En route vers la Grande Stagnation ?

Publié le 26/02/2016 à 08:25

En route vers la Grande Stagnation ?

Publié le 26/02/2016 à 08:25

Après le gel, le dégel... Photo ; DR

Le restaurant M sur Masson a mis la clé sous la porte à la fin de janvier. Le porte-étendard de la revitalisation de la Promenade Masson, dans le quartier Rosemont, a succombé à la crise : d'une part, les ventes réelles des restaurants stagnent depuis 2008 ; d'autre part, le nombre de faillites de restaurants ne cesse d'augmenter depuis 2010, d'après une étude de Desjardins.

À l'annonce de cette triste fermeture, la question m'a sauté aux yeux : «S'agit-il là du signe que le Québec est en proie à la Grande Stagnation?» Autrement dit, devons-nous nous résoudre à faire une croix durable sur la croissance économique, du moins telle que l'ont connue les générations précédentes ?

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Pour m'en faire une idée, j'ai creusé la question et déniché sur le site du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (Cirano) une donnée qui m'a fait froid dans le dos : le taux de croissance trimestriel du produit intérieur brut (PIB) réel du Québec, en chiffres désaisonnalisés, ne fait que naviguer entre le + 2 % et le - 2 % depuis les années 1980 ! Et l'amplitude va en s'amenuisant depuis les années 2000, signe clair d'une tendance à la stagnation.

Que se passe-t-il ? C'est simple : les moteurs de la croissance se sont arrêtés. «Si on regarde l'évolution du PIB mondial entre 1700 et 2012, on note qu'il a progressé en moyenne de 1,6 % par an. Pour moitié, cela découlait de la croissance démographique : plus il y a de personnes qui produisent, plus le PIB croît. Pour l'autre, des gains en productivité. Or, l'un comme l'autre [la croissance démographique et les gains en productivité] sont aujourd'hui au point mort dans les pays occidentaux», dit l'économiste français Thomas Piketty, l'auteur du populaire essai économique Le Capital au XXIe siècle, dans un article du magazine Prospect.

Prenons le cas du Québec. L'indice de fécondité est passé en dessous du fatidique 2,1 enfants par femme en 1970 et n'a cessé de chuter depuis. Il atteint maintenant le chiffre de 1,6, selon l'Institut de la statistique du Québec. Quant à la productivité du travail, des données du Cirano indiquent que sa progression ne cesse de ralentir depuis les années 1980, pour n'être plus que de 4 % de 2008 à 2013, freinée notamment par les baisses du nombre d'heures travaillées (- 0,3 % par an) et de l'intensité du travail [la moyenne annuelle des heures travaillées par emploi] (- 0,4 % par an).

Devons-nous alors nous résigner à la Grande Stagnation pour les décennies à venir ? Non ! «Il faut avoir confiance en la capacité d'innovation de l'Amérique du Nord», rétorque aux «pessimistes» Eswar Prasad, professeur de politique commerciale à l'université américaine Cornell, dans le même magazine. Et d'ajouter : «Peut-être vivons-nous plutôt une lente mutation...»

Un signe semble lui donner raison : les moteurs économiques du Québec d'aujourd'hui ne sont plus ceux d'hier. Une étude de Desjardins met en effet au jour le fait que ce sont, depuis la récession de 2008, «l'extraction minière, l'immobilier et la finance», et non plus - comme nombre d'entre nous le croient encore - «la construction et la santé». Comme quoi il y a bel et bien du changement dans l'air.

Autre signe : de tout nouveaux restaurants ont vu le jour à Montréal, ces dernières semaines. Par exemple, le Candide, le Hoogan et Beaufort, ainsi que le Jellyfish crudo+charbon.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire, en alternance dans Les affaires et sur lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.