voire immobilisée durant un laps de temps inacceptable. D'autre part, concocter un algorithme à même d'indiquer comment rendre plus fluides les noeuds d'engorgement répertoriés. Autrement dit, il s'agissait de combiner deux méthodes : celle du design thinking - une méthode d'innovation consistant à réfléchir et à agir comme un designer pour trouver et mettre en place des solutions inédites à un problème - et celle de l'intelligence artificielle (IA).

Résultats ? Dans un premier temps, la chercheuse et son équipe ont vu que les étapes étaient vraiment nombreuses. Le patient doit s'enregistrer au 7e étage de l'Hôpital, s'enregistrer au test sanguin, puis effectuer le test en question. En fonction du résultat, il lui faut soit aller en oncologie avant d'aller en chimiothérapie, soit aller directement en chimiothérapie. Dès lors, de nouvelles étapes s'accumulent : s'enregistrer au 8e étage de l'Hôpital, obtenir une prescription, aller à la pharmacie sur place pour recevoir les médicaments prescrits, etc.

Bref, le patient a l'impression de n'en plus finir. C'est qu'au total, toutes ces démarches prennent au bas mot deux journées entières. « Il est vrai qu'on peut parler de labyrinthe complexe et parfois pénible pour les patients », reconnaît d'ailleurs Gerald Batist, le directeur du Centre du cancer Segal, qui a cosigné l'étude.

Dans un second temps, Mme Bhuiyan et son équipe ont fort heureusement mis au jour un noeud d'engorgement majeur : la pharmacie. De fait, le tiers (33 %) des prescriptions nécessitent des éclaircissements aux yeux des pharmaciens, (souvent, il s'agit d'un détail au sujet du plan de traitement, ou encore du résultat du test sanguin), si bien que ceux-ci doivent communiquer avec le médecin concerné pour lui demander des précisions. Ce qui se traduit par un temps d'attente systématiquement supérieur à vingt minutes.

Ce noeud d'engorgement est visiblement le plus important. Cela dit, chaque étape, ou presque, est en elle-même un noeud plus ou moins serré qui ralentit le flux des patients. Par exemple, les agendas de rendez-vous des services d'oncologie et de chimiothérapie sont indépendants l'un de l'autre, ce qui est, de toute évidence, source des distorsions dans le flux des patients. Du coup, plus un patient avance dans le processus, plus il lui faut attendre longtemps, et plus il est compliqué pour le personnel du Centre d'agir de manière efficiente. « En vérité, l'engorgement existe avant même que le service concerné se mette à l'oeuvre. Les employés ont dès lors le sentiment de devoir gérer un problème qui vient en amont, un problème hors de leur portée », note l'étude.

La solution ? L'algorithme l'a trouvée ! Il suffit d'intervenir simultanément sur deux points névralgiques :

> Rendre les médecins plus faciles d'accès pour les pharmaciens.

> Coordonner les agendas de rendez-vous des services d'oncologie et de chimiothérapie.

D'après les calculs de l'algorithme, ces deux seules améliorations permettraient de réduire le temps d'attente global de... 44 % ! C'est-à-dire que les patients devraient attendre près de deux fois moins longtemps par rapport à aujourd'hui. « Idéalement, on peut imaginer que l'ensemble du processus ne prendrait plus qu'une seule journée », souligne l'étude.

Enthousiasmé par cette découverte, le directeur du Centre a pris la décision de la vérifier sur le terrain. Des améliorations sont ainsi en cours d'expérimentation. Il est encore trop tôt pour dire si les modifications vont porter leurs fruits, mais il est clair que des progrès pour l'« expérience patient » sont à prévoir. Sans parler d'éventuelles retombées positives indirectes, comme le gain potentiel en espace pour l'Hôpital puisque l'algorithme a suggéré la possibilité de réduire significativement la taille des salles d'attente, une fois le flux de patients rendu plus fluide.

Mine de rien, l'étude de Mme Bhuiyan et son équipe est une bombe ! Pourquoi ? Parce qu'elle a une dimension économique phénoménale. Je pèse mes mots. Imaginez que d'autres organisations, voire d'autres industries, se mettent à recourir au design thinking et à l'IA pour rendre plus fluides leurs opérations. Oui, imaginez qu'ici et là les utilisateurs de leurs services n'aient quasiment plus à attendre pour pouvoir en bénéficier. Que nous n'ayons plus à attendre en file pour régler nos courses au supermarché, pour louer du matériel de ski en bas des pistes, ou encore pour renouveler notre passeport.

Vous voyez, à présent ? Voilà pourquoi je ne peux me retenir de saluer la splendide trouvaille de Mme Bhuiyan et son équipe. Car - qui sait ? - celle-ci pourrait bel et bien changer notre vie sous peu...

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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