Et si on arrêtait de tuer nos enfants...

Publié le 30/03/2016 à 06:27

Et si on arrêtait de tuer nos enfants...

Publié le 30/03/2016 à 06:27

La pollution de l'air entraîne 2.000 décès prématurés par an à Montréal... Photo: DR

La Sûreté du Québec (SQ) a profité du long congé pascal pour mener une nouvelle opération Catalyseur. Jusqu'à lundi soir, ses patrouilleurs ont intensifié leurs interventions sur les routes, en portant une attention particulière à certaines infractions, soit : «excès de vitesse, oubli de la ceinture de sécurité, utilisation du cellulaire au volant et conduite avec facultés affaiblies (alcool ou drogue)». Et une fois de plus, cela m'a sauté aux yeux : l'opération était dénommée Catalyseur, et pourtant elle ne concernait en rien l'état du véhicule, en particulier celui du pot catalytique!

Autrement dit, priorité était donnée à la diminution du nombre de morts sur les routes, non pas à celui de morts à cause des routes; la pollution des "minounes" est pourtant à l'origine de quelque 2.000 décès prématurés chaque année dans la grande région de Montréal, selon l'Institut national de la santé publique du Québec. Alors qu'on aurait pu en profiter pour faire prendre conscience aux uns et aux autres de la dangerosité des nuages nauséabonds crachés par les voitures.

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C'est que le Québec a beau faire, il n'arrive pas à faire diminuer la pollution automobile, notamment les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il a dégagé de ces derniers 81,2 millions de tonnes en 2013, soit un infime recul de 0,1% en un an, selon le plus récent bilan officiel, dévoilé la semaine dernière par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Depuis 1990, le recul a été de 8,6% seulement, alors que l'objectif pour 2020 - c'est-à-dire dans moins de quatre ans - est une réduction de 20%. Le gouvernement Couillard a même établi une cible de réduction de 37,5% d'ici 2030, toujours par rapport à 1990 ; et carrément de 80-95% d'ici 2050. Bref, on est loin, très loin, de la coupe aux lèvres.

Or, quel est le plus gros pollueur de l'air au Québec? Le secteur du transport, responsable de 43% des émissions de GES, d'après le bilan du ministère. Et dans celui-ci trône le transport routier, à hauteur de 78%. Par conséquent, les principaux fautifs sont les voitures et les poids lourds.

L'évidence saute aux yeux : si l'on espère atteindre les objectifs fixés pour 2020, il convient d'intervenir immédiatement sur les véhicules. Comment? Par exemple, en adoptant et surtout en appliquant au plus vite le feu projet de loi 48 du gouvernement Charest, tombé aux oubliettes en 2012 avec l'arrivée au pouvoir du Parti québécois de Pauline Marois.

Le projet de loi 48? Il prévoyait l'obligation pour tout propriétaire de voiture de la faire inspecter si jamais elle présentait des signes de «possible contamination atmosphérique». Après avoir défrayé les coûts d'inspection, le propriétaire aurait dû payer les ajustements qui s'imposaient, ou retirer son automobile de la circulation. Chaque année, cela aurait été 450.000 véhicules dont la fabrication remontait à huit ans ou plus qui auraient été ainsi soumis à une inspection environnementale, avait estimé le ministre du Développement durable de l'époque, Pierre Arcand (l'actuel ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, soit dit en passant).

L'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) estime qu'une telle inspection obligatoire représenterait un coût de 60 dollars pour chaque propriétaire d'automobile, l'opération durant une vingtaine de minutes. Des frais vite récupérés puisqu'un véhicule bien entretenu consomme «au minimum 15% moins de carburant», ce qui représente en moyenne 300 litres d'essence par an. Et de souligner que l'instauration de ce projet de loi aurait pu «réduire les émissions québécoises de GES de 5 à 15 points de pourcentage à court terme».

Plusieurs projets-pilotes d'inspection d'automobiles ont d'ores et déjà été menées au Québec, ces dernières années. Parmi les 25.000 voitures vieilles de 3 ans et plus étudiées par l'AQLPA, de 20 à 30% dépassaient les normes de pollution en vigueur. Ce sont donc près de 1 véhicule sur 3 qui nécessiteraient une intervention d'un garagiste, en général un simple réglage du moteur.

Ailleurs, des programmes d'inspection et d'entretien sont à l'oeuvre depuis de nombreuses années. En Ontario, le programme Air Pur permet d'apporter chaque année des correctifs à en moyenne 12% des véhicules inspectés, même s'il est en place depuis 1998. En l'espace de dix ans seulement, les polluants causant le smog (HC, NOx et CO) ont, du coup, diminué de 35%. Idem, ces mêmes polluants ont été réduits de 28% en Colombie-Britannique, entre 1992 et 2008.

Ces programmes-là portent fruit pour une raison fort simple : ils sont en droite ligne avec les principes de la bioéconomie mis au jour par l'économiste américano-roumain Nicholas Georgescu-Roegen. Ce dernier a eu l'idée géniale d'appliquer les lois de la thermodynamique à l'économie, ce qui lui a permis de mettre en évidence le fait que, dans un environnement aux ressources limitées, toute croissance économique n'est possible qu'en épuisant ces mêmes ressources. En conséquence, la croissance perpétuelle est impossible ; arrivera forcément un moment où l'économie devra se contracter.

L'activité économique forcenée que nous avons aujourd'hui a donc un impact négatif sur les générations futures : plus nous consommons les resources disponibles, moins nos enfants et petits-enfants pourront en disposer. Logique. Même chose avec la pollution : plus nous polluons de nos jours, plus nos enfants et petits-enfants en feront les frais.

C'est pourquoi M. Georgescu-Roegen n'a eu de cesse de souligner la responsabilité de chacun envers les générations à venir. Il pourrait nous suffire de jouer sur notre façon de consommer, et donc de polluer, «pour éviter un dramatique gâchis de l'humanité». Oui, il suffirait que nous nous percevions non plus comme «des êtres égoïstes ancrés au centre du monde», mais comme «de simples éléments d'un organisme en constante évolution» pour que le pire soit évité, à savoir un effondrement de l'existence sur Terre. Car cela nous ferait tout naturellement changer de comportement, notamment en matière de pollution.

Il est par conséquent grand temps d'agir! Comment, au juste? Le plus simplement du monde : en faisant prendre conscience à chacun que son véhicule est en train de tuer ses enfants et ses petits-enfants; en demandant aux patrouilleurs de la SQ de ne plus s'occuper seulement des cellulaires au volant, mais aussi des mortels pots d'échappement; et, bien entendu, en obtenant que le gouvernement Couillard reprenne le flambeau là où il est tombé.

Au fait, j'y pense, savez-vous ce qu'a dit David Heurtel lorsque l'étude de son ministère Inventaire québécois des gaz à effet de serre en 2013 et leur évolution depuis 1990, le bilan dont j'ai parlé en début de chronique, a été dévoilé, la semaine dernière? Je vous le donne en mille : «Il nous faut accélérer la cadence. Il en va de notre bien-être et de celui des générations futures; faisons-le pour eux!» Dont acte, monsieur le ministre?

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.