Cultivons notre bien-être !


Édition du 16 Juin 2018

Cultivons notre bien-être !


Édition du 16 Juin 2018

Le nouveau campus de Google à Londres aura un toit vert de 300 m de long. Photo: DR

À l'occasion de la 22e édition du Parlement écolier, la classe de 6e année d'Anna-Belle Beaudoin, de l'école Saint-Enfant-Jésus à Montréal, a présenté, en mai, un projet de loi pour le moins original : l'obligation pour les écoles primaires du Québec de consacrer une partie de leur cour à... un potager ! L'idée était simple : reconnecter les enfants à la nature, avec tous les bienfaits que cela suppose (apprentissage ludique de la biologie, plaisir de jardiner, collaboration à un projet commun, etc.). Et surtout, elle était loin d'être saugrenue, si j'en crois la tendance actuelle au verdissement des lieux de travail...

Saviez-vous, par exemple, que Google s'apprête à bâtir un vaste campus pour entrepreneurs en plein coeur de Londres, lequel sera doté d'un toit de 300 mètres de long entièrement couvert de végétation ainsi que de terrasses richement fournies en plantes vertes ? Que le tout nouveau siège social d'Apple, l'Apple Park de Cupertino, en Californie, respecte la proportion 20/80, à savoir 20 % de bâtiments et 80 % de nature, dont un bois de 9 000 arbres ? Ou encore, que le siège social de SAS, à Cary, en Caroline du Nord, est situé au beau milieu d'une immense forêt abritant lacs et cerfs ?

La question saute aux yeux : s'agit-il d'une nouvelle mode pour attirer les talents, en cette période de pénurie planétaire de main-d'oeuvre qualifiée ? D'un bête artifice, comme le furent, un temps, les fameuses tables de ping-pong et de baby-foot ? Eh bien non. Mille fois non. Je m'explique...

Dans son livre Les Huit péchés capitaux de notre civilisation, le prix Nobel de médecine autrichien Konrad Lorenz dénonçait dès 1973 notre erreur collective consistant à « nous couper de la beauté de la nature [à coups] de blocs d'immeubles formés de rangées de stalles pour bêtes de somme humaines ». « L'élevage de poules pondeuses dans des séries de cages minuscules est considéré, à juste titre, comme une torture pour ces volatiles et comme une pratique indigne d'un pays civilisé. En revanche, on trouve parfaitement licite d'attendre de l'être humain qu'il accepte un pareil traitement, alors qu'il est justement le moins préparé à supporter cela », s'offusquait-il. « Dans les grands ensembles, on trouve très souvent des parois de séparation entre les balcons, histoire de rendre invisibles ses voisins, poursuivait-il. Résultat ? Chacun souffre dès lors d'atrophie d'autrui, laquelle est néfaste pour la santé morale et psychique de l'être humain. »

Et d'enfoncer le clou avec une image terrible : « Lorsqu'on compare la coupe histologique d'une tumeur cancéreuse, avec sa structure aussi rudimentaire qu'uniforme, à la vue aérienne d'une banlieue moderne, avec ses habitations toutes identiques placées à peu près toujours de la même façon, on se met à désespérer. Elles se ressemblent tant... »

Vous l'avez noté par vous-mêmes, le parallèle avec nos bureaux est troublant : si Konrad Lorenz avait pu assister à l'épidémie de cubicules, suivie de celle des espaces de travail à aire ouverte où chacun s'isole des autres à l'aide de ses écouteurs et se fait muet comme une carpe pour ne déranger personne, il aurait sûrement vilipendé cette « tumeur managériale ». J'en veux d'ailleurs pour preuve le nombre croissant d'études scientifiques à ce sujet, et en particulier les travaux de Kalevi Korpela, professeur de psychologie à l'Université de Tampere, en Finlande.

Le chercheur finlandais a observé pendant deux années des centaines d'employés de bureau qui étaient plus ou moins en contact avec la nature dans le cadre de leur travail. C'est ainsi qu'il a découvert que plus on travaillait dans un milieu riche en verdure, plus on gagnait « en tonus, en énergie, en créativité et en bonheur » ; bref, plus on gagnait « en bien-être ». « Il suffit d'être régulièrement en contact avec la nature sur la seule heure du lunch pour noter une nette amélioration de notre santé physique et psychique », indique-t-il.

Ce n'est pas tout. Yue Deng, une étudiante en architecture à l'Université de Washington, a récemment soutenu sa thèse sur le « design biophilique », plus précisément sur l'impact de la lumière naturelle, de la ventilation naturelle et autres plantes vertes sur la productivité des employés de bureau. Elle y montre que plus une entreprise adopte la biophilie, plus ses employés se montrent « calmes, motivés et efficaces », et souligne un bond du bien-être (+23 %) et une chute de la fatigue (-37 %) des individus lorsqu'on améliore les espaces en ce sens.

Ses suggestions sont multiples : cela va de la salle de réunion vitrée à 100 % sans mobilier, mais pourvue d'herbe sur laquelle on s'installe assis en tailleur, à la serre sur le toit dans laquelle chacun cultive des fleurs et des herbes aromatiques, en passant par le potager commun dans un coin du stationnement. Inspirant, n'est-ce pas ? De toute évidence, nous gagnerions tous à profiter de cet été pour cultiver notre bien-être au travail.

Maintenant, qu'est-il advenu du projet de loi des écoliers montréalais, à votre avis ? Nos chers élus, qui avaient un droit de veto, l'ont rejeté du revers de la main. Une lourde erreur, car l'impact d'un potager sur la scolarité des enfants est indéniable. Mais bon, qu'à cela ne tienne, Patrick Watson a organisé un concert-bénéfice au profit du projet des écoliers, si bien que leur potager verra bel et bien le jour l'an prochain. Chanceux !

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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