Éloge de la laideur

Offert par Les Affaires

Publié le 16/10/2017 à 06:06

Éloge de la laideur

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Publié le 16/10/2017 à 06:06

La laideur est toujours relative... Photo: DR

Les prix Nobel 2017 viennent d'être attribués, et j'ai une question à vous poser à ce sujet: parmi les lauréats de cette année, lequel, selon vous, est sexy? Non, non, je ne plaisante pas, la question est très sérieuse. Et j'imagine que, si vous y réfléchissez sérieusement une minute, vous aurez du mal à en trouver un seul. Et ce, même si vous et moi n'avons pas nécessairement la même définition du terme «sexy».

Allons plus loin, et désignez-moi n'importe quel lauréat d'un prix Nobel que vous ayez trouvé sexy (hormis Barack Obama, qui est, disons, l'exception qui confirme la règle). Alors ? Pas évident, n'est-ce pas? Et pourquoi, d'après vous ? Eh bien, parce que, pour avoir une vraie chance de gagner un prix Nobel, il vaut mieux... être laid !

La prime salariale de la laideur

Les économistes Jan Fidrmuc, Boontarika Paphawasit et Çigdem Börke Tunali ont eu la drôle d'idée d'évaluer rétroactivement l'attractivité des candidats pressentis à l'obtention d'un prix Nobel et de regarder si le degré de beauté de ceux qui étaient en compétition permettait de prédire lequel d'entre eux allait l'emporter. Quelle n'a pas été leur surprise de découvrir que plus un candidat était laid, plus il avait de chances d'être l'heureux élu !

Y aurait-il, par conséquent, un avantage réel à être laid ? Il semble bien que oui, si l'on en croit la récente étude de deux professeurs de management, Satoshi Kanazawa, de la London School of Economics, et Mary Still, de l'Université du Massachusetts à Boston. Ces derniers ont analysé les données provenant du «National Longitudinal Survey of Adolescent Health», qui regorge de renseignements sur les Américains âgés de 17 à 29 ans, et ont mis au jour le fait que les jeunes diplômés «très laids» (disons ceux qui ont une note de 1 sur une échelle de 1 à 10) gagnent, en général, nettement plus d'argent en début de carrière que ceux qui sont «laids» (note de 2 ou 3), et parfois même que ceux qui sont considérés comme «beaux» (note de 8 ou 9) ou «très beaux» (note de 10). Ils ont appelé ce phénomène «la prime de la laideur».

Un gage de crédibilité

Ana Ioana Gheorghiu, doctorante en psychologie à l'Université de l'Essex, et plusieurs de ses collègues ont récemment fait évaluer par des dizaines d'étudiants l'attractivité de centaines de professeurs d'université du monde entier - en l'occurrence, des généticiens et des physiciens - ainsi que leur intelligence supposée. Le résultat est sans appel : plus un professeur est laid, plus il est considéré comme crédible, c'est-à-dire comme à la fois compétent et fiable. Autrement dit, la plupart des étudiants ont un a priori positif envers les professeurs considérés comme laids.

Comment expliquer tout ça, surtout dans nos sociétés qui vouent un véritable culte à la beauté - d'ailleurs, saviez-vous qu'en moyenne 5 150 $ de produits cosmétiques sont vendus chaque seconde dans le monde, selon les données du rapport «Global Beauty and Personal Care Products Market Forecast 2017-2023» du cabinet d'études Research & Markets ? L'explication se trouve peut-être bien dans les travaux sur l'attractivité des politiciens effectués par Niclas Berggren, professeur d'économie à l'Institut de recherche en économie industrielle de Stockholm. Regardons ça ensemble...

Le cas Waxman

M. Berggren s'est surtout intéressé aux politiciens de la Finlande, du Parlement européen et des États-Unis. Il a vu, au fil de ses recherches, que ce n'était pas tant la beauté qui entrait en ligne de compte dans le vote des gens que les valeurs qui lui étaient spontanément associées. Il apparaît que les candidats jugés beaux passent souvent pour des «charmeurs» et des «dilettantes», surtout lorsqu'ils figurent dans le camp adverse. Et qu'en revanche les candidats considérés comme laids bénéficient, en général, d'une image teintée de «professionnalisme» et de «courage», en particulier lorsqu'ils sont dans notre camp.

Du coup, il ne suffit pas d'être beau pour avoir toutes les chances d'être élu, comme le veut la croyance populaire. Loin de là. On peut très bien être franchement laid et triompher à une élection. À preuve, la splendide carrière du démocrate Henry Waxman, élu au Congrès sans discontinuer de 1975 à 2015 en dépit du fait qu'il souffrait «d'une apparence considérablement désavantageuse», selon les termes utilisés par Gabriel Lenz, professeur de science politique à Berkeley, dans un article qu'il vient de lui consacrer dans Political Behavior. «Les électeurs voulaient quelqu'un d'efficace et de compétent, ce qui les a amenés à voter pour Waxman à répétition, bien souvent en se fiant seulement à son aspect et à son expérience», dit-il.

Bref, être laid peut bel et bien présenter des avantages. À condition, bien sûr, de savoir en tirer judicieusement parti. C'est que la laideur a un avantage certain sur la beauté : il arrive toujours un moment où on l'oublie.

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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